Meknès se relève d'une longue léthargie. Un passé glorieux et des potentialités prometteuses. Saura-t-on doter la Cité de Moulay Ismaïl d'un destin moderne ? En ce dimanche de septembre 2005, le Roi présidait une réunion de travail consacrée à la ville de Meknès. La faillite de la Régie autonome de transport urbain à Meknès et l'avortement de la gestion déléguée, constituèrent la goutte qui fit déborder le vase : la colère Royale s'abattit donc sur les autorités territoriales, plus particulièrement le Maire de la ville. Celui-ci fut sommé par le Souverain de trouver une solution au problème du transport urbain dans les deux mois ! Ce qui fut fait après deux ans de galère, les Meknassis peuvent enfin emprunter des bus à l'aspect plus ou moins correct. N'empêche, la population, longtemps sensible au discours populiste de la majorité municipale PJD – forte de ses 13 membres que conduisait l'ex-Président Belkora – , s'est aujourd'hui littéralement retournée contre le Maire. «Pour une fois, un rapport du ministère de l'Intérieur, publié par certains journaux, a eu un franc succès auprès des administrés. Même ceux qui ne savent pas lire en ont eu connaissance. Les faits précis que ce rapport a pointés étaient plus ou moins connus des Meknassis. Notre colère a été provoquée surtout par les libéralités accordées par Belkora à sa propre épouse. A ce fait précis, les réponses de l'intéressé, également publiées par les gazettes, n'ont guère convaincu. Et dire que ce Monsieur se prévalait d'un credo moral islamique !», s'indigne Haj Ali R. un «bazariste» de Qobbat As-Souk. Aujourd'hui, le dossier a été confié par le ministère de Tutelle à la justice. Mais le sentiment d'avoir été «floué» domine chez la population. «Autant l'ex-wali Aourid n'a guère démérité à plus d'un titre, autant l'ex-maire ne cessait de creuser le décalage entre ses propres propos mielleux faisant référence à la morale islamique et ses agissements souvent autocratiques. En réalité, peu importe la couleur politique de cet individu. Nous espérons que la procédure qui lui a été opposée par le ministère de Tutelle soit actionnée à l'encontre de tous ses homologues qui trahissent la confiance des électeurs», affirme Ahmed N. un fonctionnaire municipal. En réalité, Meknès est acculée à assumer sa «schizophrénie dynamique». En effet, à l'instar des trois autres villes impériales, Meknès est scindée en deux espaces urbains : la Médina et la ville nouvelle. Ici, l'Oued Boufekrane est venu opérer la séparation. Hamria affiche ses vitrines alléchantes, ses terrasses noires de monde et ses artères solidement asphaltées. La classe moyenne, durement frappée par la cherté de la vie, y déambule comme si elle voulait se convaincre d'une appropriation -certes illusoire- de cet espace «européanisé». Mais, affirme Karim Belmakhlouf, militant d'une Coordination (tançiqia) vouée à la lutte contre la vie chère, «c'est au quartier Sakkakine que la classe moyenne consent à satisfaire ses principaux besoins». Sakkakine, un serpent tortueux où triomphe l'informel. Ici, on trouve aussi bien le nec plus ultra de l'électronique, de l'électroménager et de l'informatique que les pièces de rechange de l'automobile ou le mobilier. «C'est en été, à l'arrivée des «immigrés» que nous arrivons à nous en sortir. Le reste de l'année, on ne réalise que des ventes «difficultueuses» : les crédits consentis par nous non honorés, les chèques sans provisions et les retours de marchandises soi-disant défectueuses, constituent notre lot quotidien. Assumer le statut de «ville impériale En vérité, les gens souffrent», nous confie Moulay Larbi Filali, propriétaire de trois boutiques à Sakkakine. A l'instar de la ville ocre, Meknès abrite son propre (quartier) Berrima. Il s'agit, ici, de la ville ancienne, la médina. Un début bien timide de requalification urbaine semble avoir flirté avec les vieilles rues où survivent plusieurs familles dans une même maison. Le vent du Nord ne semble pas près d'embrasser cette médina qui, pourtant, abrite des demeures seigneuriales et des Riads de toute beauté. Mais, assure le moqaddem du coin, «la majorité de ces demeures ont été «envahies» par des familles qui habitent chacune une pièce. Personne ne se préoccupe de l'ensemble ; chacun tient à sa «piaule», se désintéressant totalement du reste. Une conséquence de l'exode rural !». De la bouche d'un moqaddem, cela étonne-t-il ? Changement de décor. Au quartier Sidi Baba, la boue s'est emparée des ruelles mal tracées et truffées de trous. Une zone de non-droit qui a enfanté une typologie de délits et de crimes digne du Guinness. Un Sidi Moumen local où la détresse se lit aisément sur chaque visage. Idem pour Sidi Bouzekri. Des «quartiers-Sidi» désertés par la dignité, et où la grande pauvreté est en train d'amplifier la haine sous ses formes les plus détestables. Le record est atteint par la galaxie suburbaine située derrière les quartiers Marjane et Mansour. Là, les relations sociales s'apparentent à celles qui prévalent à la périphérie de Calcutta : A ras les boyaux ! Le chômage, la désolation, l'exclusion, la délinquance et la violence se sont emparés d'une jeunesse aux abois. D'ailleurs, la population meknassie est l'une des plus jeunes du Royaume. Le «bipôle» Meknès-Fès Si elle peut se prévaloir de ses écuries «impériales» datant de temps immémoriaux, et si elle offre l'un des festivals du cheval les plus fournis du monde arabe, la ville de Meknès peut légitimement s'enorgueillir de son célèbre Salon de l'agriculture. Mais, la cité ismaélienne semble manquer de ce quelque chose qui fait renaître les vieilles agglomérations. «Essaouira a été ressuscitée grâce à la combinaison du triptyque : mémoire, culture et tourisme. Marrakech l'a été par le binôme : «faire bon vivre» et tourisme. Meknès n'arrive pas à trouver sa vraie vocation», assure Mustapha Lamrabet, chercheur sociologue. En fait, nombre d'économistes marocains ne voient point le salut de la Région en dehors de la conception, de la mise en œuvre et de la consolidation du «bipôle Meknès-Tafilalet et Fès-Boulemane». Mohamed Faouzi, qui officiait en qualité de gouverneur de Casa-Anfa, vient d'être nommé wali de Meknès-Tafilalet. Plus qu'une promotion, il s'agit d'un challenge que le nouveau wali est appelé à réussir à l'ère des urgences et des contraintes socioéconomiques et financières. Une ville imperiale . Longtemps délaissée «Versailles du Maroc» ou encore «Petit Paris», ainsi appelait-on Meknès du temps de la présence protectorale française dans notre pays. A l'évocation de la ville d'El Hadi Benaïssa, les Marocains ne retiennent souvent que le règne sultanal de Moulay Ismaïl. En réalité, l'histoire de Meknès remonte au moins au VIIIe siècle, à la création d'une bourgade rurale non fortifiée. L'installation au IXe siècle des Meknassa, une tribu berbère qui établit son campement au nord de l'oued Boufekrane, donna son nom à la ville. Les Almoravides en firent un site militaire au XIe siècle. Les Almohades détruisirent la cité, coupable de résistance, pour en construire une plus grande avec des mosquées et de puissantes fortifications. Lorsqu'ils s'en emparèrent, les Mérinides construisirent des médersas, des kasbahs et des mosquées au début du XIVe siècle. Sous les Wattassides, elle constituait une ville prospère. Au XVIIIe siècle, Meknès devint la capitale administrative du Maroc, sous le règne du Sultan Moulay Ismail. Durant longtemps, Meknès sera marginalisée. En dehors des carences gouvernementales des 40 dernières années, la ville des oliviers subira la prééminence de Fès, la capitale spirituelle et -auparavant- politique du Royaume. Ainsi, Meknès a-t-elle souffert du même type de marginalisation qu'Essaouira, longtemps «écrasée» entre Marrakech et Agadir. Conséquence mécanique : dès l'aube des années 80, le taux de criminalité a explosé au point de produire des profils psychopathiques de la férocité du fameux Boulouhouch, condamné à mort et dûment exécuté. Aujourd'hui, la ville se relève peu à peu de son agonie anhistorique. Elle se transforme peu à peu en un vaste chantier destiné à braver les handicaps et exciter les potentiels socioéconomiques.