Dans le cadre de l'exposition Trésors de l'islam : De Tombouctou à Zanzibar, qui se déroule actuellement dans de nombreux lieux artistiques de Rabat, Jack Lang, président de l'Institut du Monde Arabe (IMA), qui nourrit ce projet depuis 2017, s'est entretenu avec Hespress FR, en marge de cette manifestation inédite, qui déconstruit les stéréotypes sur l'Afrique pour mettre en avant la fierté du continent de ses racines pluriculturelles. Cette exposition, fruit d'une collaboration entre l'Académie du Royaume du Maroc, l'Institut du Monde Arabe, le Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, et la Fondation Nationale des Musées, met en exergue 13 siècles d'histoire, à travers un voyage dans le temps alliant l'art, l'archéologie, l'architecture et l'ethnographie dont témoignent plus de 250 œuvres d'art patrimoniales et contemporaines, issues de collections publiques et privées du Maroc, d'Afrique et d'Europe. Pour marquer l'occasion, Lang est revenu sur ce travail artistique qui porte un nouveau regard sur la richesse culturelle africaine et musulmane, longtemps négligée et oubliée. Selon lui, l'idée est également de rompre avec la pensée colonialiste qui a dénaturé ou délaissé les aspects civilisationnels du continent. "Cette exposition sera pour beaucoup de personnes une découverte. Les préjugés et les clichés ont longtemps dominé le regard sur l'Afrique. Ce fut une vision principalement coloniale propagée par les manuels scolaires, par les médias, par les cafés du commerce, niant que l'Afrique soit un véritable continent de culture profonde qui a émergé ensuite", a-t-il déclaré au micro de Hespress FR. « Elle met en lumière des collections exceptionnelles prêtées auprès de plusieurs musées et bibliothèques du Royaume. Ce sont des œuvres rares issues de Rabat, Marrakech, Tanger et autres villes», indique-t-il. Un hymne à la connaissance A travers ce projet, l'ancien ministre français de l'Education nationale veut rompre avec cette image faussée, pour mettre en lumière une civilisation qui a longtemps contribué au rayonnement des cultures musulmanes en Afrique. Boubous brodés, bijoux en argent, amulettes et autres cuirs touaregs, témoignent ainsi de la foisonnante créativité des artisans musulmans. "Personne ne pensait que l'Afrique puisse être un continent d'écriture hors Tombouctou et d'autres lieux montrent à quel point l'écriture a connu, sauf Maroc où c'est absolument inouïe et exceptionnel. L'architecture issue du Sahara est elle-même très forte et très originale », estime notre interlocuteur. Ce dernier met l'accent sur une exposition synonyme d'un hymne à la connaissance », un « hommage rendu à l'extraordinaire diversité », qui contribue vivement à « décoloniser une certaine vision de l'histoire ». "On a longtemps présenté une vision caricaturale de l'Islam, nié les richesses culturelles de l'Afrique en dehors des arts primitifs qui ont fait l'objet d'achats multiples puis plus tard d'une reconnaissance par certains musées", a confié l'ancien homme politique. L'ambition de lutter contre les idées reçues En effet, cette manifestation conte l'histoire méconnue qui porte sur un tout autre éclairage sur le continent loin des clichés longtemps alimentés, d'une pensée d'une Afrique sans architecture, sans écriture et sans artisanat. "Le regard porté par les occidentaux, disons par les nations coloniales et colonialistes était une vision qui niait que par exemple l'Afrique pouvait être un pays d'écriture, or grâce précisément à ce dialogue entre les marchands par exemple venus du nord, des Africains, ce sont noués des liens très fructueux", relève-t-il. "On considérait que l'Afrique était dénuée d'architecture, je ne parle pas du Maroc qui est un pays d'architecture mais de l'Afrique subsaharienne, hors il suffit de regarder les choses comme les mosquées et d'ailleurs il y'a là un art tout à fait original qui est une sorte d'art sacré entre l'islam du nord et de l'Afrique plus au sud donc ce sont des merveilles", ajoute-t-il. Une exposition révélatrice pour le Maroc Dans ce sens, le président de l'IMA prend pour exemple le Maroc, qui a selon lui joué un rôle éminent dans la diffusion de l'Islam, aussi bien en Afrique du Nord qu'en Afrique de l'Ouest. "L'exposition va être un révélateur pour le Maroc lui-même qui est un pays d'écriture, d'architecture, c'est un grand Etat ancien. C'est donc important qu'ici même à Rabat on puisse montrer que l'Afrique au sud du Sahara est un continent vivant, créatif, inventif", souligne-t-il. « L'événement conduit le visiteur à la découverte de la richesse de sociétés pluriséculaires. Elle porte haut l'ambition de lutter contre les idées reçues et d'ouvrir un champ de connaissance encore trop méconnu. Cette ambition rencontre un écho plus éclatant encore au Maroc. Porte du Sahara, lieu de passage entre l'Afrique du Nord et de l'Afrique de l'Ouest, il a tissé des échanges féconds avec l'Afrique subsaharienne et joué un rôle éminent dans la diffusion de l'Islam à travers ces territoires », souligne-t-il. Lang se dit ravi de voir Rabat, devenir une capitale culturelle, d'où sa légitimé d'arbitrer un événement de cet envergure. Ce dernier estime que le Maroc en est pour beaucoup dans la diffusion de la culture africaine, dans sa richesse culturelle et pluridisciplinaire. "Le Maroc a beaucoup apporté à l'Afrique à travers les confréries, à travers sa présence très ancienne et aussi à travers l'oeuvre introduite par S.M Mohammed VI qui nourrissait une passion pour l'Afrique et qui rappelle, dans sa constitution à quel point le Maroc est une nation africaine". Pour Lang, cette exposition est différente de celle présentée auparavant à Paris, avec des œuvres inédites notamment de la part d'artistes du Royaume. « L'exposition, telle qu'on la voit à Rabat est différente de celle qu'on voit à Paris, elle est dans trois lieux splendides. Elle est enrichie par des oeuvres, venant des collections du Maroc. Elle met davantage l'accent sur précisément l'influence spirituelle marocaine très forte dans les différents lieux d'Afrique occidentale. Ce sera un nouveau regard, une nouvelle approche", conclut-il au micro de Hespress FR.