À l'heure où le Maroc accélère sa transition vers une économie plus souveraine et compétitive, l'édition 2025 du Baromètre de l'industrie dévoile les ressorts profonds d'une mutation industrielle en marche. Derrière les chiffres, c'est tout un modèle productif qui se redessine : plus technologique, plus inclusif, plus exportateur… Ce rapport, publié par le ministère de l'Industrie et du Commerce, offre une plongée inédite dans les dynamiques sectorielles et territoriales qui façonnent le nouveau visage de l'industrie marocaine. «L'année 2024 marque un tournant décisif dans le développement industriel du Maroc. L'ensemble des indicateurs économiques enregistre des progressions significatives, attestant de la maturité du tissu productif national et de sa résilience face aux défis conjoncturels mondiaux.» Tel est le constat dressé par le ministère de l'Industrie et du Commerce dans l'édition 2025 du Baromètre de l'Industrie, dévoilée mercredi à Rabat. Véritable compendium statistique, ce baromètre scrute avec minutie les transformations d'un secteur devenu clé pour la souveraineté économique nationale. À travers plus de 100 pages de données, d'indicateurs ventilés par secteurs, régions, tailles et âges d'entreprises, ce rapport dresse un portrait inédit de l'économie productive marocaine. Il permet de prendre la mesure de la montée en puissance des chaînes industrielles nationales, de la consolidation de la production locale, de la diversification des filières, et du repositionnement stratégique du Royaume dans les chaînes de valeur mondiales. Le tissu industriel marocain ne se contente plus de produire pour consommer localement. Au contraire, il exporte son excellence, maîtrise ses intrants, forme ses compétences et réduit sa dépendance. Cette trajectoire, patiemment construite depuis deux décennies, s'appuie sur une volonté politique affirmée, des feuilles de route sectorielles (Plan d'accélération industrielle, relance post-Covid, plan Maroc Vert industriel...), et une mobilisation croissante du capital public et privé. Ainsi, le Baromètre 2025 met en lumière un Maroc industriel plus robuste, mieux structuré et plus inclusif. La croissance du chiffre d'affaires, de la production et de la valeur ajoutée est accompagnée d'une diversification territoriale et sectorielle. La montée en technologie, la féminisation et la dynamique des PME viennent renforcer cette mutation. Croissance multidimensionnelle : chiffre d'affaires, production et valeur ajoutée en hausse Le chiffre d'affaires global du secteur industriel marocain s'élève à 897,8 milliards de dirhams (MMDH) en 2024, en progression de 9,2% par rapport à 2023. Cette dynamique est portée par trois locomotives sectorielles : l'automobile (195,8 MMDH, +8,7%), l'agroalimentaire (190,9 MMDH, +0,8%) et la chimie-parachimie (181,9 MMDH, +23,3%). Ensemble, ces secteurs concentrent plus de 63% du chiffre d'affaires industriel, confirmant une concentration autour de pôles à forte valeur ajoutée. D'autres branches affichent également des croissances notables : l'électrique et électronique (+12,7%), l'industrie pharmaceutique (+11,2%) et les industries mécaniques et métallurgiques (+13,2%). À l'inverse, le textile et cuir recule légèrement (-0,5%), illustrant les tensions sur la demande internationale. La valeur ajoutée industrielle atteint 240 milliards de dirhams, en hausse de 10,6%, traduisant la montée en gamme de la production locale. Plus de la moitié (50,5%) de cette valeur ajoutée provient désormais des industries à moyenne et haute technologie, confirmant la transformation structurelle du tissu productif marocain. Une cartographie régionale contrastée Casablanca-Settat conserve son rôle de locomotive industrielle, concentrant plus de la moitié du chiffre d'affaires national, ainsi que des parts dominantes en production et en valeur ajoutée. Cette centralité s'explique par la densité de ses infrastructures, la présence de pôles d'excellence dans l'automobile, la chimie, l'aéronautique et la pharmacie, et un tissu d'entreprises solidement ancré. Mais d'autres régions gagnent du terrain. Tanger-Tétouan-Al Hoceima s'impose comme le deuxième bassin industriel du pays, portée par la zone franche de Tanger Med et un écosystème automobile en pleine expansion. Rabat-Salé-Kénitra se spécialise dans l'électronique, la mécanique et l'agroalimentaire. Marrakech-Safi, bien que représentant une part plus modeste du chiffre d'affaires, affiche des ratios d'investissement par emploi et par dirham de valeur ajoutée parmi les plus élevés du pays, notamment dans la chimie, les matériaux de construction et l'agro-industrie. Structures intermédiaires et jeunes entreprises en ascension Le Baromètre révèle une reconfiguration progressive du tissu entrepreneurial. Si les grandes entreprises (plus de 500 salariés) continuent de générer près de la moitié du chiffre d'affaires et de la valeur ajoutée, ce sont les entreprises de taille intermédiaire qui enregistrent les croissances les plus dynamiques. Elles incarnent une «classe moyenne industrielle» en émergence, capable d'innover, de résister aux chocs et de s'intégrer dans les chaînes de valeur. Les jeunes entreprises (moins de 5 ans), bien que représentant une part encore modeste de la valeur ajoutée, affichent une croissance remarquable, notamment dans les secteurs technologiques, les services industriels et l'agroalimentaire exportateur. Elles sont particulièrement présentes dans les régions émergentes comme Fès-Meknès, Souss-Massa ou l'Oriental, contribuant à une industrialisation plus diffuse et territorialisée. L'investissement, levier de transformation Avec un total de 89,7 milliards de dirhams investis en 2024, le Maroc atteint un niveau record. Cette dynamique reflète la confiance des opérateurs et l'efficacité des politiques publiques d'appui. La chimie-parachimie concentre plus de la moitié des investissements (47,7 MMDH), traduisant une volonté de souveraineté sur les intrants stratégiques. L'automobile (15,7 MMDH) et l'agroalimentaire (10 MMDH) suivent, avec des projets intégrés et orientés vers l'export. Certaines régions affichent des ratios d'investissement par dirham de valeur ajoutée particulièrement élevés, à l'image de Drâa-Tafilalet, illustrant des politiques volontaristes de rattrapage. Casablanca-Settat reste en tête avec 66% de l'investissement industriel global, mais des régions comme Marrakech-Safi ou Beni Mellal-Khénifra enregistrent des progressions à deux chiffres. Emploi et inclusion : une dynamique sociale en marche Le seuil symbolique du million d'actifs industriels est franchi. Dans ce cadre, l'automobile devient le premier employeur industriel du pays. Autre donnée clé : la féminisation progresse. En effet, les femmes représentent 26% des effectifs, avec des pics dans le textile (55%), la pharmacie (45%) et l'électronique (35%). Elles accèdent aussi davantage aux postes de direction, occupant 17% des fonctions de gouvernance industrielle. Cette transformation sociale s'accompagne d'un rajeunissement des profils, d'une montée des compétences intermédiaires (techniciens, opérateurs spécialisés) et d'un recours croissant à la formation continue. Vers une industrie intelligente Le Maroc s'industrialise en montant en gamme. En 2024, plus de 50% de la valeur ajoutée industrielle provient des industries à moyenne et haute technologie. Le taux d'utilisation des capacités de production dépasse 75% dans plusieurs secteurs, notamment la chimie, l'automobile et la métallurgie. Le déploiement de l'industrie 4.0 devient un enjeu stratégique : robotisation, automatisation, analyse de données et intégration numérique des chaînes de production gagnent du terrain. Des programmes publics comme Tatwir et les clusters régionaux de l'innovation accompagnent cette transition, en lien avec les universités et les centres techniques. La recherche appliquée, le transfert technologique et l'innovation ouverte deviennent des leviers majeurs de compétitivité. Environnement et énergie L'intensité énergétique de l'industrie marocaine reste élevée, avec un mix dominé par l'électricité (48%) et les produits pétroliers (42%). Toutefois, la prise de conscience environnementale s'accélère. Des secteurs comme la chimie, la métallurgie et l'agroalimentaire, identifiés comme thermo et électro-intensifs, font l'objet d'efforts ciblés pour réduire leur empreinte énergétique. L'intégration progressive des énergies renouvelables, l'optimisation des procédés et la récupération de chaleur amorcent une transition vers une industrie plus durable. Le Maroc explore également des mécanismes de certification environnementale et de comptabilité carbone, dans une logique de compétitivité verte à l'international. Méthodologie : une enquête digitalisée, exhaustive et structurée L'édition 2025 du Baromètre de l'Industrie repose sur une méthodologie modernisée, entièrement digitalisée, qui renforce la fiabilité et la granularité des données collectées. Menée par le ministère de l'Industrie et du Commerce, l'enquête a ciblé près de 12.900 entreprises industrielles opérant sur l'ensemble du territoire national, couvrant les exercices comptables 2023 et 2024. Trois modalités de saisie ont été proposées : en ligne directe par les entreprises, assistée par enquêteur, ou saisie intégrale par enquêteur via une plateforme sécurisée. Cette infrastructure numérique a permis un suivi en temps réel, une automatisation des traitements et une couverture statistique élargie. Le périmètre de l'enquête englobe les industries de transformation, incluant des secteurs stratégiques tels que l'automobile, l'aéronautique, la chimie, l'agroalimentaire, l'électronique, le textile, la pharmacie ou encore les matériaux de construction. Les entreprises retenues sont celles employant plus de 10 personnes, ou réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 100.000 dirhams. Le questionnaire, structuré autour des principaux agrégats économiques (chiffre d'affaires, production, valeur ajoutée, investissement), intègre également des indicateurs transversaux : emploi, parité, exportations, niveau technologique, productivité et consommation énergétique. L'analyse est ventilée selon les strates d'emploi, de chiffre d'affaires et les tranches d'âge des entreprises, offrant une lecture fine des dynamiques industrielles à l'œuvre. PME industrielles : montée en puissance d'une classe moyenne productive Longtemps éclipsées par les grandes structures, les petites et moyennes entreprises industrielles marocaines gagnent en visibilité et en influence. Le Baromètre 2025 révèle une dynamique remarquable : les entreprises de taille intermédiaire enregistrent les croissances les plus soutenues en matière de chiffre d'affaires, de production et de valeur ajoutée. Elles incarnent une «classe moyenne industrielle» en émergence, capable d'innover, de s'adapter aux chocs et de se positionner comme sous-traitants ou donneurs d'ordres. Cette montée en puissance s'appuie sur une meilleure structuration, un accès élargi aux mécanismes d'appui (financement, formation, digitalisation), et une intégration croissante dans les écosystèmes régionaux. Les PME industrielles jouent un rôle clé dans la diffusion territoriale de l'activité productive, notamment dans les régions émergentes comme Fès-Meknès, Souss-Massa ou l'Oriental. Elles contribuent à une industrialisation plus inclusive, plus agile et plus résiliente.