Chaque fois qu'un mouvement de protestation a émergé au Maroc, quel qu'en soit le nom ou la revendication, il ne tarde pas à montrer des signes de dérives graves et de dérapages regrettables, qui ne peuvent ni être justifiés ni excusés, même si les motivations initiales de la contestation sont légitimes et compréhensibles. Les récentes protestations de la "Génération Z", nées de l'univers numérique et précisément de la plateforme Discord, conçue à l'origine pour les passionnés et professionnels de jeux vidéo, ne font pas exception à cette tendance. Elles s'inscrivent elles aussi dans cette spirale routinière qui accompagne depuis longtemps le champ de la contestation et de la mobilisation populaire au Maroc. Aussitôt que quelques jeunes manifestants ont commencé à exprimer des revendications d'ordre social, ils se sont retrouvés concurrencés dans l'espace public — et parfois même devancés — par des vétérans de la politique, des figures de l'islam politique et des représentants de la gauche radicale. Ces derniers ont vu dans les protestations de la Génération Z une opportunité pour revenir sur le devant de la scène à travers le prisme de la tension sociale, ce qui a fini par éclipser la légitimité des revendications au profit de l'opportunisme et de l'exploitation flagrante des aspirations des jeunes. Mais le véritable problème ne réside pas seulement dans l'instrumentalisation des revendications des jeunes par des aînés, ni dans l'exploitation politique de l'élan de la jeunesse pour faire passer des messages partisans et engranger des bénéfices électoraux. Il se situe surtout dans les dérives de certaines initiatives de protestation qui se sont transformées en appels explicites à la destruction, à la vengeance et au sabotage des biens publics et privés. Tout le monde a pu constater comment certaines pages et comptes virtuels suspects se sont activés pour inciter à l'envahissement et à l'incendie du Parlement, au blocage des autoroutes, à l'entrave à la circulation, ou encore à la cyberattaque de sites sensibles et économiques au Maroc. Plus grave encore, certaines pages appartenant à des individus recherchés par la justice ont diffusé des messages toxiques et dangereux. L'un de ces fugitifs a lancé des appels explicites à cibler les forces de l'ordre, allant jusqu'à publier leurs noms et photos, en guise d'appel à la vengeance et à la violence. D'autres pages, anonymes ou fraîchement créées en parallèle aux mouvements de la Génération Z, se sont spécialisées dans la diffusion de vidéos anciennes ou d'images de manifestations ayant eu lieu dans d'autres pays, tout en les attribuant au Maroc, sans oublier bien sûr les appels à l'escalade et à l'atteinte à l'ordre public. Des pages algériennes bien identifiées ont également pris part au mouvement. Elles ont incité certaines figures connues pour leur hostilité envers le Maroc à descendre dans la rue, à bloquer les autoroutes et à cibler les postes de péage dans les principaux axes routiers, dans le but d'attiser les tensions et de menacer la paix sociale. Il est donc légitime de se poser la question : est-il normal que des mouvements pacifiques se transforment en appels à la violence et à la criminalité ? Est-il acceptable de normaliser des appels anonymes incitant à s'en prendre aux autoroutes, à se venger des forces de sécurité et à semer le chaos ? Le droit de manifester ne donne en aucun cas le droit de violer la loi ou de porter atteinte aux fondements de l'ordre public. Chacun doit respecter les règles et les lois, même en exerçant ses droits garantis par la législation. L'incitation à la violence, aux actes criminels, aux attaques contre les forces de l'ordre et aux menaces contre l'économie nationale relève du domaine pénal, et ne saurait être couverte par la légitimité des revendications. Ce sont là des actes de désordre qui doivent être traités avec la rigueur de la loi, loin de toute démagogie exploitée par certains politiciens, figures de l'islam politique ou représentants d'une gauche radicale en perte de vitesse. Nous sommes face à un phénomène hybride, qui n'est ni un mouvement social structuré avec des revendications claires et assumées, ni un courant politique articulé autour d'un programme revendicatif précis. Il s'agit plutôt d'un état de dérive symbolique, sans direction ni repères, qui risque de transformer toute forme d'expression en simple matière inflammable. Les protestations des jeunes, bien qu'elles soient l'expression sincère d'un mal-être, ne doivent pas être abandonnées à un encadrement chaotique, ni servir de plateforme à des règlements de comptes politiques anciens. Les revendications légitimes de la jeunesse risquent de se dissoudre dans le tumulte des réseaux sociaux et la cacophonie des discours. C'est pourquoi il incombe à tous — individus comme institutions — de protéger la noblesse du droit à la protestation, non pas en la réprimant, mais en l'encadrant, afin d'éviter que les jeunes ne tombent dans les pièges de la manipulation et de l'agitation. La Génération Z a besoin d'être écoutée, certes. Mais avant cela, elle a besoin d'apprendre que la colère, à elle seule, ne produit pas le changement, sauf si elle est maîtrisée par un engagement conscient et portée par un projet national clair, et non par des réactions passagères. L'avenir du pays n'est pas un jeu que l'on dirige via Discord, mais une responsabilité qui exige maturité, engagement et conscience collective, loin de la protection des écrans, des comptes anonymes et de la logique de l'invective.