Les gouvernements ne doivent pas se contenter de gérer le court terme sans apprécier suffisamment les conséquences de leurs mesures sur le long terme, dixit Moulay Abdellah Alaoui, empruntant la phrase de Mohammed Berrada prononcée récemment devant un cénacle d'experts. Le président de la Fédération de l'énergie rappelle quelques fondamentaux du secteur et estime venu le temps de faire le point. Finances News Hebdo : Comment se porte globalement le secteur de l'énergie ? Moulay Abdellah Alaoui : Tout d'abord, le décor de l'énergie est international. Elle n'est pas une discipline domestique, locale, mais est plus internationale et régionale. Ainsi, quand on réfléchit à l'énergie, il faut avoir comme perspective l'intégration régionale. Concernant le voisinage direct, disons que nous avons la chance d'être dans une région du Maghreb magnifiquement riche en ressources avec une population qui va croître de 25% en l'an 2030. Selon les estimations, puisque ces pays ne font pas de recensements tous les ans, ils constituent un marché de 100 millions d'habitants et compteront entre 150 et 180 millions d'habitants à l'horizon 2030. Ce qui permettra à la région de peser de tout son poids sur les décisions internationales. Cette population jeune et active est un réel levier de croissance. Le deuxième atout est que ces pays recèlent de gisements énergétiques importants, qu'il s'agisse du solaire, de l'éolien, du pétrole ou du gaz, ce qui constitue la base de l'autosuffisance. En outre, si nous parvenons à conjuguer nos moyens et si nous privilégiions l'économie à la politique, nous serons un sous-continent extrêmement riche et capable de répondre aux aspirations de ses populations et de sa jeunesse. F. N. H. : Cela reste-t-il bien évidemment conditionné par l'émergence d'une réelle union maghrébine ? M. A. A. : Je suis sûr qu'en 2030, les passions, les amours-propres, les individualismes seront mis de côté et qu'on assistera à l'avènement d'une nouvelle génération porteuse de grands projets en commun. Il est important de souligner un élément crucial : celui du long terme. Les énergéticiens ne sont pas des pompiers, ni des «courtermistes» pour régler la problématique de l'énergie au jour le jour. Ils se doivent de faire de la prospective, non pas de la futurologie. Et aujourd'hui, il est aisé de faire une prospective jusqu'à 2030. Et ce, d'autant plus qu'on y est presque, puisque 15 à 16 ans, c'est juste le temps de réfléchir si l'on va faire du nucléaire ou non, ce dernier nécessitant 20 ans entre l'étude de faisabilité, le financement et la mise en œuvre... Et il faut 10 ans pour mettre en place une raffinerie, et 10 à 15 ans pour transformer un gisement gazier en capacité productive. C'est dire que l'échéance 2030, c'est vraiment pour demain ! Et, bien évidemment, les énergéticiens doivent avoir du recul par rapport à l'Exécutif dans la mesure où ce dernier gère le court terme, un mandat de 5 ans, en comparaison aux cycles de l'énergie qui varient entre 10 et 30 ans. En parallèle, ces prospectives permettent de mesurer l'évolution de la demande en énergie. Et là, il faut noter que d'ici à 2030, les produits pétroliers constitueraient 60% de l'énergie mondiale, ces produits répondraient à 80% aux besoins du transport dans le monde à 2040, 40% de l'électricité produite iront vers le résidentiel et le commercial en 2030. Et entre 2010 et 2040, la demande mondiale en électricité croîtra de 80%... Ce sont autant de tendances qu'on retrouvera inéluctablement au Maroc également. F. N. H. : Il est important de mesurer les besoins futurs du Maroc, encore faut-il trouver les moyens d'y répondre. Depuis le lancement de la stratégie énergétique nationale en 2009, sommes-nous en phase avec les objectifs ? M. A. A. : La réponse se trouve justement dans la prospective énergétique ! Il s'agit d'un travail en profondeur. L'exemple est celui de la demande croissante en électricité et que, peut-être, sans me faire de procès d'intention, il faudra avoir recours au nucléaire pour pouvoir satisfaire cette demande en 2040. Le nucléaire est propre, compétitif, et assure une indépendance énergétique ! Comme dit plus haut, toutes les options doivent être sérieusement étudiées car, in fine, toute option énergétique propose des avantages et des inconvénients qu'il suffit de bien gérer. Puis, rendons à César ce qui appartient à César ! Depuis 2013, l'ONHYM a signé d'importants contrats avec des sociétés prestigieuses, comme Chevron, Texaco et Cosmos, afin d'entamer des études sismiques. D'autres sociétés, ayant déjà effectué des études par le passé, ont annoncé leur intention de revenir au Maroc refaire leurs études avec des techniques plus évoluées qu'il y a 30 ans ! Ajoutez à cela, le gaz qui est un produit propre cohabitant bien avec les énergies renouvelables, mais aussi le schiste et les énergies renouvelables, qui sont autant d'options s'offrant au Maroc. Ceci, en plus du nucléaire ! Il ne faut pas qu'il y ait de tabou, tout doit être étudié et débattu de manière transparente ! F. N. H. : Justement, on a l'impression que ce sujet particulier du nucléaire fait peur. Preuve en est, la perspective même d'étudier cette option est éludée ... M. A. A. : Parce qu'aujourd'hui, elle ne se pose pas en termes d'urgence pour l'Exécutif. Mais rien n'empêche les autres acteurs, notamment nos experts qui ne subissent pas de lobby ni de pression, de réfléchir à cette option nucléaire. Peut-être que c'est une bonne ou une mauvaise option, mais comment le savoir si l'on ne va pas au fond des choses ? Je pense qu'on a dépassé l'émotion de Fukushima et on est plus serein pour plancher sur ce sujet. S'il est vrai que le nucléaire pose la question de la sécurité, cette dernière n'est pas insurmontable ! Pour résumer, il faut étudier sérieusement cette option avant de décider, ne serait-ce que par curiosité, au lieu d'être dans une position de rejet catégorique. F. N. H. : Le projet gazier donne l'impression d'enregistrer quelque peu du retard... M. A. A. : Il tarde effectivement parce que les gens veulent voir et revoir les copies. Enfin, je ne voudrais pas critiquer un gouvernement qui voudrait être au fait de ce qui a été réalisé. Un gouvernement s'installe et il voudrait faire un état des lieux ! Mais cela prend inéluctablement du temps ! Sachant que le Maroc dispose d'une feuille de route portée depuis 2009 par la plus haute autorité du pays, il faut aller plus vite maintenant. Et nous avons la chance d'avoir une feuille de route aussi bien ficelée d'ailleurs et qui a fait l'unanimité ! Je ne pourrais pas vous donner une réponse immédiate, mais je pense qu'il appartient aux organismes officiels de faire l'évaluation de des politiques publiques et de répondre à cette question. Notamment, le Conseil économique, social et environnemental, un organisme indépendant et constituant un vivier d'experts, peut procéder à une action pareille et apporter sa contribution à la réflexion ! Pour le cas de l'énergie, nous avons eu les deuxièmes Assises à Oujda en mai 2011. Il serait temps aussi de faire le point sur l'état d'avancement de la stratégie énergétique nationale.