Après avoir traversé des années d'incertitude, le tourisme marocain connaît en 2024 une expansion spectaculaire, à la fois quantitative et structurelle. Porté par une consommation en forte hausse, un regain de l'attractivité internationale et une intégration renforcée dans l'économie nationale, le secteur opère un véritable basculement. L'année 2024 marquera sans doute un jalon décisif dans l'histoire du secteur touristique national. Après une décennie mouvementée, marquée par une crise sanitaire sans précédent et des mutations géopolitiques majeures, le secteur du tourisme, souvent perçu comme vulnérable et cyclique, se hisse avec force et constance au cœur des moteurs de la croissance nationale. Le Compte satellite du tourisme (CST) pour l'année 2024, publié par le Haut-commissariat au plan (HCP), dévoile non seulement une reprise impressionnante, mais surtout une reconfiguration profonde de la place du tourisme dans l'économie du pays. Le premier indicateur à signaler est sans équivoque. Le Produit intérieur brut touristique (PIBT) s'élève, en 2024, à 116,2 milliards de dirhams (MDH), contre 83,9 milliards en 2019, soit une progression de 38,4%. Cette performance permet au tourisme d'augmenter sa part dans le PIB, passant de 6,8% à 7,3%, une évolution que ne manque pas de souligner le HCP. Autrement dit, le tourisme ne revient pas simplement à son niveau pré-crise, il franchit un seuil nouveau, s'installant de manière durable parmi les secteurs structurants de l'économie nationale. Cette performance se nourrit d'une dynamique vigoureuse de consommation. En 2024, la consommation intérieure touristique atteint 201,7 MMDH, contre 141,4 milliards en 2019, ce qui correspond à une hausse de 42,6%. Deux composantes alimentent cette croissance. La première, la plus significative, est la consommation du tourisme récepteur, c'est-à-dire les dépenses des touristes étrangers sur le territoire marocain, laquelle bondit de 46,8%, passant de 93,2 MMDH à 136,9 milliards. La seconde concerne le tourisme interne et émetteur, c'est-à-dire les dépenses des Marocains, au Maroc ou à l'étranger, qui progressent de 34,6%, pour atteindre 64,8 MMDH. Cette répartition n'est pas anodine. Le HCP note une évolution de la structure de la consommation touristique : «La part du tourisme récepteur dans la consommation intérieure a atteint 67,9% au lieu de 65,9% en 2019, tandis que celle du tourisme interne et émetteur a diminué de 34,1% en 2019 à 32,1%.» Ce renforcement du poids du tourisme international dans la consommation globale reflète l'attractivité croissante du Royaume à l'échelle mondiale, mais soulève aussi la question de l'accessibilité du tourisme aux citoyens marocains eux-mêmes. Une double dynamique qui pourrait devenir, à terme, un sujet de tension socio-économique. Au niveau de l'offre, les résultats sont tout aussi remarquables. La production touristique atteint 181,9 MMDH en 2024, contre 127,8 milliards en 2019, marquant une croissance de 42,3%. Ce chiffre témoigne de la vigueur de l'activité dans tous les sous-secteurs du tourisme (hôtellerie, restauration, transport, loisirs, artisanat). Plus encore, la valeur ajoutée touristique (VAT), indicateur de la richesse effectivement générée par le secteur, passe de 70,4 MMDH à 96,4 milliards (+37%). À cette dynamique, s'ajoute une amélioration sensible de la fiscalité touristique. Les impôts nets de subventions sur les produits touristiques augmentent en effet de 46%, pour atteindre 19,8 MMDH, contre 13,6 milliards cinq ans plus tôt. C'est dire que le tourisme, longtemps considéré comme informel ou faiblement fiscalisé, contribue désormais de manière significative aux recettes de l'Etat. Des atouts en or Tous ces indicateurs convergent pour affirmer que le tourisme ne représente plus une simple source de devises ou un réservoir d'emplois saisonniers, mais bien un secteur stratégique, à la fois productif, exportateur, fiscalement utile et générateur de valeur. Les ratios macroéconomiques fournis par le CST permettent de le mesurer. Sa production, rapportée à la production nationale, passe de 6,2% à 6,9%, la valeur ajoutée du tourisme par rapport à l'économie nationale de 6,3% à 6,8%, et sa part dans le PIB progresse de 6,8% à 7,3%. Ce glissement, même s'il semble marginal, est significatif. En effet, dans une économie en croissance, augmenter sa part relative suppose une progression plus rapide que celle des autres secteurs. Ce n'est pas tout, car la réussite du Maroc tient aussi à une gestion habile de sa position géopolitique. Dans un contexte international marqué par des tensions au Moyen-Orient, des perturbations du transport aérien et des recompositions dans les préférences touristiques mondiales, le pays a su proposer une image stable, authentique, accueillante et sûre. La diversification des produits entre balnéaire, culturel, rural, de nature, religieux ou encore gastronomique, a permis de capter différents segments de marché et de lisser la saisonnalité, fléau historique du secteur. Des défis cruciaux Mais le revers de cette expansion rapide réside dans les déséquilibres territoriaux et sociaux persistants. Soulignons que le tourisme reste fortement concentré dans quatre à cinq grandes villes, avec des retombées moindres dans les régions de l'intérieur, moins desservies, moins promues et moins structurées. Le recul de la part du tourisme interne est un autre signal d'alerte, car il pourrait signifier une élévation des prix, une standardisation de l'offre ou une inadéquation avec les attentes des classes moyennes marocaines. À cela s'ajoute un enjeu environnemental majeur. Le Maroc est confronté à un stress hydrique structurel et l'essor touristique aggrave cette pression. Hôtels, piscines, golfs, climatisation, transports, autant d'éléments consommateurs d'énergie et de ressources en eau. C'est d'ailleurs ce qui rend urgente l'intégration du tourisme dans une stratégie de durabilité, pour éviter que les progrès économiques d'aujourd'hui ne génèrent les déséquilibres de demain. Mais, en tout état de cause, le secteur a pu retrouver sa place dans les grandes stratégies nationales. Comme le résume le document du HCP : «La contribution du tourisme à l'économie nationale ne cesse de croître, traduisant non seulement une reprise post-crise, mais aussi une évolution structurelle de son poids économique.» Ce qui reste à réussir désormais ? Ce sont quatre chantiers majeurs que sont le soutien à l'investissement régional, la montée en gamme des compétences, le renforcement de l'inclusivité sociale et l'intégration écologique des projets.