Depuis plusieurs jours, des manifestations se multiplient au Maroc pour réclamer une amélioration de la qualité de l'enseignement public, de la santé et des infrastructures. Ces mobilisations, portées majoritairement par des jeunes issus de la Génération Z, traduisent une nouvelle manière d'exprimer les attentes citoyennes : connectée, horizontale et numérique. Face à cette dynamique, le gouvernement a annoncé l'ouverture d'un dialogue social renforcé, marqué par la volonté d'intégrer davantage la jeunesse dans les discussions publiques. La Génération Z n'est pas seulement celle des réseaux sociaux : elle représente une culture de participation numérique, où la parole se libère et s'organise via les plateformes. Contrairement aux générations précédentes, ces jeunes expriment leur engagement à travers des actions collectives hybrides : hashtags, lives, campagnes collaboratives, pétitions digitales. Ce mouvement traduit une mutation profonde du rapport entre citoyens et institutions : la démocratie se digitalise, et avec elle, le dialogue social. Cependant, une interrogation demeure du côté des décideurs : quelles méthodes adopter pour capter la voix des citoyens et identifier leurs priorités réelles ? Dans un contexte où les attentes sociales se multiplient et s'expriment désormais en ligne, il devient crucial de repenser les outils d'écoute citoyenne. Le Maroc dispose déjà d'un dispositif précieux : le Registre National de la Population (RNP), une base de données centralisée qui rassemble des informations générales, des coordonnées téléphoniques et électroniques, et qui vise à améliorer la gouvernance publique. Cet outil, encore sous-exploité, pourrait devenir un véritable levier de concertation démocratique, au service d'un dialogue social modernisé. Pourquoi ne pas imaginer le lancement d'un questionnaire national, diffusé par SMS ou par e-mail, à destination de l'ensemble des citoyens inscrits au RNP ? Une telle initiative permettrait de sonder directement la population sur ses priorités concrètes : éducation, santé, emploi, logement, infrastructures ou encore environnement. Une démarche de ce type présenterait de nombreux avantages : • Des retours ciblés et fiables, issus d'un échantillon large et représentatif, • Une hiérarchisation des priorités par région, province ou ville, facilitant une planification territoriale différenciée, • La production de statistiques précises, utiles pour éclairer les choix publics et appuyer les arbitrages budgétaires. Au-delà de sa simplicité technique, cette approche constituerait un outil d'inclusion sociale et politique, en donnant à chaque citoyen la possibilité de contribuer à la définition des politiques publiques. Le dialogue social prendrait alors tout son sens : non plus un échange vertical entre représentants et gouvernés, mais un processus participatif, interactif et ancré dans la réalité numérique du XXIe siècle. Bien sûr, une telle innovation suppose l'usage d'outils d'analyse avancés, capables de traiter et de synthétiser de vastes volumes de données. Mais il ne s'agit pas seulement de collecter et de visualiser des résultats : il faut surtout traduire ces retours citoyens en réformes concrètes, réalistes et applicables sur le terrain. L'efficacité du dialogue social digital se mesurera à sa capacité à produire des politiques tangibles, perceptibles dans le quotidien des citoyens. Il convient également de reconnaître les limites structurelles d'un tel dispositif. Une partie de la population reste confrontée à l'analphabétisme, au manque d'équipements numériques ou à l'absence d'accès stable à Internet. Ces contraintes appellent des solutions hybrides : par exemple, des points de participation physiques (dans les communes, les écoles ou les centres de services publics) pour relayer la consultation numérique. Cependant, pour la Génération Z, qui constitue la majorité des nouveaux acteurs de la scène sociale, les conditions techniques sont largement réunies. Leur familiarité avec les outils numériques et leur volonté d'expression offrent une opportunité inédite pour instaurer un dialogue social inclusif, moderne et en phase avec les aspirations d'une société marocaine connectée et participative. Il faut aussi reconnaître que le Maroc reste en retard dans la digitalisation de son secteur public, malgré plusieurs stratégies lancées depuis plus d'une décennie. Selon le CESE, le Royaume occupe encore une position moyenne au classement mondial des services publics numériques, signe d'une transition inachevée. Ce retard s'explique par plusieurs facteurs : faible culture numérique administrative, manque de coordination entre institutions, budgets limités, et fracture numérique persistante, notamment en zones rurales. Ces limites freinent non seulement l'efficacité des services, mais aussi la communication entre l'État et les citoyens. Trop souvent, les plateformes publiques sont peu accessibles, les délais de réponse longs, et les démarches encore bureaucratiques. Il devient donc urgent d'engager une réforme globale de la digitalisation de l'administration, afin d'améliorer la qualité des biens et services publics, renforcer la transparence et surtout instaurer un véritable dialogue digital entre gouvernants et citoyens. En s'appuyant sur les technologies disponibles, sur la connectivité croissante et sur le potentiel participatif de la Génération Z, le Maroc a l'opportunité de transformer son modèle de gouvernance. La digitalisation ne doit plus être perçue comme un simple outil, mais comme un vecteur essentiel de confiance, d'efficacité et de cohésion sociale. *Enseignant chercheur et consultant