Le projet de loi organique relatif à la Chambre des représentants revient au cœur du débat politique. Présenté comme un texte modernisateur, il ambitionne de rajeunir la classe politique et de renforcer la présence des femmes au Parlement. La loi prévoit par ailleurs des mécanismes d'accompagnement, notamment financiers, visant à encourager les candidatures féminines et juvéniles, avec la promesse d'une représentativité plus équilibrée. Critiques féministes Sur le papier, la dynamique semble prometteuse. La loi propose en effet des incitations financières couvrant jusqu'à 75 % des dépenses de campagne pour les jeunes candidats de moins de 35 ans (y compris les jeunes femmes), ainsi que la possibilité de candidater « avec ou sans l'aval d'un parti ». Spécifiuement pour les femmes, le texte maintient le dispositif des circonscriptions régionales qui leur sont réservées avec la liste exclusivement féminine. Une manière d'assurer leur présence dans la Chambre des représentants. Pourtant, les organisations, les activistes et les militantes féministes dénoncent un texte qui, derrière ses effets d'annonce, ne marque pas de rupture réelle avec le passé. «Et qui surtout ne change presque rien. Les dispositions présentées comme nouvelles existaient déjà », s'exclame Khadija Errebbah, experte en Genre et développement inclusif et Coordonnatrice nationale du Mouvement pour la démocratie paritaire. «Rien, dans les amendements proposés, ne garantit un renforcement réel de la représentativité féminine», tranche l'activiste. Mécanismes clairs Côté politique, le diagnostic est tout aussi «préoccupant». Pour Charafat Afilal, cadre du PPS (Parti du progrès et du socialisme), le texte manque de vision opérationnelle. «Quatorze ans après l'adoption de la nouvelle Constitution qui affirme explicitement le principe de parité, nous restons éloignés de sa mise en œuvre réelle», regrette la militante. Afilal reconnaît toutefois « quelques avancées » dans les formulations encourageant les partis à présenter davantage de femmes dans les circonscriptions locales. Mais, insiste-t-elle, cela reste loin d'une progression concrète vers la parité. Pour elle, le nœud du problème n'est pas la volonté affichée, mais l'absence de mécanismes, de financement dédié en amont et de procédures claires. « Les partis disposant de moyens importants parviennent à faire élire des femmes et à les soutenir lors des élections alors que les formations moins dotées en sont incapables d'où l'intérêt d'un financement en amont des candidatures féminines. La parité ne pourra pas se réaliser sans un accompagnement financier et institutionnel réel », explique la militante à L'Observateur du Maroc et d'Afrique. Afilal confie s'être attendue à « une avancée significative lors du prochain scrutin », espérant atteindre 33 à 40 % de femmes au Parlement. « Or les amendements actuels risquent de maintenir la représentativité féminine à un niveau similaire à celui d'aujourd'hui autour de 25 % aux meilleurs des cas, avec même un risque de recul», déplore la militante du PPS. Participation politique en question Au cœur des critiques d'Errebbah figure un point essentiel : « les amendements échouent à traiter les articles les plus importants, notamment ceux concernant la participation politique des femmes ». Le Mouvement pour la démocratie paritaire dénonce par ailleurs « un choix sélectif » des articles amendés, qui contourne les questions structurantes : financement, seuils de candidatures féminines, renforcement de la liste régionale et sanctions contre la violence politique. «Ce sont de petits ajustements, qui ne touchent pas le fond et qui ne modifie pas la réalité politique», résume la coordinatrice nationale du mouvement pour la démocratie paritaire. Cette dernière alerte par ailleurs par rapport à une dégradation de la démocratie participative. Dans une lettre ouverte adressée aux députés, le 20 novembre 2025, le mouvement dénonce la marginalisation des organisations féminines politiques et l'absence de concertation pour l'élaboration de la « nouvelle » loi électorale. «Les consultations ont été menées avec les dirigeants des partis politiques depuis le 2 août 2025, sans associer les organisations féminines partisanes, la société civile ni le mouvement féministe actif dans ce domaine », note le mouvement dans sa missive. Il dénonce par la même occasion la montée de discrimination basée sur le genre et la violence politique contre les femmes. Freins Autant d'obstacles selon le mouvement qui limite toujours la représentativité féminine qui plafonne à 24,3 %. « Un chiffre en flagrant décalage avec les transformations de la société et loin des engagements constitutionnels », constate Errebbah. Selon cette dernière, le véritable frein à la parité réside dans l'absence d'une approche globale : réforme électorale, financement des campagnes, lutte contre la violence politique, autonomisation réelle des femmes... « autant de dimensions souvent traitées de manière fragmentée ce qui en réduit l'impact », ajoute l'activiste de l'ADFM (Association démocratique des femmes du Maroc). Le Mouvement en appelle ainsi à dépasser la seule logique des quotas pour inscrire les femmes à toutes les étapes du processus électoral. De la rédaction des textes à la sélection des candidatures en passant par le financement et l'accès aux fonctions électives. « Sans cela, avertit-il, la parité restera un objectif théorique ». Responsabilité des partis Si le diagnostic est largement partagé, la tonalité diffère quelque peu chez Khadija Zoumi, députée de l'Istiqlal. Elle reconnaît les limites de l'engagement des partis dans la promotion des femmes, notamment dans les circonscriptions locales où les candidatures féminines restent très minoritaires. « C'est un simple calcul. Quand un grand parti présente 180 ou 100 candidatures, si seules 50 sont attribuées à des femmes, le résultat est évident : moins de 20 décrocheront un siège », résume la députée. Pour Zoumi, l'enjeu est double : la représentativité mais aussi l'accès aux fonctions électives, y compris aux postes de responsabilité. Elle s'étonne que les femmes président encore si peu de conseils élus, alors qu'elles représentent plus de 51 % de la population. « Cette moitié de la société ne peut pas rester en retrait et sous représentée au parlement. Elle doit participer pleinement à la mise en œuvre des politiques publiques. C'est l'esprit même d'une parité effective », ajoute Khadija Zoumi. Défi Sans occulter les efforts du ministère de l'Intérieur ou l'encadrement constitutionnel, Zoumi estime que le véritable effort doit désormais venir des partis eux-mêmes. « Les partis politiques sont appelés à relever le défi et à défendre une représentativité féminine élargie avec un accès aux fonctions électives : présidence de conseils, bureaux des deux Chambres, commissions... Les femmes y restent constamment minoritaires. C'est leur devoir d'y pallier », explique la députée. Pour Charafat Afilal, le problème est plutôt global. «Il ne concerne pas uniquement les partis ou le système électoral. C'est un problème d'ensemble : Les mentalités, la société, les institutions, les lois... Tous les acteurs sont concernés. La parité ne peut pas se réaliser sans force de loi, sans mécanismes d'accompagnement, sans incitations, sans un financement dédié et des mesures correctrices. Sans tout cela, rien ne changera », conclut la militante du PPS.