En 2025, le Maroc s'est imposé comme un acteur central dans l'architecture agricole européenne. Le Royaume occupe désormais la première place parmi les fournisseurs d'engrais de l'Union européenne, consacrant une mutation géoéconomique qui recompose les cartes de la sécurité alimentaire et des chaînes d'approvisionnement sur le continent. Selon les statistiques les plus récentes du bureau européen Eurostat, le Maroc a conquis 19 % de part de marché dans les importations d'engrais de l'UE. Ce score le propulse devant des fournisseurs historiques tels que la Russie et l'Égypte. La Russie voit sa part ramenée à 12,8 %, reléguée au deuxième rang, tandis que l'Égypte occupe la troisième place avec 12 %. Ce basculement n'est pas anodin. Il traduit une réorganisation en profondeur des flux européens d'approvisionnement. Les exportations russes d'engrais vers l'Union connaissent en 2025 une contraction continue, tournant la page de trois années de croissance, enregistrées malgré un contexte politique tendu. Eurostat relève que la part de la Russie dans les importations européennes est passée de 25,8 % au début de l'année 2025 à 12,8 % en fin d'exercice. Quatre ans plus tôt, ce taux atteignait encore 28,2 %. Cette chute rapide illustre la volonté de Bruxelles d'orchestrer un « désengagement économique » progressif vis-à-vis de Moscou. Après une phase d'hésitation dans l'immédiat après-guerre en Ukraine, déclenchée en février 2022, le mouvement s'est accéléré tout au long de l'année 2025. Le recul s'inscrit plus largement dans la contraction sans précédent des échanges entre l'Union européenne et la Russie. Au troisième trimestre 2025, les exportations européennes vers la Russie n'ont pas dépassé 7,25 milliards d'euros, tandis que les importations en provenance de Russie se sont établies à 5,73 milliards d'euros. L'UE dégage ainsi un excédent commercial trimestriel d'environ 1,5 milliard d'euros, une première depuis le lancement des séries statistiques en 2002. Sur les neuf premiers mois de l'année, les échanges bilatéraux ont reculé de 12,9 %, pour atteindre 43,9 milliards d'euros. Dans ce paysage en recomposition, le Maroc apparaît comme un partenaire de substitution crédible et recherché. La flambée des prix de l'énergie et du gaz naturel en Europe avait fragilisé l'industrie locale des engrais, rendant attractives les importations russes, bon marché et immédiatement disponibles. La décision européenne de réduire cette dépendance pour des raisons géopolitiques a rebattu les cartes. Les Vingt-Sept se sont tournés vers Rabat, attirés par trois atouts : fiabilité, proximité géographique et capacité de production. Eurostat évoque un processus structuré de « substitution » : les produits russes sont remplacés par des approvisionnements en provenance de pays jugés plus sûrs, au premier rang desquels le Maroc. Ce dernier ne s'est pas contenté de dépasser la Russie et l'Égypte ; il a consolidé son statut de premier fournisseur et de garant de la sécurité agricole européenne. Ce positionnement s'appuie sur plusieurs éléments. Les flux commerciaux marocains sont demeurés stables, insensibles aux soubresauts politiques. Les investissements dans les infrastructures portuaires et industrielles ont renforcé les capacités logistiques. Le rôle du groupe OCP, géant mondial du phosphate, demeure central. S'y ajoute le respect scrupuleux des engagements contractuels : Rabat ne brandit ni l'engrais ni l'alimentation comme instruments de pression diplomatique, un argument apprécié à Bruxelles dans un contexte de forte volatilité des marchés. À l'orée de 2026, le Maroc s'impose ainsi comme un pilier pour les systèmes agricoles européens. L'accès sûr, régulier et durable aux engrais devient une condition de stabilité pour de nombreux États membres. Rabat s'insère désormais au cœur des stratégies de sécurité alimentaire d'un nombre croissant de pays occidentaux, confirmant son rang de puissance mondiale sur le marché du phosphate et de ses dérivés.