Sous l'effet des tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine et d'un contexte géopolitique instable, les flux maritimes mondiaux se redessinent. Tandis que le trafic de certains ports occidentaux ralentit, le Maroc, quant à lui, enregistre une activité portuaire en pleine effervescence. Tanger Med et Casablanca, désormais au cœur des routes de transbordement, peinent à absorber des volumes croissants, révélant autant d'opportunités stratégiques que de fragilités logistiques. Alors que les Etats-Unis ont récemment décidé de hausser le ton sur le plan commercial, particulièrement envers la Chine, en imposant de nouveaux droits de douane, le commerce maritime mondial tangue sous l'effet de cette décision unilatérale. L'effondrement de la demande mondiale a été si violent que des armateurs ont dû annuler une centaine de traversées, essentiellement entre les Etats-Unis et la Chine. D'autres ont réorienté leurs itinéraires vers d'autres destinations pour être moins impactés en termes de droits de douane. Si certains ports majeurs, comme celui de Los Angeles, fonctionnent au ralenti, d'autres connaissent un regain inattendu. Au Maroc, les infrastructures portuaires, en particulier Tanger Med et Casablanca, tournent à plein régime, voire jusqu'à l'asphyxie. Une dynamique qui illustre à la fois l'attractivité stratégique croissante du Royaume et les limites d'un système logistique sous tension. Le Maroc, nouveau carrefour du transbordement Depuis la crise de la Covid-19, le Maroc n'a cessé de renforcer sa stature dans les échanges maritimes mondiaux. «Le pays a franchi le cap d'un simple point de passage pour devenir un véritable hub de redistribution et de réexportation. Aujourd'hui, il est identifié comme étant une ressource maritime. Et avec les perturbations actuelles, cette position est vouée à être renforcée davantage. Les producteurs auront tendance à s'y positionner, car le Maroc reste le pays qui coûte le moins cher en termes de positionnement des conteneurs», affirme Najib Cherfaoui, expert maritime. L'émergence du port de Tanger Med comme plateforme incontournable, à l'interface des flux entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique, témoigne de ce repositionnement stratégique. Avec les perturbations liées aux tensions commerciales et géopolitiques, le Royaume apparaît comme un refuge logistique fiable et compétitif, notamment pour le positionnement des conteneurs. La situation géopolitique en mer Rouge, théâtre de tensions persistantes, a accentué ce phénomène. Les grands armateurs, délaissant les routes traditionnelles, redirigent désormais une part significative de leur trafic vers les ports marocains. Résultat, le transbordement y a explosé. D'autant plus que les nouvelles alliances maritimes, à l'image de Gemini (Maersk et Hapag-Lloyd), ont bouleversé les équilibres en consolidant certaines routes au détriment d'autres, engendrant une reconfiguration de l'offre mondiale. Cependant, ce succès a un revers. Tanger Med, joyau de la logistique marocaine, affiche complet. Les quais sont saturés, les terminaux débordés. Faute de place, les armateurs se replient sur le port de Casablanca, qui n'était initialement pas destiné à absorber un tel volume de transbordement. Mohamed El Jaouadi, président de l'Association des armateurs du Maroc (ARMA), décrit une situation tendue. «Pour la première fois, Tanger Med n'a plus la capacité d'absorber la demande. Casablanca est donc sollicité pour prendre le relais, en particulier pour les flux à destination de l'Afrique de l'Ouest et des Etats-Unis. S'ajoute à cela un trafic domestique en progression, drainé particulièrement par le développement industriel et commercial. D'ailleurs, la croissance des volumes locaux a fortement augmenté». Mais cette solution de repli montre rapidement ses limites. Casablanca, à son tour, fait face à une congestion alarmante, alimentée par plusieurs facteurs. Le mois de Ramadan, avec ses horaires spécifiques, a fait chuter la productivité. Des intempéries ont entraîné la fermeture du port pendant près de 18 jours. Et la dynamique économique nationale, marquée par une forte progression des importations liées aux chantiers structurants que connaît le pays, a amplifié la pression. Derrière cette saturation, ce sont des coûts logistiques croissants qui se profilent. Les retards accumulés, les navires bloqués en rade, les surestaries s'additionnent. «Un navire transportant 50.000 tonnes de blé et immobilisé vingt jours peut engendrer jusqu'à 800.000 dollars de pertes. C'est un véritable gâchis», alerte El Jaouadi. Et ce surcoût est répercuté, in fine, sur les consommateurs, pesant ainsi sur l'économie nationale. Perspectives À court terme, les autorités disposent de peu de leviers d'action. Les capacités d'accueil sont ce qu'elles sont. La balle, estime El Jaouadi, est dans le camp des opérateurs des terminaux, lesquels doivent impérativement investir dans les outils de production, améliorer la productivité et fluidifier les procédures administratives. Le passage au scanner ainsi que les contrôles douaniers et sanitaires doivent être accélérés pour réduire les délais de traitement, surtout que cette situation risque de perdurer. Si à moyen terme, l'ouverture du port de Dakhla pourrait offrir une bouffée d'oxygène, pour l'heure, il faut faire avec les moyens du bord. À noter que des voix s'élèvent pour proposer le réaménagement du port de Mohammedia. Dans l'immédiat, les taux de fret maritime, bien que globalement stables, demeurent sous surveillance. La recomposition des alliances mondiales devrait continuer à modeler le paysage. Si la concurrence reste vive sur certaines lignes, notamment méditerranéennes, les tensions géopolitiques et la reconfiguration des flux pourraient rebattre les cartes. Selon Charfaoui, les prix du fret maritime demeurent le meilleur thermomètre du secteur. Actuellement, ils affichent une stabilité qui perdure depuis trois mois, à 2.200 dollars le conteneur 40 pieds en provenance d'Asie. Ceux qui émanent d'autres destinations affichent des tarifs moindres. Toutefois, les armateurs s'attendent à une tendance relativement baissière durant la prochaine période. Najib Cherfaoui Expert maritime «Le pays a franchi le cap d'un simple point de passage pour devenir un véritable hub de redistribution et de réexportation. Aujourd'hui, il est identifié comme étant une ressource maritime. Et avec les perturbations actuelles, cette position est vouée à être renforcée davantage. Les producteurs auront tendance à s'y positionner, car le Maroc reste le pays qui coûte le moins cher en termes de positionnement des conteneurs.» Mohamed El Jaouadi Président de ARMA «Pour la première fois, Tanger Med n'a plus la capacité d'absorber la demande. Le port de Casablanca est donc sollicité pour prendre le relais, en particulier pour les flux à destination de l'Afrique de l'Ouest et des Etats-Unis. S'ajoute à cela un trafic domestique en progression, drainé particulièrement par le développement industriel et commercial. D'ailleurs, la croissance des volumes locaux a fortement augmenté.» Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO