Paru en octobre 2025, le rapport du Recensement général de la population et de l'habitat (RGPH 2024), piloté par le Haut-commissariat au plan (HCP), offre une plongée dans l'âme d'un Maroc rural en mutation. À travers les chiffres, c'est tout un paysage humain, social et territorial qui se redessine. Dans les montagnes de l'Atlas, les plaines de Doukkala ou les plateaux arides du Sud, les douars marocains forment une trame que l'on commence à mieux appréhender. Grâce au RGPH 2024, ce sont 33.189 de ces unités rurales de base qui sont désormais cartographiées, décrites et classées. On y distingue des douars groupés, éclatés ou dispersés selon leur forme d'organisation spatiale. Bien qu'ils soient pour la majorité accessibles par une route carrossable – 90,2% selon le HCP –, cette amélioration de l'infrastructure masque une autre réalité : l'accès aux services essentiels reste, dans bien des cas, un défi majeur. Par exemple, si 92% des habitants ruraux vivent à portée de route, moins de 9% résident à moins de deux kilomètres d'un collège et moins de 5% à proximité d'un lycée qualifiant. Cette distance joue un rôle direct dans la faible scolarisation post-primaire, notamment chez les filles. Dans le domaine de la santé, la situation n'est guère meilleure : à peine un tiers des douars disposent d'un établissement de soins à moins de cinq kilomètres. Ainsi, même lorsque l'enclavement géographique semble reculer, l'isolement social, sanitaire et éducatif, lui, persiste. Des disparités qui interrogent Ces disparités prennent une dimension encore plus frappante lorsqu'on les observe à l'échelle régionale. Le nombre moyen de douars par commune varie considérablement, allant de moins de deux dans certaines régions à plus de trente-cinq dans d'autres. Cette variabilité reflète à la fois les différences en densité de population et les contrastes historiques en matière de développement local. Les douars moyens, comptant entre 30 et 500 ménages, représentent les deux tiers du total et concentrent à eux seuls 80% de la population rurale. À l'opposé, les petits douars, bien que très nombreux, ne regroupent qu'une part marginale de la population. Les grands douars, bien qu'en nombre limité – 133 précisément –, sont des pôles stratégiques : ils abritent près de 907.000 personnes et pourraient jouer un rôle de centralité, à condition qu'ils soient intégrés dans une politique de structuration territoriale. Un autre enseignement fondamental du recensement est l'évolution démographique du monde rural. La part des moins de 15 ans diminue, celle des actifs (15-59 ans) recule légèrement, tandis que celle des personnes âgées de 60 ans et plus augmente sensiblement pour atteindre 13,2% de la population. Ce vieillissement de la population rurale, associé à la baisse de la natalité, dessine une nouvelle carte des besoins sociaux, notamment en termes de santé, de services de proximité et de protection sociale. Pourtant, la jeunesse n'a pas déserté ces territoires : dans 43% des douars, la proportion de jeunes reste supérieure à la moyenne nationale. Ce paradoxe invite à penser une action publique différenciée, qui soutienne les territoires en vieillissement tout en investissant dans ceux où la jeunesse constitue encore un levier de développement. Le recensement met également en lumière un phénomène souvent invisibilisé : la féminisation de nombreux douars. Alors que le rapport de masculinité national se situe à 103,3, plus d'un tiers des douars présentent une majorité de femmes. Cette tendance s'explique en partie par la migration masculine vers les villes ou l'étranger. Ces territoires féminisés, qui regroupent près d'un tiers de la population rurale, posent la question de l'autonomisation économique des femmes, de leur accès aux services et de leur reconnaissance comme actrices clés du tissu rural. Fractures territoriales encore marquées Par ailleurs, l'inclusion administrative a fait un bond considérable. Le taux d'enregistrement à l'état civil atteint aujourd'hui 99,3% en milieu rural, un record historique. Dans presque tous les grands douars et la quasi-totalité des douars moyens, ce taux dépasse 90%. Cette avancée constitue un socle essentiel pour garantir l'accès aux droits fondamentaux, à l'éducation, à la santé et à la citoyenneté. Enfin, le logement rural connaît une lente mais réelle modernisation. Près de la moitié des ménages ruraux habitent aujourd'hui dans un logement en dur. Cette tendance n'est toutefois pas homogène : dans près de 30% des douars, moins d'un quart des ménages disposent d'un logement de qualité, révélant des fractures territoriales encore marquées. Les efforts en matière de logement doivent ainsi cibler ces zones vulnérables avec des programmes adaptés, prenant en compte les réalités locales et les contraintes économiques. Focus régional : Souss-Massa, un maillage rural dense et contrasté Parmi les douze régions du Royaume, Souss-Massa se distingue par sa densité exceptionnelle en matière de peuplement rural. Avec 35,5 douars par commune en moyenne, elle affiche le taux de concentration le plus élevé du pays, très loin devant Laâyoune – Sakia El Hamra, où ce chiffre chute à 1,9. Cette structuration spatiale héritée d'un peuplement historique ancien, souvent lié à l'agriculture irriguée et à la sédentarisation précoce, façonne aujourd'hui un territoire fortement polarisé. Le recensement révèle que la région compte à elle seule 2.606 douars, abritant 364.655 ménages ruraux et plus de 1,9 million d'habitants, soit environ 11% de la population rurale nationale. Pourtant, cette densité ne s'accompagne pas toujours d'un accès adéquat aux services essentiels. Ainsi, malgré une forte couverture routière (près de 96% des douars sont desservis par une route carrossable), plus de 46% d'entre eux se trouvent à plus de 5 km d'un centre de santé et seulement 6,2% disposent d'un collège à moins de 2 km. Autre paradoxe : alors que la région affiche un taux d'enregistrement à l'état civil supérieur à la moyenne (près de 99,6%), plus de 28% des douars comptent moins de 25% de logements en dur, traduisant des inégalités marquées entre zones côtières développées (Chtouka – Aït Baha, Inezgane) et zones intérieures plus enclavées (Taroudant, Taliouine). Face à cette situation, Souss-Massa incarne à la fois une opportunité stratégique pour le développement rural intégré et un défi logistique majeur en matière de politiques publiques. Structurer des pôles de services inter-douars, améliorer l'accès à l'éducation secondaire et à la santé, et valoriser la présence féminine – majoritaire dans 38% des douars – sont autant de chantiers prioritaires pour faire de cette densité un véritable levier de cohésion territoriale.