Le ministère de l'Agriculture franchit une nouvelle étape dans la gestion territoriale de l'eau en lançant un ambitieux schéma directeur d'irrigation pour la région de la Chaouia. Etendue sur plus de 21.500 hectares, cette zone agricole emblématique, aujourd'hui confrontée à une pression hydrique croissante, sera au centre d'une démarche intégrée, participative et à fort potentiel d'innovation. Diagnostic, scénarios, cartographie et fiches-projets : tout un arsenal technique mobilisé pour repenser la gestion de l'eau agricole dans une région sous tension. C'est un projet discret mais stratégique. Dans un contexte où le stress hydrique devient l'un des risques majeurs pour la stabilité alimentaire et économique du pays, la Chaouia, l'un des berceaux agricoles du Maroc, entame un nouveau cap. À travers un appel d'offres public référencé N°03-2025-DIAEA-DAHA, le ministère de l'Agriculture, via la Direction de l'aménagement de l'hydraulique agricole (DAHA), engage la réalisation d'un schéma directeur de développement de l'irrigation pour l'ensemble du périmètre de la Chaouia. Une initiative qui ambitionne de construire une vision à long terme, jusqu'en 2050, pour sécuriser, moderniser et optimiser l'usage agricole de l'eau dans ce territoire historique, désormais vulnérable. Une réponse à une crise structurelle de l'eau La Chaouia, située dans le périmètre de la Direction régionale de Casablanca-Settat, est depuis des décennies un bastion de la production agricole, grâce à ses terres fertiles, ses savoir-faire agricoles ancestraux et son réseau hydraulique hérité de programmes d'aménagement anciens. Mais elle est aujourd'hui en proie à une série de défis systémiques : épuisement des nappes phréatiques, vieillissement des infrastructures, fragmentation foncière, dérèglements climatiques, et faible performance hydrique des systèmes d'irrigation traditionnels. L'initiative du ministère vise donc à répondre à une double urgence. D'abord, une urgence d'ordre environnemental, liée à la nécessité de préserver les ressources disponibles dans un contexte de raréfaction. Ensuite, une urgence économique et sociale, puisqu'une large part de la population rurale de la région dépend directement de l'activité agricole irriguée. Une méthodologie articulée en trois temps Selon le cahier des charges, le schéma directeur repose sur une méthodologie en trois phases. La première consiste à établir un diagnostic exhaustif de la situation actuelle. Cela implique un inventaire précis des infrastructures hydrauliques existantes, l'analyse de l'état de fonctionnement des canaux, des stations de pompage, des bassins de rétention et des réseaux secondaires. À cela s'ajoute une cartographie des ressources en eau, qu'elles soient superficielles ou souterraines, avec un examen de leur niveau de mobilisation, leur variabilité saisonnière et leur dynamique de recharge. Mais ce diagnostic ne se limite pas aux données techniques. Il doit aussi intégrer les dimensions sociales et économiques (typologie des exploitations, usages actuels de l'eau, rentabilité des cultures irriguées, poids de l'irrigation dans les revenus des ménages agricoles). Une attention particulière sera accordée à l'impact du changement climatique sur la demande en eau, les rendements agricoles et la vulnérabilité des systèmes. La deuxième phase portera sur l'élaboration de scénarios prospectifs, croisant différents niveaux d'intervention. Le schéma pourra envisager des options de modernisation intégrale (passage au goutte-à-goutte, digitalisation), de reconversion partielle des cultures hydrovore vers des espèces moins exigeantes, ou encore d'extension raisonnée de la surface irriguée par mobilisation de nouvelles ressources (eaux usées traitées, collecte d'eau de pluie, recharge artificielle de nappes). Chaque scénario devra être accompagné d'une évaluation multicritère portant sur les coûts, les impacts environnementaux, l'acceptabilité sociale et la cohérence avec les stratégies nationales. Enfin, la troisième phase aboutira à la proposition d'un plan d'action opérationnel, structuré autour de fiches projets prêtes à être mises en œuvre, incluant les besoins en financement, les délais de réalisation, les acteurs concernés, et un tableau de bord de suivi. Le tout devant être appuyé par une base de données SIG géoréférencée, permettant aux services régionaux de disposer d'un outil dynamique d'aide à la décision. Un budget encadré, une expertise pluridisciplinaire Le ministère a fixé le budget prévisionnel de cette mission à 2,4 millions de dirhams, financé sur les crédits du Programme national d'irrigation durable. Les bureaux d'étude intéressés doivent mobiliser une équipe pluridisciplinaire, comprenant des ingénieurs hydrauliciens, des agronomes, des économistes ruraux, des experts en géomatique, ainsi que des spécialistes en concertation territoriale. Le dispositif prévoit également une démarche participative intégrant la population agricole locale, les associations d'usagers de l'eau (AUEA), les coopératives, les élus communaux et provinciaux, ainsi que les chambres d'agriculture qui seront associés aux différentes étapes, via des ateliers et des séances de restitution. Ce volet est central, car il conditionne l'appropriation des résultats et la durabilité des mesures proposées. Un projet en cohérence avec la stratégie nationale Lancé dans le cadre de la politique Génération Green 2020-2030, ce schéma directeur s'inscrit dans la logique de territorialisation des réponses à la crise de l'eau. Il vient compléter les actions engagées à l'échelle nationale pour moderniser l'irrigation collective, réduire les pertes d'eau, encourager les techniques économes et renforcer la résilience des filières agricoles face aux chocs climatiques. Il permet aussi au ministère d'ancrer son action dans une approche intégrée et décentralisée, adaptée aux spécificités de chaque région. La Chaouia devient ainsi un laboratoire de gouvernance hydrique, dont l'expérience pourra être capitalisée dans d'autres zones vulnérables du Royaume. Une démarche anticipatrice et modélisante Au-delà de ses finalités immédiates, le projet traduit un changement de paradigme dans la planification de l'irrigation. Il ne s'agit plus d'intervenir en urgence, projet par projet, mais de construire un cadre stratégique cohérent, évolutif, capable de guider les investissements sur plusieurs décennies. Dans une région où les conflits d'usage, la pression foncière et les déséquilibres hydriques s'intensifient, cette approche s'avère indispensable. Ce schéma directeur offre aussi un levier puissant de mobilisation de financements internationaux, en particulier auprès des bailleurs sensibles aux enjeux de durabilité (Banque mondiale, BERD, Fonds climat). Il servira de référence pour les appels à projets futurs, et favorisera l'alignement des partenaires autour de priorités communes.