Malgré une qualité régulièrement saluée sur les marchés internationaux, les exportateurs agroalimentaires peine à s'affirmer en Afrique. En cause, un modèle d'export encore très tourné vers l'Europe, des prix déconnectés du pouvoir d'achat local et une présence commerciale insuffisamment ancrée dans les réalités du terrain. C'est là l'une des principales critiques émises lors de l'Agro Export Day 2025, grand rendez-vous des acteurs de l'agrobusiness organisé le 19 novembre par la Fédération nationale de l'agroalimentaire (Fenagri) à Casablanca. Malgré des atouts productifs reconnus et une qualité régulièrement saluée sur les marchés internationaux, les exportateurs marocains peinent encore à faire de l'Afrique un véritable relais de croissance. C'est particulièrement le cas des produits du quotidien, du couscous aux conserves en passant par les spaghettis, qui, manifestement, jouissent d'une bonne réputation, notamment en Afrique de l'Ouest. Mais sur ces marchés où le pouvoir d'achat demeure limité, le différentiel de prix freine l'expansion du Royaume. «La qualité marocaine est irréprochable mais le coût pose problème», affirme Serge A. Soglo, PDG d'ACI-Bénin. Pour cet acteur de terrain, les produits marocains sont appréciés, mais leur manque de compétitivité compromet leur capacité à s'imposer durablement. Face à ce handicap tarifaire, une autre constante ressort des témoignages recueillis lors du forum organisé par la Fenagri. Ce que rappellent les opérateurs aguerris, c'est l'importance d'être réellement présent sur le terrain. «La proximité physique avec le distributeur est un facteur essentiel pour pouvoir écouler plus de volume sur ces marchés», observe Serge A. Soglo, PDG d'ACI-Bénin. Pour cet opérateur, cela pourrait prendre la forme d'une présence régulière à travers un agent commercial dédié ou d'une l'implantation locale, ce qui permettrait, in fine, de compenser en partie l'écart de prix et d'écouler plus rapidement sa marchandise. Action diplomatique La question de la présence renvoie directement à celle du risque. Car s'aventurer davantage à l'international suppose de maîtriser un environnement où les défaillances d'acheteurs, les instabilités politiques ou les tensions sur les réserves de change peuvent faire dérailler une opération, même lorsqu'elle est menée dans les règles de l'art. «Un acheteur peut être solvable mais incapable de payer, faute de devises dans son pays», précise Hicham Zaki, directeur général de la SMAEX. Dans de nombreuses régions africaines, les risques pays, les ruptures logistiques ou encore les exigences réglementaires imposent un niveau de préparation que tous les exportateurs ne maîtrisent pas encore pleinement. À y regarder de près, plusieurs marchés africains encore peu exploités, de la RDC à Madagascar, constituent un réservoir de demande largement sous-estimé par les exportateurs. Le Royaume y jouit pourtant d'une image favorable, portée par l'action diplomatique menée sur le continent et par une identité panafricaine qui pourrait devenir un véritable levier de pénétration. «Nos produits peuvent s'appuyer sur une identité africaine forte dans un contexte de rejet du néocolonialisme», affirme une entrepreneure de la filière. Cette dimension, longtemps reléguée au second plan, apparaît aujourd'hui comme un atout stratégique que le Maroc gagnerait à mobiliser davantage. Potentiel sous-exploité La diaspora constitue, pour sa part, une ressource stratégique encore sous-exploitée. Si son rôle paraît évident sur les marchés occidentaux, plusieurs intervenants appellent à dépasser la simple logique communautaire pour en faire une véritable force de projection. «La diaspora peut devenir une locomotive du Made in Morocco», précise Serigne Mansour Gaye, président de la Chambre de Commerce UK–Sénégal. «Le relais culturel et commercial qu'elle représente pourrait accélérer l'ancrage du Maroc en Afrique, à condition d'être soutenu par des dispositifs diplomatiques et économiques plus cohérents», affirme t-il. Ce manque de cohérence est particulièrement palpable, notamment dans le Sahel. «La Turquie exporte vers mon pays près de 5.000 conteneurs par an quand le Maroc en est à zéro», fait savoir un opérateur tchadien. La situation est d'autant plus frappante que l'agroalimentaire pèse de plus en plus sur la balance des exportations. Le secteur compte plus de 2.600 entreprises et pèse près d'un quart de l'emploi industriel, génère un volume d'affaires de 191 milliards de dirhams de chiffre d'affaires et couvre l'essentiel des besoins alimentaires du Maroc. À l'export, il s'est imposé comme un moteur majeur, avec 43,2 milliards de dirhams de ventes de produits transformés, un volume multiplié par dix en vingt-cinq ans. Cela dit, à peine 20% de ces flux sont orientés vers l'Afrique, alors même que le continent se veut un débouché "naturel" pour les opérateurs. Ce décalage interroge, d'autant que la demande internationale pour le Made in Maroc ne manque pas. Sur le marché britannique, où la visibilité numérique conditionne l'accès au consommateur, les signaux ne mentent pas. «Il existe une demande pour les produits marocains mais aucun n'est réellement marocain», observe Zayd El Idrissi, CEO de Mustashar. Pour ce spécialiste du positionnement de marque, le nœud du problème ne tient ni aux recettes ni aux capacités de production, mais au manque de courage des marques à se présenter au monde pour ce qu'elles sont vraiment. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO