Alors que les cours mondiaux des matières premières s'orientent vers une baisse historique en 2026, nourrissant l'espoir d'un reflux durable de l'inflation, l'économie marocaine ne semble en capter que partiellement les bénéfices. Si la détente de certains produits de base allège la facture extérieure du Royaume, la rigidité de la transmission des prix et la structure oligopolistique de plusieurs marchés limitent fortement l'impact sur le pouvoir d'achat. À l'inverse, la flambée des engrais et des métaux précieux profite largement aux exportations et aux recettes publiques, accentuant un fossé déjà profond entre performances macroéconomiques et réalité quotidienne des Marocains. C'est une conjoncture économique internationale plutôt avantageuse qui se profile pour 2026, portée par une accalmie inattendue sur l'ensemble des marchés de matières premières. Les dernières projections de la Banque mondiale annoncent une poursuite du recul des prix mondiaux pour la quatrième année consécutive. Les cours globaux devraient atteindre leur plus bas niveau (7%) depuis six ans, conséquence d'une croissance atone, d'un surplus pétrolier devenu structurel et d'une incertitude géopolitique qui freine la demande mondiale. Cette détente généralisée nourrit l'espoir d'un ralentissement durable de l'inflation, tout en rendant plus accessibles certaines denrées alimentaires essentielles telles que le riz ou le blé. Malgré cette décrue, les prix internationaux restent toutefois supérieurs à leur niveau d'avant la pandémie, ce qui atténue en partie l'ampleur de cette embellie. Elasticité contenue Le pétrole demeure l'élément le plus symbolique de cette bascule. L'abondance de l'offre mondiale devrait faire baisser le baril de Brent à environ 60 dollars, son niveau le plus bas depuis cinq ans. Cette chute annoncée constitue une opportunité majeure pour les économies dépendantes des importations d'énergie, dont le Maroc fait partie. Dans son analyse, Omar Kettani, professeur en économie à l'Université Mohammed V de Rabat, souligne que les baisses du pétrole et du blé, devraient profiter au pays en allégeant les factures énergétique et alimentaire. Cependant, il insiste sur un phénomène récurrent, la transmission des baisses internationales vers les prix intérieurs demeure faible. «L'élasticité reste particulièrement réduite, si bien que le consommateur marocain perçoit à peine les fluctuations positives du marché mondial. Les carburants n'obéissent plus à un mécanisme de contrôle strict, les marges commerciales échappent souvent à une surveillance systématique et la fiscalité énergétique reste élevée, ce qui limite fortement toute répercussion directe sur le panier de consommation des ménages», insiste-t-il. Un constat corroboré par Younès Aït Hmadouch, professeur-chercheur en microéconomie financière à l'Université Ibn-Tofail de Kénitra. Pour lui, la libéralisation qui ne s'effectue pas à tous les niveaux, face à un marché purement oligopolistique explique l'impact infime du recul des cours internationaux sur les prix au Maroc, contrairement à d'autres marchés. Par ailleurs, la baisse des prix agricoles à l'international, notamment pour le riz et le blé, suit la même logique. Théoriquement, elle devrait alléger les coûts d'importation et, à terme, contenir les pressions inflationnistes sur les produits de base. Dans la pratique, à en croire ces économistes, les ménages marocains en ressentent à peine les effets, en raison à la fois d'une structure de marché dominée par quelques grands importateurs, d'un manque de régulation sur les marges et d'une absence de mécanisme strict de transmission automatique. Ainsi, même lorsque le contexte international s'améliore, le consommateur demeure souvent le dernier bénéficiaire potentiel, bien après l'Etat et les opérateurs privés. Les cours des engrais, une aubaine pour le Maroc En revanche, un autre marché, celui des engrais, s'inscrit dans une dynamique différente. La Banque mondiale anticipe un bond de 21% des prix sur l'année 2025 avant un reflux modéré en 2026. Pour le Maroc, ce renchérissement revêt une signification particulière. Le pays est l'un des acteurs majeurs du marché mondial des phosphates. Une hausse internationale des engrais se traduit ainsi par un accroissement immédiat des recettes d'exportation, renforçant la position du Groupe OCP et, par ricochet, celle de l'Etat. Pourtant, cette dynamique vertueuse à l'échelle macroéconomique ne bénéficie pas nécessairement aux agriculteurs marocains, qui demeurent confrontés à des prix élevés sur le marché local. Pour Omar Kettani, l'Etat pourrait être tenté de maintenir des tarifs élevés afin de préserver ses recettes fiscales internes, même au cas où les coûts internationaux amorceraient une baisse. Les agriculteurs risquent de se retrouver dans une situation paradoxale où les performances du secteur des phosphates dopent l'économie nationale, mais où le prix des intrants agricoles continue de peser lourd sur leurs charges. Le tableau est complété par un troisième élément, plus discret mais tout aussi significatif. Il s'agit des métaux précieux. L'or et l'argent connaissent une envolée spectaculaire, portée par un climat mondial d'incertitude qui pousse les investisseurs vers les valeurs refuges. L'or pourrait ainsi bondir de plus de 40% en 2025, avant de continuer sa progression en 2026, tandis que l'argent suivrait une trajectoire similaire. Le Maroc, modeste mais réel producteur de métaux précieux, pourrait bénéficier de ce mouvement à travers une amélioration de ses recettes minières. Bien que les chiffres précis soient limités, cette tendance renforce l'idée d'une conjoncture globalement favorable à l'économie nationale. Reste que cette dynamique internationale, aussi positive soit-elle, ne parvient pas à dissiper le sentiment d'inflation persistante ressenti par les ménages. Le pouvoir d'achat demeure sous tension, notamment en raison de la faible transmission des baisses de prix et de la volatilité des marchés intérieurs. «Cette distorsion résulte d'un manque de contrôles rigoureux et d'une divergence fréquente entre les intérêts de l'Etat – qui profite indirectement des fluctuations internationales – et ceux du consommateur qui en restent éloignés. Tant que les mécanismes de régulation, de transparence des marges et de surveillance des prix ne seront pas renforcés, les avantages de la conjoncture mondiale risquent de rester limités», prévient Kettani. Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO