À partir de mars 2027, une nouvelle grille tarifaire pour l'électricité entrera en vigueur, redessinant les équilibres économiques, sociaux et réglementaires du paysage énergétique national. Portée par l'Autorité nationale de régulation de l'électricité (ANRE), cette réforme entend rompre avec un système hérité d'un autre temps pour instaurer une tarification plus juste, plus lisible et alignée sur les enjeux de souveraineté, d'attractivité et de transition écologique. Détails… Le compte à rebours est lancé : à partir du 1er mars 2027, une nouvelle grille tarifaire de l'électricité entrera en vigueur au Maroc. Portée par l'Autorité nationale de régulation de l'électricité (ANRE), cette réforme constitue l'un des chantiers les plus ambitieux de la politique énergétique du Royaume. Bien plus qu'une simple mise à jour des prix de l'électricité, il s'agit d'une refonte structurelle du modèle économique et réglementaire qui encadre la production, le transport, la distribution et la consommation de l'énergie électrique. Ce chantier se déploiera selon un calendrier précis et une stratégie structurée, fruit d'une mission d'assistance technique internationale lancée via un appel d'offres. Cap décisif dans la gouvernance énergétique Dans le cadre de l'engagement national vers une transition énergétique durable, sécurisée et compétitive, l'ambition amorcée en 2009 se traduit aujourd'hui par une nouvelle démarche concrète. L'ANRE a ouvert un appel d'offres portant sur l'assistance technique pour la réforme tarifaire du secteur électrique. Le document de référence expose les modalités d'un chantier de haute technicité qui façonnera l'avenir énergétique du pays. Cette initiative se positionne comme une étape clé dans le processus de décentralisation et de modernisation du secteur électrique national. Elle marque la volonté de renforcer la transparence, d'assurer une meilleure gouvernance des coûts et de garantir un accès équitable à l'énergie pour tous les citoyens, tout en créant un environnement réglementaire attractif pour les investisseurs. Pour rappel, le Maroc a fait de la transition énergétique une priorité nationale, articulée autour de plusieurs axes majeurs : réduction de l'empreinte carbone, renforcement de l'indépendance énergétique, promotion des énergies renouvelables (EnR) et diversification du mix énergétique. En 2015, à la COP21, l'objectif fixé était d'atteindre 52% de puissance installée en EnR à l'horizon 2030. Cet objectif a exigé une révision en profondeur du cadre juridique et réglementaire du secteur. Une transformation qui est d'autant plus urgente que le Royaume fait face à des défis concrets : croissance continue de la demande énergétique, coûts d'importation de l'énergie, besoin d'intégration des technologies propres, et nécessité d'adapter les infrastructures à un nouveau modèle énergétique décentralisé. Le système tarifaire actuel, conçu dans un contexte différent, ne répond plus pleinement aux exigences de cette nouvelle réalité. C'est dans cet ordre des choses que s'est imposée l'urgence d'élaborer un cadre tarifaire qui accompagne les mutations structurelles du secteur, tout en assurant une continuité du service et une maîtrise des coûts. L'objectif est de rendre le système tarifaire plus résilient face aux aléas internationaux, mais aussi plus juste à l'échelle sociale. Cette ambition repose également sur une vision long terme de pérennisation des infrastructures énergétiques, dans une optique de souveraineté et de sécurité d'approvisionnement. Des objectifs pluriels et stratégiques Ce dont il est concrètement question pour l'ANRE, c'est de développer une grille tarifaire globale et un modèle de régulation adapté au nouveau paysage énergétique. Il ne s'agit pas seulement de définir des prix, mais de repenser toute l'architecture économique du secteur électrique. Parmi les objectifs majeurs figurent la mise en place de mécanismes tarifaires incitatifs, la répartition équitable des coûts entre les utilisateurs, l'intégration des coûts liés aux technologies nouvelles (stockage, smart grids, etc.) et la prise en compte des externalités environnementales. Mais pas seulement, puisque le modèle tarifaire à concevoir devra aussi permettre une meilleure anticipation de l'évolution des profils de consommation à l'horizon 2030-2040, tout en maintenant un niveau de service optimal. Il faudra concilier les exigences de performance technique, les besoins d'investissement massif dans les réseaux intelligents et la capacité à absorber les variations de production liées aux sources renouvelables. Ce travail devra par ailleurs s'appuyer sur une connaissance fine des usages, des régionalités de la consommation électrique et des dynamiques territoriales. Il s'agit donc d'un chantier de prospective, qui doit articuler les impératifs énergétiques, économiques et sociaux. Le modèle tarifaire devra permettre une anticipation fine des évolutions de la demande d'électricité. Par exemple, selon les projections de l'Agence marocaine pour l'énergie durable, la consommation nationale pourrait augmenter de 40 % d'ici 2040, portée par l'urbanisation, l'industrialisation et l'électrification des usages, notamment dans les transports. Les segments industriels, particulièrement énergivores, seront également touchés par cette réforme. Les nouveaux tarifs viseront à encourager la production en heures creuses ou la consommation différée pour lisser les pics. De même, les consommateurs résidentiels devraient bénéficier de tarifications plus progressives et transparentes, avec un accent sur les comportements économes. Une démarche en quatre phases clés Ce chantier se décline en quatre grandes phases, étalées sur une durée totale de dix mois. Chacune d'elles répond à une logique spécifique, progressive et opérationnelle. La première phase consiste en une collecte et une analyse systémique des données par le prestataire qui sera chargé de l'assistance technique de l'ANRE. Elle vise à établir un diagnostic tarifaire exhaustif, en identifiant les structures de coûts actuelles, les circuits de distribution, les catégories d'utilisateurs et les différents profils de consommation. Cette phase inclura la comparaison avec les benchmarks internationaux, et servira de base empirique pour la suite des travaux. La deuxième phase est consacrée à la conception du cadre méthodologique. Elle inclut l'élaboration des modèles de calcul tarifaire, la définition des hypothèses macroéconomiques, et la fixation des indicateurs d'efficacité. Il s'agira aussi de poser les principes de pérennisation du modèle, afin que celui-ci puisse évoluer avec les mutations futures du secteur. La troisième phase constitue le noyau technique de la mission. Elle comprend le développement d'outils informatiques, la modélisation des grilles tarifaires pour tous les segments de réseau (basse tension, moyenne tension, producteurs autonomes, etc.) et l'évaluation prospective des impacts économiques et sociaux des nouvelles structures tarifaires. Cette phase devra anticiper les effets redistributifs, les risques de déséquilibres et proposer des mécanismes d'ajustement tarifaire dynamiques. Enfin, la quatrième phase porte sur l'accompagnement institutionnel de l'ANRE dans les processus de concertation. Elle inclura la préparation de documents de synthèse, la conduite de séances de présentation devant les parties prenantes, l'ajustement des recommandations selon les retours du terrain et la finalisation des livrables techniques. Cette dernière phase devra également inclure une stratégie de communication pédagogique afin de faciliter l'appropriation de la réforme par le grand public. Soulignons que chaque étape devra être validée par des consultations menées avec les parties prenantes concernées, aussi bien les opérateurs historiques que les gestionnaires de réseaux, les représentants des SRM, les associations de consommateurs et les collectivités territoriales. Un comité de pilotage sera mis en place pour assurer la coordination institutionnelle et l'alignement sur les objectifs nationaux. Un impact structurel pour les usagers et le marché La réforme tarifaire aura des implications majeures sur la vie économique et sociale du pays. Elle permettra une meilleure allocation des ressources, un usage plus rationnel de l'énergie, une réduction des subventions croisées et un encouragement direct à l'investissement privé dans le secteur électrique. Les ménages bénéficieront d'une tarification plus lisible, les entreprises d'une meilleure visibilité sur leurs coûts, et les pouvoirs publics d'un outil régulateur adapté à la complexité du marché. Le nouveau système tarifaire devra aussi favoriser la justice sociale en prévoyant des mécanismes de protection des populations vulnérables. Des tarifs sociaux ou modulés, fondés sur des critères de consommation minimale vitale, devront être explorés et testés durant les simulations. Il s'agit de garantir l'accès à un service essentiel sans creuser les inégalités. Pour donner un point de comparaison, la réforme tarifaire engagée au Chili en 2018 a permis une baisse de 18% des prix de l'électricité pour les ménages les plus modestes tout en soutenant l'investissement dans les infrastructures renouvelables. Le Maroc pourrait s'en inspirer pour introduire une tarification progressive indexée sur la consommation minimale vitale. Vers une gouvernance multi-acteur Le secteur de l'électricité au Maroc est structuré autour de plusieurs acteurs majeurs : l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE), qui joue un rôle historique de producteur, transporteur et distributeur ; les producteurs indépendants (IPP), les gestionnaires d'électricité en régime de concession dans les grandes villes, et, plus récemment, les Sociétés régionales multiservices (SRM) instaurées par la loi 83-21. Ces dernières incarnent la régionalisation énergétique. Chargées d'exploiter, entretenir et développer les réseaux locaux, les SRM devront s'aligner sur les politiques tarifaires nationales tout en répondant aux spécificités régionales. Ce modèle à plusieurs niveaux appelle une tarification souple, adaptative et équilibrée. En parallèle, l'ANRE agit comme régulateur indépendant, garantissant l'équilibre entre les acteurs du marché, l'efficience des réseaux et la défense des usagers. En complément, les SRM devront fournir des données de consommation désagrégées à l'ANRE afin de mieux calibrer les politiques tarifaires régionales. Leur rôle s'étend aussi à l'identification des zones prioritaires pour l'électrification ou les investissements en réseau. Cette pluralité d'intervenants justifie une réforme tarifaire cohérente, capable de définir des règles du jeu stables et incitatives. Un cadre juridique robuste La réforme tarifaire s'appuie sur un socle juridique clair, dont la loi n°48-15 constitue la colonne vertébrale. Elle définit les rôles et responsabilités de l'ANRE en matière de fixation des tarifs, d'accès au réseau et de régulation des relations entre les opérateurs. Cette loi est complétée par la loi 40-19 relative à la création de l'ANRE elle-même, ainsi que par les décrets d'application et les décisions de l'autorité qui viennent préciser les modalités techniques et économiques de la régulation. En outre, le CPS renvoie à la loi 09-08 relative à la protection des données personnelles, indispensable pour encadrer l'utilisation des données de consommation dans un contexte de digitalisation croissante. Le cadre de la commande publique est également rappelé à travers les règles relatives aux marchés et au CCAG-EMO, garantissant la transparence du processus de sélection du prestataire. Ainsi, afin de garantir la conformité avec les principes de bonne gouvernance, le processus d'évaluation du prestataire comprendra des critères liés à la durabilité, la maîtrise des coûts et la capacité à intégrer les spécificités du système marocain dans les outils de modélisation tarifaire. Ce qui devrait changer d'ici 2027 1. Une nouvelle grille tarifaire nationale opérationnelle À compter du 1er mars 2027, le Maroc disposera d'un système tarifaire entièrement révisé, fondé sur une structure cohérente, techniquement modélisée, et conforme aux standards internationaux. Cette grille remplacera les barèmes actuels qui ne reflètent plus la réalité des coûts du secteur. 2. Des tarifs fondés sur les coûts réels du service La nouvelle tarification intégrera l'ensemble des composantes de coût liées à la chaîne électrique (production, transport, distribution), en tenant compte des pertes, du stockage, des investissements dans les réseaux intelligents, et des coûts environnementaux. 3. Un système tarifaire incitatif et différencié Des signaux économiques ciblés seront intégrés : incitations à la consommation hors-pointe, modulation des tarifs selon les profils d'usage, différenciation par tension (basse, moyenne, haute) et traitement adapté pour les petits producteurs d'électricité. 4. Des mécanismes de tarification sociale potentiellement introduits Le modèle envisagera des options de tarification sociale ou progressive afin de protéger les ménages vulnérables ou à faible consommation, en conformité avec les principes d'équité et de justice sociale. 5. Un modèle de régulation robuste et pérenne La réforme prévoit la mise en place d'un modèle dynamique, évolutif, capable de s'ajuster périodiquement selon les évolutions du marché, des coûts technologiques, et des objectifs nationaux. Il sera documenté, simulable et accompagné d'outils de suivi et d'évaluation. 6. Une coordination multi-acteur renforcée Avec l'opérationnalisation des SRM, la réforme permettra une meilleure articulation entre régulation centrale et gestion régionale, tout en consolidant le rôle de l'ANRE comme garant de l'équilibre économique du système.