Née dans l'univers virtuel de Discord, la mobilisation de la jeunesse marocaine, ou de la « Gen Z », illustre l'impact des plateformes numériques sur la contestation sociale. Toutefois, entre revendications légitimes et dérapages constatés, le mouvement interroge sur les limites de la protestation digitale et sur la nécessité de canaux politiques capables d'encadrer la voix des jeunes. A l'ère des réseaux sociaux et des transformations numériques fulgurantes, la protestation ne naît plus dans les cercles militants traditionnels mais dans des espaces virtuels, souvent opaques, où la parole se propage à une vitesse sans précédent. C'est le cas au Maroc, où des mobilisations impulsées par la « génération Z » ou « Gen Z » ont émergé ces dernières semaines sur la plateforme Discord avant de se traduire par des rassemblements pacifiques en premier puis des scènes de tension dans plusieurs villes. Depuis des années, les Marocains évoquent les mêmes maux : la crise de l'éducation, les dysfonctionnements du système de santé, la flambée des prix, l'absence de justice sociale et territoriale. Ces thématiques résonnent dans les cafés, dans les familles, et sur les réseaux. Elles expriment un malaise réel et persistant qui touche particulièrement une jeunesse confrontée au chômage et à l'inégalité des chances. Ces revendications, jugées légitimes par nombre d'observateurs, sont le reflet d'une aspiration à un avenir plus équitable. Elles ne sont ni nouvelles ni marginales. Ce qui change, c'est la manière dont elles s'organisent. Une protestation née en ligne, sans structures syndicales ni partis politiques, portée par des pseudos et amplifiée par l'instantanéité des échanges virtuels. Cependant, ce mouvement a très vite révélé ses failles. La colère initiale, ayant commencé par des manifestations pacifiques et portée par des demandes sociales justes, a été basculé par certains groupes dans des scènes de désordre. Pharmacies incendiées, jets de pierres contre les forces de l'ordre, vandalisme, slogans incendiaires relayés sans filtre, autant d'images qui tranchent avec l'idéal d'un militantisme pacifique et d'une protestation constructive. Comment une colère sincère se transforme-t-elle en chaos ? La réponse réside en partie dans la nature même de la mobilisation numérique. Dépourvue de leadership identifié, sans vision politique claire ni cadre organisationnel, la contestation en ligne est vulnérable aux récupérations. Dans l'enthousiasme des foules virtuelles, il est facile de confondre radicalité et efficacité, et de franchir la ligne rouge entre revendication et destruction. A mesure que le mouvement prenait de l'ampleur, certains acteurs ont tenté de l'instrumentaliser. Figures politiques en quête de visibilité, restes d'une gauche fragmentée, populistes avides de notoriété numérique... Plusieurs courants y ont vu une opportunité de sortir de la marginalité. Sur les réseaux, certains influenceurs n'ont pas hésité à transformer la contestation en spectacle, accumulant « likes » et abonnés au détriment d'un débat constructif. Parallèlement, des médias étrangers ont relayé ces protestations à travers une grille de lecture préconçue, évoquant une « révolte de la jeunesse contre la répression » sans s'attarder sur la spécificité du contexte marocain. Cette narration, largement diffusée, occulte les efforts de réformes graduelles engagés depuis des années, parfois lentes mais réelles, et contribue à façonner une image caricaturale du pays. Ces récents événements ont certainement mis en lumière un manque de relais institutionnels capables de canaliser la colère. Le Maroc ne souffre pas seulement de crises dans l'éducation ou la santé, il souffre aussi d'un vide en matière d'encadrement politique et syndical. Les jeunes, pourtant dotés d'un sens critique aigu et d'une intelligence vive, manquent souvent des outils nécessaires pour transformer leur énergie contestataire en propositions concrètes. C'est là le défi de demain, le fait de créer des espaces de dialogue et des structures qui permettent à cette génération d'exprimer ses aspirations sans sombrer dans le nihilisme ni prêter le flanc aux manipulations. La jeunesse d'aujourd'hui n'évolue pas dans le vide. Le Maroc qu'elle critique est aussi le fruit de sacrifices immenses, dont la lutte contre le colonialisme, les combats pour la liberté et la dignité, les réformes arrachées au prix fort dans des décennies marquées par les restrictions et les « années de plomb ». Les acquis actuels sont le résultat de ces luttes passées. Loin de nier les difficultés, cet héritage impose une responsabilité, celle de bâtir sur les acquis au lieu de les réduire en cendres. Car la colère, aussi sincère soit-elle, ne construit rien sans vision ni engagement responsable. Et l'amour de la patrie ne se mesure pas au nombre de vues ou de partages, mais à la capacité d'apporter des solutions durables sans compromettre la stabilité collective.