Mario Pezzini, Directeur du Centre de développement de l'OCDEet conseiller spécial auprès du secrétaire général de l'OCDE chargé du Développement Le Maroc a besoin d'atteindre une croissance forte, supérieure à 7%, pour rattraper la moyenne des pays OCDE en 2050 en termes de PIB par habitant. Pour ce faire, il faut ajuster le cap des réformes. Le point avec Mario Pezzini, directeur du Centre de développement de l'OCDE. Les Inspirations ECO : En comparaison avec des pays similaires, quel regard portez-vous sur le Maroc ? Mario Pezzini : Comparé à des pays de niveaux de développement similaires, le Maroc dispose d'importants atouts, notamment un Etat volontariste, la stabilité politique et économique, une politique d'ouverture internationale affirmée, des ressources minières stratégiques, un secteur bancaire bien développé, de bonnes performances dans des infrastructures clés (électrification, télécommunications, ports), un climat des affaires attractif, une offre exportable diversifiée et une bonne insertion dans les chaînes de valeurs mondiales. Quelles sont les changements prioritaires à opérer sur le modèle de développement marocain pour que le Maroc puisse rejoindre le club des pays émergents ? Pour rattraper la moyenne des pays de l'OCDE en 2050 en termes de PIB par habitant, le Maroc a besoin de faire évoluer son modèle de développement afin de maintenir une croissance annuelle supérieure à 7%. Atteindre cette croissance forte, pérenne et inclusive demande de poursuivre des réformes ambitieuses, centrées sur la création d'emplois de qualité afin de tirer le plein bénéfice du dividende démographique du pays et de la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales. Pour cela, l'OCDE recommande au Maroc d'ajuster le cap des réformes sur trois axes clés: renforcer la compétitivité industrielle pour donner une nouvelle impulsion à la transformation structurelle, relever le niveau de formation et améliorer l'adéquation entre l'offre de formation et la demande d'emploi, et enfin renforcer la cohérence des politiques publiques pour accroître l'efficacité de l'action de l'Etat. Comment le Maroc peut-il renforcer la cohérence de ses politiques publiques ? L'«Examen multidimensionnel du Maroc» souligne que la mise en œuvre de sa vision de l'avenir est actuellement éclatée en plusieurs stratégies sectorielles, souvent élaborées «en silos». Un document d'orientation générale qui identifierait les objectifs à moyen terme serait très utile pour ancrer ces politiques sectorielles dans une stratégie d'ensemble. Il serait également nécessaire de niveler par le haut la qualité des stratégies sectorielles. Celles-ci ne sont que rarement accompagnées d'indications budgétaires, d'échéanciers et de cadres de gouvernance détaillés pour leur mise en œuvre. Les liens entre les stratégies sont aussi insuffisants. Par exemple, la plupart des stratégies des secteurs productifs ont un objectif de création d'emplois, mais celui-ci n'est pas relié à une analyse des besoins en compétences. Par ailleurs, le Maroc devrait renforcer les mécanismes de coordination interministériels dans la mise en œuvre des stratégies. Le recours aux contrats-programmes entre Etat, le secteur privé et les collectivités territoriales avec des engagements précis est une expérience intéressante, qui devrait être évaluée en vue de sa systématisation. En parallèle, le Maroc devrait revitaliser les instances interministérielles pour la coordination stratégique. En effet, la plupart des comités interministériels (ex: Comité interministériel de l'emploi ou celui de l'éducation) se réunissent peu, alors que ceux qui sont actifs ont des résultats probants (ex: le Comité national de l'environnement des affaires). Les ressources financières limitées du Maroc ne sont-elles pas un frein pour faire face à nombre de contraintes relevées par l'OCDE ? Avant deccchercher à mobiliser davantage de ressources financières, on peut commencer par optimiser celles qui sont disponibles. Par exemple, le niveau de dépenses publiques dans l'éducation est tout à fait convenable (5,5% du PIB en 2016), proche de la moyenne des pays de l'OCDE. Mais les besoins en ressources humaines pourraient être mieux anticipés et planifiés. Ainsi, sur les dernières années, on observe un certain décalage entre l'évolution du nombre d'enseignants et celle du nombre d'élèves qui se répercute sur les taux d'encadrement. La moitié des salles de classes au secondaire collégial comptent plus de 40 élèves alors que le ratio d'encadrement moyen est de 28 élèves par professeur. Dans certaines académies, on observe un excédent de professeurs alors que d'autres en manquent. Ces décalages coûtent cher au gouvernement. Par ailleurs, à niveau constant, la masse salariale pourrait être utilisée de façon plus incitative à travers des primes à la mobilité et à la performance des enseignants. En effet, l'avancement est essentiellement dicté par l'ancienneté, avec des écarts de salaire importants entre début et fin de carrière, mais sans effet de motivation tout au long de la carrière. Comment booster la productivité des entreprises pour améliorer la compétitivité à l'international ? Les entreprises marocaines qui veulent s'imposer sur le marché international sont confrontées à de multiples contraintes, qui peuvent varier en fonction du secteur d'activité. L'OCDE recommande d'actionner trois leviers pour les lever. Premièrement, renforcer le soutien à l'innovation pour qu'il bénéficie et fasse participer un large éventail d'entreprises. Ceci suppose de compléter le dispositif institutionnel existant en mettant l'innovation au cœur de la politique industrielle, et de rendre l'innovation plus attractive, en développant des instruments à la portée plus large, comme des crédits impôts-recherche. Deuxièmement, pour le secteur industriel, une meilleure structuration du secteur de la logistique et du transport intérieur permettrait d'augmenter l'externalisation, de réduire les coûts et de soutenir la compétitivité. Troisièmement, l'adoption et l'utilisation de normes de qualité sont des incitations efficaces pour renforcer la compétitivité.