Régulièrement, des jeunes protestent, occupent des espaces publics pour dire leur «mal-être». Une colère parfois diffuse, violente mais assurément cumulée et frustrante. Les manifestations durent quelques heures ou quelques jours. Ces coups de colère sont, depuis le début du printemps, constants. Ils incarnent une forme de «catharsis de groupe», à but de se libérer de tant de silences empilés, renfermés et que d'autres approches n'ont pu canaliser ou résoudre. Les jeunes des pays arabes ont longtemps vécu dans la peur, leur volonté et leurs désirs étaient refoulés. Ils ont été privés de véritables progrès sociaux pour ne disposer que d'un simulacre de citoyenneté. Souvent, on «s'inquiète des fleuves qui débordent, mais jamais des digues qui les enserraient», disait l'expression... Chômage, vie chère, inégalités, clientélisme, absence d'avenir... Les jeunes expriment alors leur ras-le-bol quand ils ne décident pas de se brûler, d'émigrer clandestinement ou de rejoindre des mouvements extrémistes les endoctrinant aisément. Il suffit de regarder la pyramide des âges pour comprendre que cette jeunesse déborde en nombre, mais aussi en espoirs grandissants. Elle revendique, communique en investissant les voies non coutumières ou traditionnelles. Par ces révoltes, elle fait valoir ses volontés. Elle s'estime lésée et «non écoutée par une classe politique vieillissante et stéréotypée». Les difficultés à accéder à un logement décent, la rareté de l'emploi et l'absence de perspectives de développement et d'émancipation sont autant d'obstacles qui la préoccupent. Incontestablement, les jeunes ne sont pas les délégués des adultes ou les dépositaires de parents fatigués de se sacrifier, fatalistes et soumis. Ils ont leur propre univers. Ils ressentent la crise économique, les contradictions sociales et les impasses politiques en développant leurs propres réflexes qui ne sont pas, forcément, similaires à ceux de leurs prédécesseurs. Selon différentes estimations, les moins de 20 ans constituent 60 à 65 % de la population des pays arabes. Pour autant, jusqu'à une date récente, leurs réclamations n'obtenaient pas une attention suffisante. Quelles sont ces instances en lesquelles ces jeunes s'identifient ou retrouvent une forme de légitimité pour s'apaiser et envisager l'avenir sereinement ? Ils souffrent, effectivement, de l'écart grandissant ou du «fossé des générations» avec leurs gouvernants. Ceci constitue indéfectiblement une entrave à leur pleine insertion dans la dynamique socio-économique de leurs pays. Malgré une croissance soutenue dans leurs contrées, des milliers de diplômés arrivent chaque année sur le marché du travail. Le chômage des moins de 25 ans se situerait aux alentours de 20 %, au lieu de 14 % en moyenne. Les experts estiment qu'il faudrait une croissance de 8 % pour absorber les nouveaux demandeurs d'emploi. En outre, une bonne partie des filières proposées par les universités ne sont pas adaptées au marché du travail. Le constat est le même au Maroc, où seules quelques formations sélectives préparent aux métiers dont le secteur privé a besoin. «Lorsque la politique capitule ou se retire, écrit Daniel Bensaïd, l'économique apparaît comme une seconde nature et comme une loi naturelle. Le recul de la politique et son discrédit entraînent l'acceptation de l'économique comme une sorte de destin, de fatalité de l'ordre des choses. (...) ». Mais de quelle économie s'agit-il ? Une économie dépourvue de l'ancrage dans un projet de société mobilisateur, plus encline à la rente qu'à la génération d'équilibres ? La communication a certainement été aussi motrice de ces événements quand les foyers accèdent au satellite, avec notamment des chaînes d'information en continu comme Al-Jazeera, qui émettent dans tout le monde arabe, et qui relayent les mouvements au sein des différents pays. D'autre part, l'Internet et l'utilisation des réseaux sociaux jouent leur rôle de «mise en liaison» et de convergence entre ces jeunes en mal de vie. Assurément, le soulèvement des jeunes est le résultat de contradictions flagrantes entre leurs attentes et la rigidité des dirigeants qui, pour la plupart, ne comprennent pas les contraintes actuelles et la nécessité de suivre le rythme des changements que connaît le monde. Les gouvernants doivent entreprendre des réformes audacieuses sur les plans économique, politique et social, sans laisser la moindre possibilité à l'infiltration des idéologies extrémistes. Ils ont aussi à agir sciemment, afin de permettre aux jeunes de participer à la vie politique et à la prise de décisions. Les jeunes ont dû recourir aux protestations et à la révolte, car le manque de libertés et de confiance les y a acculés. Ce qui se produit dans les marges d'une société, se «fabrique bien au centre», rappelait Michel Foucault. Il faut donc une véritable transformation sociale et démocratique,au sein de laquelle la jeunesse et des représentations fortes du peuple puissent jouer un rôle entier et efficient.