Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Envolée des capitaux, chute des investissements nationaux, refonte du marché électrique national : ce qui apparaît au travers du rapport d'Ahmed Rahhou
Dans son rapport annuel 2024, le Conseil de la concurrence dresse un tableau contrasté de l'économie marocaine : croissance de 3,8 % et inflation contenue d'un côté mais dépendance persistante aux énergies fossiles, endettement jugé «colossal» de l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE) et recul marqué des investissements nationaux dans les opérations de concentration de l'autre. L'autorité recommande une refonte profonde du modèle électrique, la création d'un régulateur indépendant et rappelle la nécessité de préserver la neutralité concurrentielle sur l'ensemble des marchés. Le Conseil de la concurrence a publié son rapport annuel pour 2024, livrant une fresque complète de l'année écoulée. L'économie marocaine affiche une croissance maîtrisée et une inflation contenue tandis que l'autorité intensifie ses actions en matière de régulation et de contrôle. Sur le plan macroéconomique, «le taux de croissance de l'économie nationale s'est établi à 3,8 % en 2024, après une progression de 3,7 % en 2023» traduisant une relance régulière de l'activité. Les politiques budgétaires et monétaires prudentes ont permis de contenir les tensions inflationnistes. La désinflation a été tangible : l'inflation globale est demeurée «inférieure à celle de l'inflation sous-jacente» grâce au recul des prix des produits les plus volatils. Dans le même temps les charges de compensation budgétaires ont reculé à 25,5 milliards de dirhams (MMDH) contre 30,1 MMDH en 2023 soit une baisse de 15,3 %. Le rapport met en avant un regain marqué des capitaux. Selon ses termes, «l'investissement étranger a enregistré une progression importante» confirmant l'attractivité du royaume pour les projets d'envergure dans l'industrie et les infrastructures. Les entreprises ont profité d'un meilleur accès aux intrants et à des crédits bancaires accrus, favorisant la demande finale soutenue tant par les ménages que par les investisseurs nationaux et étrangers. Activité décisionnelle et dossiers contentieux du Conseil En 2024, 171 décisions et trois avis ont été rendus par l'institution. Plus de 93 % concernaient le contrôle préventif des concentrations économiques. Le Conseil s'est également prononcé sur 9 dossiers contentieux dont un relatif au paiement électronique et un autre à la gestion déléguée des services publics où il a appliqué pour la première fois son pouvoir de transaction prévu à l'article 36 de la loi de 2013. En octobre 2024 il a conduit sa première opération de visite et saisie inopinée dans une enquête visant les services de livraison à domicile par application, renforçant son rôle d'investigation. Sur le volet consultatif, l'autorité a émis deux avis d'office – sur les marchés de l'électricité et des fruits et légumes – et a répondu à une saisine de la Chambre des représentants concernant le marché des aliments pour animaux. Ces analyses ont mis en évidence des déséquilibres structurels et proposé des réformes, notamment pour l'agroalimentaire où l'organisation des marchés de gros et l'accès au financement sont jugés déterminants. Concentrations économiques : repli du nombre de projets et envolée des capitaux Le rapport observe une rupture de tendance après plusieurs années de hausse : «162 projets ont été notifiés en 2024, contre un pic de 204 projets en 2023» soit un recul de 21 %. Cette contraction s'explique par la régularisation exceptionnelle de 2023 et par le relèvement des seuils de notifiabilité. Le taux d'autorisation s'est néanmoins élevé à 95,7 % en 2024 contre 93,6 % un an plus tôt. Les montants financiers ont connu une progression spectaculaire : 787,9 MMDH en 2022, 1 960,7 MMDH en 2023 puis 2 812 MMDH en 2024, soit une hausse annuelle proche de 88 %. Cette flambée est imputable à de grandes opérations internationales. En revanche, les capitaux nationaux ont chuté de 185 MMDH en 2022 à environ 80 MMDH en 2024. Les prises de contrôle exclusif (65,2 % des concentrations autorisées en 2024 contre 58,6 % en 2023) gagnent du terrain tandis que les prises de contrôle conjointes et les créations d'entreprises communes déclinent. Cette tendance renforce la position dominante de certains opérateurs mais amoindrit la concurrence potentielle. Le nombre de dossiers instruits en procédure simplifiée a doublé en un an, passant de 40 en 2023 à 100 en 2024, permettant un règlement plus rapide des opérations non litigieuses. Parallèlement, cinq manquements liés à l'absence de notification ont été sanctionnés pour un montant global de 46,3 millions de dirhams confirmant la fermeté du Conseil sur le respect des obligations légales. Marché de l'électricité : acquis notables et fragilités persistantes Un avis spécifique est consacré à l'électricité. Le rapport rappelle que «les politiques publiques menées ... ont permis d'assurer la sécurité de l'approvisionnement en électricité, d'éviter les coupures fréquentes et de généraliser l'accès à l'électricité grâce notamment au programme d'électrification rurale globale, qui a bénéficié à près de treize millions de personnes». Le Maroc occupe une position de premier plan régional dans le domaine des énergies renouvelables. L'étude relève toutefois que la production reste majoritairement fossile et dépendante de contrats à long terme rigides qui affectent lourdement la santé financière de l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE). Comme l'indique le rapport, «malgré ces réussites, la dynamique des réformes marque le pas ... car le modèle actuel, basé sur une production fossile prédominante et des contrats d'approvisionnement à long terme peu flexibles, grève la santé financière du marché et celle de l'opérateur historique (ONEE)». Recommandations pour une réorganisation en profondeur du secteur électrique Le Conseil préconise «une refonte en profondeur du modèle existant, fondée sur une vision à long terme, de 20 à 40 ans, pour rendre le marché plus efficace, ouvert à la concurrence et conforme aux Hautes Orientations». Il suggère de recentrer l'ONEE sur la planification et le transport, de délester progressivement ses activités de production et de distribution et de créer une «structure de défaisance» destinée à absorber les dettes accumulées. L'autorité juge indispensable de mettre en place un régulateur indépendant apte à garantir intégrité et transparence. Le rapport insiste : «il est impératif de se doter d'un régulateur fort et indépendant des opérateurs privés, en mesure de garantir un bon fonctionnement du marché, surtout du point de vue concurrentiel». L'édition 2024 du rapport du Conseil de la concurrence décrit une économie en reprise mesurée, une régulation active et une vigilance constante sur l'équité des marchés. L'institution estime que les vertus de la concurrence doivent continuer de se manifester «par un pouvoir d'achat renforcé, une amélioration continue de la qualité des produits et services, ainsi qu'une diversification accrue des choix offerts» aux consommateurs. Elle plaide pour la poursuite des réformes afin de préserver «la neutralité concurrentielle» et garantir le bon fonctionnement des marchés.