Driss Cherif Houat, Directeur Général de Attijari Factoring, qui domine le secteur de l'affacturage au Maroc grâce à un chiffre d'affaires de près de 15 Mds de DH réalisé en 2013, livre quelques éléments à l'origine du succès de l'entité qu'il dirige. Celui-ci attire l'attention sur le volume des risques importants que recèle le métier de factoring. Dans le même temps, il soutient énergiquement que l'affacturage, contrairement à une idée bien ancrée, ne concurrence pas l'activité des banques sur le volet du financement. Tout en étant optimiste quant à l'essor du secteur du factoring lors des années à venir au Maroc, Driss Cherif Houat tire la sonnette d'alarme sur l'impératif de se démarquer plus nettement des organismes bancaires classiques. Ce qui met en relief la question de l'offre du factor. Finances News Hebdo : Attijari Factoring est le leader incontesté du secteur de l'affacturage au Maroc, quelle est la clef de ce succès ? Driss Cherif Houat : Il n'y a pas de mystère, le factoring existe un peu partout dans le monde. Une des clefs du succès est la capacité d'adapter le produit au contexte et à la réalité marocaine. Il était hors de question pour nous de faire du mimétisme en copiant ce qui se fait ailleurs (France, Etats-Unis) et l'appliquer coûte que coûte au Maroc. A ce titre, l'offre que propose le factor à la clientèle est déterminante en termes d'adaptabilité. Par ailleurs, il convient de faire remarquer que l'année dernière, Attijari Factoring avait réalisé un chiffre d'affaires de 15 Mds de DH et un résultat net de près de 34 MDH. Toutes les rubriques ont été couvertes. A ce titre, il est utile de citer le factoring pour les corporates, la PME, la TPE, les services à l'import-export pour les opérations domestiques et le confirming. Toutes ces composantes ont été adaptées à la clientèle marocaine. Ce qui était d'autant plus important si l'on sait qu'à la base le factoring est un métier qui peut receler des volumes de risques élevés au niveau technique et commercial. Ces contraintes peuvent amener à éviter certains métiers au profit d'autres. Par exemple, le BTP est historiquement connu à travers le monde comme un secteur qui présente des situations de travaux très délicates à gérer. Ce n'est pas que le risque final qui est difficile à gérer, mais ce secteur pèche au niveau de la nature de sa transaction qui n'est pas bonne. Cela dit, nous cherchons des métiers dans lesquels les besoins sont clairement exprimés dans la transaction commerciale, avec des bons de commande bien établis et des prestations justifiées. L'autre élément qui entre en compte dans l'analyse des risques est la qualité administrative des factures. Pour autant, tous les secteurs, quelles que soient leurs composantes, peuvent intéresser le métier de factoring à condition que leurs transactions commerciales soient transparentes, avec des bons de commande clairs définissant les attentes du client et les engagements du fournisseur. Pour revenir aux risques, je dois vous rappeler que le factor n'est pas dans une logique d'escompte mais dans un financement de facture où la livraison doit être conforme à ce qui a été commandé. Or, parfois, les factures sont financées et au bout de la chaîne le débiteur ne reconnaît pas la prestation. Ce qui vide celles-ci de tout sens et de toute valeur. La banque classique n'est pas prête à prendre ces risques, ce qui explique notre raison d'être. Le factor prend le risque financier qui inclut la défaillance financière. F.N.H. : Est-il avéré que les clients des établissements spécialisés dans le factoring sont les grands groupes et les multinationales ? D. Ch. H. : Pas exclusivement, mais il est vrai que cette catégorie d'entreprises présente toutes les caractéristiques pour avoir des transactions saines. Il est important de savoir que les multinationales ont une approche bien précise de l'expression du besoin, des bons de commande et de livraison. Autrement dit, leurs opérations sont techniquement bonnes avec des repères clairs. La qualité de la prestation peut à cet égard être aisément évaluée, ce qui facilite la démarche au moment de recouvrer les créances dans certaines structures pour ne citer que les grandes surfaces ou les multinationales. Toutefois, les PME nationales prennent de plus en plus conscience des avantages qu'offre le factoring, ce qui explique par ailleurs, les belles performances de notre secteur. Cette prouesse est quelque part la résultante d'un travail de longue haleine car il fallait au début asseoir les fondements juridiques du secteur, être les pionniers concernant certains secteurs d'activités des PME qui ont finalement accepté ce mode. Aujourd'hui, l'assiette du factoring est très élargie au Maroc, avec un nombre d'adhérents en constante augmentation. Pour notre part, nous comptons plusieurs centaines de clients. Ce volume a l'avantage de noyer le risque et de créer un cercle vertueux. F.N.H. : Aujourd'hui, les entreprises priorisent-elles plus les financements par avance sur facture ou les garanties de non-paiement et de recouvrement ? D. Ch. H. : Tout d'abord, il est nécessaire de préciser que le recouvrement et le financement vont de pair. Il est difficile à notre niveau de concevoir un financement à l'aveugle sans recouvrement. Car en ayant la maîtrise du recouvrement, il est plus aisé d'évaluer la valeur de la facture. A partir de ce moment, le financement devient presque acquis. Du reste, la première préoccupation des entreprises devient le financement et le recouvrement, cela est d'autant plus justifié que les entrepreneurs marocains passent beaucoup de temps pour recouvrer leurs créances ou pour obtenir des financements auprès des organismes financiers. Au demeurant, la question de la garantie de non-paiement se pose de plus en plus, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. Pour cause, la défaillance finale des entreprises marocaines était faible, ce qui n'est plus le cas maintenant. Il est aussi important de noter que les taux appliqués dans le secteur du factoring pour les financements sur facture sont similaires à ceux des banques. Toutefois, les taux sont modulés en fonction de la qualité des entreprises, celle de la facture proposée et bien évidemment du risque qui est censé être rémunéré dans de bonnes conditions. En somme, nous nous n'écartons pas trop de ce que fait la banque, nous sommes plutôt à des niveaux similaires. Par contre, la différence réside au niveau de la commission qui sert à couvrir le risque de défaillance financière des débiteurs et le recouvrement qui occasionne parfois des coûts onéreux au Maroc. Par ailleurs, le recouvrement constitue un effet de levier important car la bonne connaissance du portefeuille clientèle donne à l'entreprise la possibilité de lever des fonds puisque c'est sur cette base que le factor effectue le financement. Une fois l'assurance contre le risque d'impayé évalué et le débiteur connu, l'entité chargée du factoring peut facilement procéder au recouvrement elle-même. Ce qui lui permet d'être dans une position privilégiée pour financer sur la base d'une simple facture, ce qu'aucun autre secteur financier n'est en mesure de faire. F.N.H. : Le mode de financement qu'offre le factoring n'est-il pas d'une manière ou d'une autre une concurrence aux banques ? D. Ch. H. : Le factoring était, est encore et restera toujours un produit complémentaire à celui de la banque. Lorsque les institutions bancaires peuvent financer des transactions sur la base d'une étude de dossier couverte par des garanties ou non, bien évidemment elles le font. Par contre, quand celles-ci sont dans l'incapacité d'effectuer cette tâche, c'est là que commence le travail du factor. En mon sens, cela est la définition de base de notre métier. Une banque ne saura jamais financer une facture, elle ne peut le faire qu'à travers une structure à part dédiée au factoring. Car l'approche des entités bancaires est une vision portée sur le cédant. En revanche, le factor transpose le risque du client vers son client avec une transformation du risque à la clef. Aujourd'hui, une entreprise qui a épuisé toutes les voies au sein d'une banque peut disposer de quelques créances non mobilisées. Si ces dernières sont techniquement et commercialement bonnes et que le factor accepte de couvrir le risque du «client du client», il procède au financement. Tout cela pour vous dire que le factor et la banque sont complémentaires. Toutefois, les établissements de factoring doivent se démarquer des banques en proposant de l'assurance-crédit contre le risque d'insolvabilité, tout en faisant du recouvrement effectif et du financement. F.N.H. : Estimez-vous que le factoring a encore des gisements de croissance jusque-là inexplorés au Maroc et qu'il a de beaux jours devant lui ? D. Ch. H. : Le factoring a de beaux jours devant lui au Maroc mais à condition de ne pas le dénaturer et de ne pas le désincarner. Il y a une grande place pour l'essor du secteur mais une question cruciale se pose, celle de son positionnement par rapport au service financier et bancaire classique. Il est clair que la banque continuera de faire son travail qui est l'investissement, l'escompte commercial, les facilités de caisse, les crédits documentaires, etc. Mais en face, il y aura toujours aussi un potentiel incommensurable composé de créances non mobilisées parce que les organismes financiers classiques sont dans l'incapacité de le faire. Ce qui pousse à vous confirmer qu'il y a encore des relais de croissance pour l'affacturage au Maroc car des milliers de factures ne sont pas aujourd'hui mobilisées au Maroc.