Soixante jours après la constitution du gouvernement remanié Benkirane II, une cacophonie avérée caractérise son action, réduite à l'événementiel. Aucune unité de ton, pas d'initiative majeure, hormis le vote cahoteux de la Loi de Finances à la 2ème chambre. Un partage des tâches et des ministères devenus des citadelles... Le calme plat qui caractérise aujourd'hui le champ politique marocain est à rebours de ce que l'on a vécu il y a encore deux mois, avant le 10 octobre, lorsque les attentes s'exprimaient avec une fièvre peu commune au sujet de la nomination du gouvernement. Les interrogations étaient à la mesure de l'événement, elles fusaient de partout, tant l'intérêt de l'opinion publique était vif quant au sort de la coalition au pouvoir, vidée de sa substance par le départ des Istiqlaliens en mai dernier. Une fois renouvelé en partie, le gouvernement que l'on a qualifié de «Benkirane bis» s'est attelé à donner un semblant de change... Ne serait-ce que parce que l'entrée du RNI a calmé peu ou prou les esprits et redonné quelque peu ses lettres de noblesse à la politique ! Les pires ennemis de la politique, les adversaires du PJD, les insensibles au florilège des déclarations et des promesses électorales, les déçus en tous genres se sont fait une raison de ce cap libéral incarné par l'arrivée de Salaheddine Mezouar et de ses coéquipiers au pouvoir ! A défaut de voir s'opérer le changement intégral, ils ont entériné la rectification du tir que les circonstances, politiques, économiques et doctrinales imposaient dans un climat de surenchère qui aura tenu le pays en haleine pendant trois mois. Le premier test majeur sur lequel devait être confronté le gouvernement remanié était la Loi de Finances 2014, qui est à la mission de tout gouvernement ce que l'acte de foi est à une nation attachée à ses institutions, rigoureusement baignée dans la bonne gouvernance. La Loi de Finances est un acte constitutionnel qui n'engage pas seulement le gouvernement, mais la nation tout entière. L'adhésion institutionnelle, autrement dit des composantes du pays, y va «sui generis», parce qu'elle implique au préalable le débat démocratique nécessaire et contradictoire, la «navette» entre les deux Chambres et la longue série d'amendements qui s'ensuit naturellement, avant l'adoption par la Chambre des représentants, en attendant celle de la Chambre des conseillers ! La note de cadrage est venue ouvrir le champ des supputations une semaine après l'installation de la majorité rapiécée, et fin novembre le projet de Loi de Finances a été adopté, non sans laisser les partis politiques de l'opposition sur leur faim et l'opinion publique dans l'indifférence la plus plate, préoccupée davantage par la cherté de la vie, l'inflation galopante et la hausse des prix que par les finauderies politiciennes d'un establishment confronté à la crise de confiance. La guerre des partis a illustré à la fois l'incohérence institutionnelle et, a contrario, l'impératif d'une solidarité gouvernementale, fût-elle au prix d'un ravalement de principes et de phraséologie auquel ils étaient invités ! A la guerre des partis a succédé la surenchère verbale qui, crise oblige, a amplifié un certain dévergondage ... Le gouvernement issu du remaniement dernier s'apparente à une peau de léopard plus qu'à un bloc cohérent, les forces qui le composent n'ayant que la façade unitaire, replâtrée. Mais il a la vertu d'être solidaire et discipliné, plus respectueux de lui-même qu'au temps d'un Chabat qui, magicien et souffleur de feux, n'avait de cesse de peser sur son action et, le cas échéant, de le saborder. Pour autant, la coalition qui gouverne actuellement peine, à coup sûr, à retrouver une certaine unanimité auprès de l'opinion, et se conforme à une sorte de consensus et de politiquement correct ! C'est une division des tâches bien ordonnée qui se décline : le pôle du RNI est bel et bien occupé par Mezouar et ses «camarades de parti», notamment M'Barka Bouaïda qui lui emboîte le pas et fait figure de porte-parole des Affaires étrangères. C'est à l'évidence une emprise certaine que le chef de la diplomatie exerce sur son département, devenu son fief, voire son Etat... Il n'a de compte à rendre ni au chef de gouvernement, ni à ses confrères et, peut-être même se sent-il seulement astreint à l'obligation d'informer le cabinet Royal où, tradition exige, se dessinent les contours de la haute politique étrangère du Maroc. On a compris que la politique étrangère avait besoin d'être confortée dans son image «non alignée», neutraliste positive, et dégagée de l'empreinte idéologique, islamique en l'occurrence ! Elle renoue avec les principes fondateurs que feu Hassan II avait posés dans son discours à la Conférence des pays non alignés, organisée le 1er septembre 1961 à Belgrade (Yougoslavie), où il mettait en exergue le concept de «neutralisme positif» du Maroc face aux deux blocs, celui de l'Ouest, incarné par les Etats-Unis et l'Europe, et celui de l'Est, par le glacis soviétique. Aussi, l'éviction par Abdelilah Benkirane, en octobre, de son homologue et «proche», Saâd Eddine El Othmani du poste de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, s'inscrivait-il dans la logique du nouveau partage des tâches et d'un souci d'équilibrisme au sein du gouvernement que le RNI a imposé, arguant de son poids sur l'échiquier politique, et surtout décidé à pallier le manque à gagner vis-à-vis du PJD. S'il n'a pas obtenu le poste si brigué de ministre de l'Economie et des Finances, Salaheddine Mezouar a décroché la timbale en récupérant la diplomatie que son prédécesseur avait réduit à un exercice de finasseries et à un catalogue de bonnes intentions. L'épisode de son premier voyage, en Algérie notamment, nous en dit long encore sur ses difficultés à comprendre les arcanes du pouvoir algérien qui l'avait mené en bateau et bercé... Comme dans le système solaire, nous sommes en présence de plusieurs galaxies où deux blocs prédominent au sein du gouvernement : celui du PJD, doté de pas moins de onze postes, et celui du RNI qui en compte huit. Les formations qui suivent se partagent des missions à caractère social ou culturel, de l'habitat à l'aménagement du territoire, en passant par l'énergie et le tourisme. L'exercice de gestion auquel ils sont conviés participent d'une communication étrange, individuelle et propre à chaque ministre, voire à chaque «chapelle» ! Deux mois après la formation du gouvernement Benkirane Bis, l'unité de ton et de langage n'est pas encore de mise, et chacun y va de son couplet dans une cacophonie maîtrisée. Le champ politique national serait-il réduit à un vase clos ? Tiraillée par une politique à la petite semaine, où l'événement serait un voyage éclair à Doha du Chef de gouvernement, l'appel introduit à la Cour d'appel de Rabat dans le cadre de l'invalidation de l'élection de Hamid Chabat à la tête de l'Istiqlal, du déjà prévisible vote de l'accord de pêche avec l'Union européenne ou, encore, de l'annonce en boucle de sortie en...avril du livre de Moulay Hicham ?