Présenté en première mondiale au Festival international du film de Marrakech, El Sett de Marwan Hamed s'impose comme l'un des projets les plus ambitieux et sensibles de cette 22e édition. Sur près de 160 minutes, El Sett reconstruit avec ampleur la trajectoire de la diva, de son enfance modeste dans un village du delta du Nil jusqu'à son accession au statut de « Planète de l'Orient ». Marwan Hamed, dont l'intérêt pour les récits biographiques a nourri la genèse du projet, s'attache avant tout à restituer les tensions d'un destin façonné par la volonté et la résistance. Le film revient sur ces années où la jeune Oum Kalthoum, contrainte de se déguiser en garçon pour chanter, affronte les interdits, les humiliations, les refus. Il montre comment la voix, d'abord perçue comme transgressive, devient peu à peu un outil d'émancipation, puis un phénomène artistique et social. Cette progression, faite de ruptures et de décisions difficiles, est filmée comme un affrontement permanent entre l'individu et son époque, entre l'intimité de la femme et l'immensité du mythe qu'elle finira malgré elle par incarner. Mona Zaki : un rôle total, un vertige assumé Dans le rôle principal, Mona Zaki livre une performance habitée, où l'effort de transformation, vocal, gestuel, psychologique, se ressent dans chaque scène. L'actrice a confié que El Sett était « le projet le plus difficile de sa vie », tant par l'exigence technique que par la charge émotionnelle. Plus d'un an de préparation quotidienne, guidée par des coachs spécialisés, ont été nécessaires pour traverser les différentes périodes de la vie de la diva. Sa force tient moins à la mimésis qu'à la capacité d'accéder à la part humaine du mythe, à ces fissures qu'on n'associe pas spontanément à Oum Kalthoum : le doute, la colère, l'épuisement, la solitude. Zaki interprète une femme qui se bat autant contre le monde extérieur que contre ses propres contradictions. Mounir Mehimdate L'actrice redoutait les comparaisons, notamment avec la Sabreen du feuilleton culte, et elle a raison : El Sett suit une autre voie. Il ne cherche ni la performance imitatrice, ni la reconstitution sacralisée. Hamed et Zaki parient sur une incarnation plus fragile, parfois inconfortable, mais plus proche d'un être humain que d'une icône. Humaniser sans trahir : le pari du film L'un des choix les plus significatifs du film est l'alternance entre noir et blanc et couleur. Là où la couleur évoque les moments de lumière, de création et d'ascension, le noir et blanc plonge dans les zones de conflit : les déceptions, les tensions familiales, les crises intérieures. Ce contraste visuel renforce la narration et contribue à démythifier la figure d'Oum Kalthoum, en soulignant la part de douleur enfouie derrière la puissance vocale et la stature publique. Marwan Hamed, lors de la conférence de presse, rappelait que son objectif n'était pas de rivaliser avec les œuvres existantes, mais d'accéder à une vérité émotionnelle parfois absente des représentations antérieures. Selon lui, la vie de la chanteuse demeure un réservoir infini d'histoires — un puits encore loin d'être épuisé. Mounir Mehimdate Le film refuse ainsi la posture muséale : il interroge la femme derrière la légende, explore ses doutes, i interroge les sacrifices qu'exige un destin exceptionnel. El Sett ne cherche pas à enfermer Oum Kalthoum dans sa grandeur, mais à retrouver ce qui faisait battre son cœur. Au-delà du portrait individuel, El Sett résonne comme un récit d'endurance féminine, rappelant qu'Oum Kalthoum fut, avant tout, une femme ayant conquis un espace interdit. Hamed insiste sur ce point : rendre son parcours accessible aux nouvelles générations signifie raconter non seulement son triomphe, mais les murs qu'elle a dû briser.