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«Je culpabilise de vivre de ma passion !»
Publié dans Les ECO le 04 - 04 - 2014


Ibrahim Mâalouf
Trompettiste et jazzman
Il est discret, drôle et gentil. Ce virtuose de la musique, issu d'une belle famille d'intellectuels, propose un voyage entre l'Occident et l'Orient avec sa musique jazz oriental, mélange de funk, hip hop et de musique classique. Il est l'invité de la 9e édition du Jazzablanca et a livré un concert qui marquera à jamais les annales du festival. Rencontre avec Ibrahim Mâalouf, heureux d'être là et de se prêter au jeu «anormal» des interviews...
Les ECO : Vous utilisez une trompette «quart de tons» que votre père a inventé. Qu'est-ce que cela apporte à votre musique et à la musique de manière générale ?
Ibrahim Mâalouf : C'est important de casser une idée reçue. Ce n'est pas forcément l'invention du piston supplémentaire sur la trompette qui a vraiment tout changé. C'est plus un outil qui a servi à mon père pour jouer de la trompette différemment, jouer de la trompette de manière à pouvoir interpréter de la musique arabe. Avant mon père, la musique arabe était très peu jouée à la trompette, même presque pas du tout. Un trompettiste en Egypte, Sami El Babli qui jouait très peu, et il y a aussi de la trompette dans le raï, mais c'est pas très oriental dans la façon de jouer, c'est plus fanfare. Mon père est un vrai passionné de trompette, contrairement à moi, il était paysan au Liban, il a découvert la trompette à 23 ans et sur un coup de tête a quitté son pays pour la France afin d'étudier ça. Ce qu'il voulait, c'était jouer comme il chantait, dans la tradition musicale arabe. Il s'est rendu compte que ce n'était pas possible. Il a changé sa manière de jouer et l'apport du piston supplémentaire l'a aidé à jouer des quarts de ton plus justes. On peut les faire sans ce piston, mais ce n'est pas très juste. L'apport que cela a pour la musique, je prêche bien sûr pour ma paroisse, c'est un héritage dont je suis très fier, c'est un instrument qui permet de faire le pont entre la musique arabe et la musique occidentale. La trompette est très connue dans le jazz, dans la musique classique, dans la salsa, dans beaucoup de musiques mais pas dans la musique arabe. Donc aujourd'hui, la trompette peut enfin intégrer le territoire de la musique arabe que l'on sait millénaire et riche d'une tradition vocale très importante. C'est un apport, je pense, intéressant, je pense que c'est une petite pierre à l'édifice musical du monde, mais c'est toujours une pierre supplémentaire avec des matériaux différents, et peut-être qu'un jour, quelqu'un construira quelque chose avec cela. J'ai la chance d'avoir pratiqué cet instrument et de pouvoir exprimer ce que j'ai à dire, mon mal-être en tant qu'être humain comme tout le monde à travers quelque chose de nouveau. De ne pas avoir à recycler quelque chose qui existe déjà mais de pouvoir avoir une matière première que personne n'a encore découverte et d'exploiter tout cela. C'est une chance, un petit trésor.
Est-ce que c'est cette trompette qui vous a donné l'envie de fusionner l'univers oriental et l'univers occidental ?
Oui, tout à fait. J'ai un handicap. On me catégorise tout le temps dans le jazz et l'on me dit que je fais partie d'une démarche jazz. J'ai des influences jazz importantes, je joue d'un instrument connu dans le monde du jazz. J'ai fait un hommage à Miles Davis dans mon quatrième album. Le jazz est là mais le hip hop et le rock sont très présents aussi. La pop est présente dans la musique. Si je ne jouais pas de cette trompette, la trompette de mon père, j'aurai arrêté de jouer d'un instrument. Pour moi, c'est composé pour le cinéma. Récemment, j'étais sur le film d'Yves Saint Laurent, pour Grand corps malade, pour des chanteurs et même pour des orchestres. Récemment, j'ai écrit des pièces symphoniques, j'adore ça. C'est dans cela que je me plais vraiment. Après j'adore être sur scène. C'est exaltant, c'est agréable, c'est un moment de fête. S'il n'y avait pas la trompette, je serai resté compositeur et comme je joue beaucoup au piano, je serai resté au piano. Je pense que je n'aurais pas fait de scène.
Vous êtes l'exemple d'une intégration réussie, vous êtes né au Liban, vous vivez en France et vous créez une musique qui allie vos 2 cultures. Est-ce que la musique vous a sauvé ?
Tout ce qui concerne la musique me passionne. C'est mon mode d'expression. Quand j'étais petit, on est arrivé en France, je ne parlais pas français du tout. On m'a mis à l'école, j'étais le garçon dans la cours qui ne comprenait rien à ce qu'on lui disait et qui passait son temps à jouer seul et à chantonner. Chanter, c'était ma manière de me sentir bien. Même aujourd'hui chanter est une façon pour moi de me libérer de mes angoisses d'être humain, ma manière de les sortir à travers la musique et c'est rester là, c'est devenu mon métier. J'ai souvent l'impression d'être un énorme escroc. Je culpabilise tellement de vivre de ma passion que j'essaie de le faire du mieux possible ! J'ai l'impression d'avoir une chance inouïe, je culpabilise assez pour travailler beaucoup, c'est pour cela que je fais beaucoup de choses. Une des choses qui me permet de culpabiliser moins, c'est que j'enseigne. Dans ma famille, l'enseignement est très important et d'ailleurs «Origines» de mon oncle, qui parle de nos ancêtres raconte comment ceux-ci ont créé les premières écoles dans un village du Liban. Et depuis, toute la lignée est dans l'enseignement. À 18 ans, la première chose que j'ai fait pour gagner de l'argent, c'est enseigner la trompette. Aujourd'hui, j'ai abandonné ça pour enseigner la chose qui me tient le plus à cœur dans la musique, c'est l'improvisation. J'enseigne à de futurs musiciens professionnels de la musique classique à sortir et à se détacher de la partition. Ce qui me manquait dans ma formation au conservatoire, c'était de me retrouver avec plusieurs musiciens et de jouer sans me baser sur une partition. Quand je donne des cours, j'ai face à moi des jeunes de 18 à 28 ans qui vont tous devenir des professionnels de la musique classique, et aucun d'entre eux ne peut jouer sans partition. Alors qu'ils jouent depuis l'âge de 3-4 ans pour certains. Il faut arriver à se libérer de cela. On recommence l'apprentissage à zéro. Il s'agit de se libérer de l'instrument et de soi-même aussi. On parle, on joue, ce sont des discussions. C'est comme une thérapie de groupe. J'ai eu envie d'enseigner ça parce que je trouve que c'est fondamental à la construction des musiciens. L'enseignement est ce qui me permet de garder les pieds sur terre et de continuer mon chemin d'artiste.
L'improvisation est très présente dans vos concerts. Comment gérez-vous cela avec vos musiciens ?
Si je réponds d'un point de vue technique, les musiques que l'on joue sur cet album sont des musiques écrites. Ce que jouent mes musiciens sont des choses que j'ai composé, par contre dans chaque musique il y a un espace de liberté pour que chaque musicien puisse s'exprimer à sa manière et pas seulement à la mienne. Si vous voulez, c'est comme si je recevais les musiciens dans ma maison que j'ai dessiné en disant qu'il y aurait un miroir ici, des carreaux là, mais à l'intérieur les gens dansent comme ils veulent. C'est vrai que ce sont des musiciens qui me connaissent depuis longtemps, on se fait confiance, ils ont travaillé avec moi sur mes trois premiers albums, mais aussi sur des musiques qui n'ont rien à voir avec ce que je fais dans mes albums. J'ai fait quelque chose qui ne s'est jamais fait dans le monde, j'ai vendu des albums en jouant quelque chose d'autre sur scène. Cela n'existe pas dans le monde de la musique. Le public réagit bien, mais cela faisait peur aux gens qui travaillaient avec moi. Toutefois, pour moi, c'était important. Il y a l'album travaillé minutieusement comme un bijou, c'est 3 à 4 ans de travail. Après, ce n'était pas envisageable de faire 3 à 4 années de travail sur scène, en une heure et demi. J'ai préféré faire autre chose et même techniquement, il faudrait 55 musiciens pour reproduire l'album et ce serait encore difficile. C'est la première fois que je suis aussi à l'aise sur scène avec la place que je dois prendre, la place à laisser aux autres. Aucun de mes albums n'est aboutit, c'est une recherche perpétuelle et permanente...
Vous qui aimez chanter et qui chantonnez tout le temps, n'y a-t-il pas une certaine frustration que de ne se contenter que d'une musique instrumentale ?
C'est marrant. Je suis un grand fan de chansons. Les chanteurs et les chanteuses me fascinent, je travaille pour les chœurs, dans mes albums, c'est moi qui chante, mais cela ne s'entend pas (rires), c'est important que chacun reste à sa place. Même si j'adore chanter, c'est quelque chose qui m'exalte, je ne me sens pas la force d'aller imposer cela. Autant avec la trompette, j'ai une forme de confiance parce que j'ai grandi avec ça. C'est greffé à mon corps. J'ai fait mes preuves aussi avec des concours, des championnats du monde, en les gagnant, je me suis fait connaître. Je me dis : «arrête de te prendre la tête, tu peux monter sur scène avec une trompette et assumer cela». Je me cache derrière mon instrument et mes compostions, mais chanter, je ne pense pas que ce soit mon truc. Je suis trop pudique pour cela.
Considérez-vous votre musique comme étant intellectuelle ?
Je ne sais pas. Il y a toujours un débat, mais c'est l'être humain qui est comme ça. Dès que quelque chose marche, on dit que c'est populaire. Est-ce que dans ce cas là Mozart, c'est populaire ? Beethoven ce n'était pas populaire du tout, quand ses symphonies sont arrivées, il s'est fait huer et aujourd'hui on considère que c'est de la musique classique. Dans le jazz, il s'est passé la même chose avec le bepop, quand le bepop est arrivé, il y avait de grands spécialistes de jazz comme Hugues Pannassié, ponte du jazz quand il s'agissait de musicologie, celui-ci a affirmé qu'il ne faisait pas de jazz mais du bepop. Aujourd'hui, quand on pense jazz, on pense bepop. Le jugement que l'on peut porter sur les choses aujourd'hui est futile, il n'est pas important. Qu'est-ce qu'il reste ? Le boléro de Ravel était considéré comme commercial à l'époque, aujourd'hui, c'est un classique. Ma musique peut paraître complexe, parfois rythmiquement, parfois sur le choix, mes musiques durent longtemps, elles ne durent pas 3,30 minutes comme le format radio. D'ailleurs on a des problèmes avec les radios. Elles ne peuvent pas placer mes chansons parce qu'elles durent trop longtemps. Même la structure des morceaux dans les concerts est singulière, le premier morceau que l'on joue dure 15 min et passe par 4-5 structures différentes. C'est tout sauf commercial. C'est un débat qui me dépasse un peu, qui m'interpelle.
Pourquoi on a besoin de dire que telle ou telle musique est complexe ?
Je ne pense pas comme ça. Ce que j'aime, c'est quelqu'un comme Grand corps malade, qui est considéré comme populaire. Il est populaire parce qu'il va prendre des mots simples, que tout le monde peut utiliser, mais en fait quelque chose que personne n'a fait avant.
C'est quoi la complexité alors ?
Essayez d'écrire comme Grand corps malade, c'est d'une complexité étonnante. C'est un débat qui est stérile dès le départ...


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