Fouad Ali Himma. Voilà un nom qui nourrissait tous les fantasmes. Tantôt, l'homme du Roi, tantôt fantôme de l'opéra, il était presque l'invisible de l'Etat. A force de le voir partout, la presse en a fait la main divine qui fait et défait les destins et les hommes. On l'affabule de tous les maux, et on lui taille des habits, démoniaques et superhumains à la fois. Lui, c'est l'Etat à l'impersonnel, le marionnettiste, le magouilleur. Mais, surtout la force muette de la monarchie. A tel point que la nouvelle de son interview accordée à “Al Ahdath Al Maghribia “ s'est répandue comme une traînée de poudre. Est-ce vrai ? Témoin irremplaçable, son silence lui collait comme une peau. Il était même, une nature politique. Incroyable, on découvre, presque avec surprise, qu'il parle, polémique, pourfend et ironise. Parfois, on n'a pas besoin de lire en filigrane, entre les lignes. Il suffit de prendre ses réponses à la lettre. Il y a la phrase crue : “je suis accusé de plusieurs maux. Et si j'ai décidé de parler, c'est pour rompre le silence qui, in fine, ne sert que les intérêts d'une minorité de professionnels de l'intox”. Qui sont-ils ? Une minorité, c'est tout. Au lieu de s'y attarder, mieux vaut aller à l'essentiel. Se fait-il sans Ali Himma ? Celui qu'on croit voir derrière toutes les décisions et le “grand jeu“ du pays s'en défend : “au Maroc, il n'y a ni l'honneur n° 1, ni le n° 2, ni… le n° 10”. On est dans un pays organisé, structuré dont l'action harmonieuse est mise en musique par le Roi. Chacun, sa place. La sienne “c'est S.M le Roi qui l'a déterminée (…) je l'honnore dans le respect total des compétences”. Décodons : loin d'être l'homme fort de l'Intérieur, il respecte la hiérarchie. “Ni Ahmed Midaoui, ni Driss Jettou et encore moins Mustapha Sahel ne s'est plaint d'un quelconque outrepassement de ma part“. Certains le donnaient pour le véritable chef à bord de l'Intérieur. Driss Basri, on s'en souvient encore, n'a pas hésité à traiter M. Sahel de “ simple porte-parole”. F.A.H, lui, remet les pendules à l'heure, se démystifie et rejette un quelconque hégémonisme, longtemps typique des hommes de l'ombre de l'Etat. Dans la foulée, il s'insurge presque qu'on lie son ascension à son “ amitié” avec le Roi, de classe, s'entend, qui aurait fait de lui la pièce maîtresse du carré rapproché. C'est sa manière de refuser l'insinuation, malhonnête et tendancieuse du Maroc en tant qu' “Etat copains“. Sa carrière, il la doit à son “expérience, à son savoir-faire, acquis sur les bans des études et sur le terrain, du temps où il était élu, puis député”. On dirait qu'il a perdu son innocence, contrairement à d'autres de ses camarades de classe, en intégrant l'Intérieur ? Loin s'en faut, plus emblématique, donc suspect, ce ministère est pour son ministre délégué un espace de perfectionnement. Les fantômes, les anges exterminateurs et autres collectionneurs de cadavres, il faut les chercher ailleurs. “Il n'est pas de nos traditions politiques de commettre des crimes”, répond-il sans appel. Les canulars d'été, propres aux télénovelas de Hicham Mandri, aux officiers libres en passant par le capitaine Adib, Mohamed Abdelaziz, ne sont que le fruit d'imaginations débridées. Il s'en moque : “ Hicham Mandri est un escroc, son parcours est digne d'un film de série B“. Il polémique : Ces paranos, pour qui rien de bien ne peut être du sort de ce pays “qu'ont-ils fait pour lui, à part ces séries d'été ? “. Fouad Ali Himma se réclame sans complexe du “ néo-makhzen”. “Si, affirme-t-il, j'incarne le nouveau makhzen, et je suis fier de servir mon Roi et mon pays“. Au cœur du labyrinthe de l'Etat, la raison la plus dévote est la meilleure. Pour Ali Himma, c'est une devise qui, quoi qu'elle reste politique, n'en renvoie pas moins au style de l'homme : “ nul n'est en mesure de flétrir le feu de la volonté de servir S.M le Roi et le Maroc”. Qui donc, lui en veut et cherche à éteindre “ce feu sacré” ? On ne saura jamais la réponse. A tout le moins, maintenant. Bizarrement, l'homme auquel on reproche tout plaide innocent. La seule fois où il plaide coupable, il avoue avoir un faible pour les films d'espionnage et de traque. Les polars, aussi. Il n'est pas le seul, d'ailleurs. Cette passion, il la partage avec le “prince rouge”. Pourquoi donc le harcèle-t-il ? Absolument. S'ensuit une longue explication. “S.A.R Moulay Hicham est membre de la famille royale. Moi, fils du peuple, et à l'instar de tout les Marocains, j'ai grandi dans la tradition du respect total de chacun des membres de cette famille”. Ce respect interdit donc “ tout intéressement à ses propres affaires”. Affirmation qui vaut son pesant en politique cependant : “ L'activité du prince ne constitue aucune menace !” Donc, toute confusion, est nulle et non avenue. Les rapports entre le ministre et le prince, eux, remontent à l'âge tendre. Himma en a certes des souvenirs. “Ceux de la passion commune pour les films d'espionnage, des polards et des westerns du genre le bon, la brute et le truand”… Insinuation, ou relation de faits ? Une chose est sûre : l'un a pu réaliser son rêve de devenir policier, l'autre… garde-t-il encore ce goût pour les intrigues ? Et Nadia Yassine ? “Elle n'est pas la seule qui a horreur de l'oubli”. Mais croire qu'elle “peut secouer l'arbre de ce pays”, c'est une illusion, pure et simple. L'homme, incessamment casé parmi les plus irréductibles du système, minimise les déclarations tracassantes de la passionnaria islamiste. Il n'y a pas de quoi crier gare, semble-t-il commenter. Reste les partis ? “Ce sont eux qui sont les vrais représentants des citoyens”. Ce sont les partis, également, qui décident de leurs propres sorts. Ou encore : “Mes rapports avec les partis sont donc normaux”. Plus, à lire ses propos, on dirait qu'il épouse les analyses et les convictions des membres des partis. Ceux-là même que la longue tradition de méfiance en a fait les hommes à “classer”. Un exemple parmi d'autres : “C'est l'instauration de la confiance entre les deux parties, Monarchie et partis nationalistes qui a donné la transition”. Un Abbas Fassi ou Mohamed Elyazghi se serait-il exprimé autrement ? La parole est-elle donnée à Ali Himma pour cacher sa pensée ? Ce serait verser dans la paranoia que de répliquer par l'affirmative. Mais ce serait faire preuve d'une prétention inappropriée que de déceler tous les “messages codés”. Reste à dire, que finalement, lui aussi donne des coups, se surprend en homme ordinaire, part en guerre contre des préjugés avec autant de force qu'il avait, entre-temps, désigné quelques-uns de ses pourfendeurs. Enfin, il parle pour marquer, que lui, l'homme d'Etat, n'a pas à porter le chapeau, faire “ le souffre-douleur” de tous les mécontents ; et faire les frais de choix arrêtés communément. Une ombre qui se démystifie, c'est un plus de visibilité.