À l'heure où les Etats sont confrontés à des contentieux de plus en plus complexes, l'Agence Judiciaire du Royaume (AJR) a fait de l'année 2024 une année de consolidation stratégique. Entre défense vigoureuse des intérêts de l'Etat, prévention systématique des litiges, digitalisation des outils et professionnalisation des équipes, l'AJR affirme sa place centrale dans l'architecture juridique de l'administration marocaine. Le rapport annuel 2024 livre un bilan riche en enseignements, révélant des réussites majeures mais aussi des défis qui dessinent déjà les contours de l'agenda 2025. En 2024, l'Agence Judiciaire du Royaume (AJR) a franchi un cap dans la modernisation de son action, à la fois en matière de prévention du contentieux et de défense des intérêts de l'Etat. Fraîchement publié, son rapport annuel dévoile une activité intense, structurée autour de grands axes de transformation juridique, numérique et institutionnelle. Ainsi, au cours de l'année écoulée, l'AJR a poursuivi sa mission fondamentale consistant à protéger les deniers publics et défendre l'Etat dans toutes les juridictions. La première grande tendance du rapport est l'ampleur du contentieux traité. Avec plus de 26.000 nouveaux dossiers ouverts, l'agence a consolidé sa capacité à absorber une charge de travail élevée, tout en maintenant une qualité de défense notable. Ce sont ainsi plus de 6,19 milliards de dirhams qui ont été épargnés au Trésor public grâce aux interventions de l'AJR, un chiffre record. Une part considérable de ces économies provient d'un arbitrage international majeur, où l'Etat a obtenu une sentence entièrement favorable, évitant un paiement de 3,04 milliards de dirhams. Cette victoire illustre l'efficacité de l'AJR dans les arbitrages complexes, souvent engagés contre des contreparties puissantes sur la scène mondiale. Dans le contentieux national, l'agence affiche un taux de succès de 95 % dans les affaires jugées en faveur de l'Etat. Les statistiques montrent que la majorité des litiges gagnés concernent des affaires administratives, commerciales ou liées à des décisions contestées des entités publiques. La prévention comme pilier stratégique Longtemps cantonnée à une fonction essentiellement défensive, l'AJR a fait de la prévention des litiges un axe structurant de son action. Le rapport 2024 consacre plusieurs dizaines de pages à ce volet, révélant une transformation profonde des pratiques internes. L'agence a mis en place une cellule de veille juridique systématique, capable non seulement d'identifier les tendances contentieuses émergentes mais aussi de formuler des recommandations ciblées pour éviter la naissance de litiges. Cette cellule a identifié 40 types de risques réguliers, du défaut d'examen de conformité juridique dans les marchés publics aux imprécisions dans les actes administratifs, et a proposé 26 mesures correctives adoptées ou en cours d'adoption par les administrations concernées. Le rapport souligne la création d'une plateforme numérique interne, baptisée Mouwakaba, qui centralise les analyses de risques sur les projets sensibles. Grâce à cet outil, 190 projets publics à fort enjeu ont été audités sur le plan juridique, permettant aux décideurs d'ajuster en amont des actes qui, sans cette vigilance, auraient pu générer des contentieux coûteux. Digitalisation, formation et modernisation La mise en œuvre des technologies de l'information a marqué une étape importante en 2024. La plateforme Tabadoul, reliant l'AJR aux tribunaux administratifs, aux cours d'appel et aux services centraux des ministères, a permis de fluidifier la circulation des dossiers et d'éviter les ruptures d'information entre services. Cette interconnexion a considérablement réduit les délais de traitement et renforcé la coordination dans les procédures complexes. L'AJR a également intensifié ses programmes de formation juridique, en organisant 60 sessions destinées à plus de 2.500 cadres et juristes, non seulement au sein de l'agence mais aussi dans les ministères et établissements publics partenaires. Ces formations ont couvert des sujets variés (droit administratif, contentieux fiscal, procédures d'arbitrage, compliance, et innovations procédurales). Selon le rapport, ces actions ont contribué à diffuser une culture de prévention juridique auprès des services publics, favorisant un recul des erreurs procédurales qui alimentent traditionnellement les litiges. Polices de l'eau, de l'environnement et nouveaux champs d'intervention Outre les contentieux classiques, l'AJR a élargi son champ d'action en 2024 à des domaines émergents. Elle a assuré le suivi juridique de dossiers liés à l'environnement, en particulier dans des conflits opposant l'administration à des opérateurs économiques sur des questions de normes environnementales ou d'autorisation d'exploitation. Par ailleurs, l'agence a intensifié son rôle de conseil et de représentation dans des litiges liés à la gestion des ressources naturelles ou du foncier public, des secteurs où la complexité juridique est en forte croissance, souvent en lien avec des enjeux économiques majeurs. Accompagnement des agents publics L'AJR ne se contente pas de défendre l'Etat dans les enceintes judiciaires : elle accompagne également ses agents. En 2024, 2.213 fonctionnaires ont bénéficié d'une assistance juridique personnalisée, notamment dans les cas d'agressions ou de réclamations liées à l'exercice de leurs fonctions. Ce volet, souvent sous‐médiatisé, souligne l'approche globale de l'agence, considérant que la protection des agents contribue à l'efficacité du service public et à la sécurité juridique de l'Etat. Recouvrements, exécutions et sauvegarde du patrimoine public L'un des aspects les plus concrets de l'action judiciaire de l'Etat concerne l'exécution des décisions de justice favorables à l'administration. En 2024, grâce à des procédures regroupées et une meilleure intégration des outils numériques, l'AJR a piloté des actions de recouvrement et d'exécution qui ont permis de récupérer plus de 543 millions de dirhams au titre de débours publics ou de condamnations pécuniaires. L'agence a aussi suivi des opérations de restitution de biens publics, avec notamment 205 cas d'évacuations de logements administratifs occupés indûment ou de libération de voies publiques, illustrant sa capacité à transformer les décisions judiciaires en effets concrets. Gouvernance et transparence Un chantier majeur ouvert en 2024 a été la création d'une commission de sélection des conseils juridiques externes, visant à professionnaliser la relation entre l'Etat et les cabinets choisis pour représenter ses intérêts. Cette réforme introduit des critères objectifs, de transparence et de performance, afin d'assurer un juste équilibre entre expertise, coût et résultats attendus. Parallèlement, des efforts ont été déployés pour renforcer la transparence des appels d'offres juridiques, des statistiques de contentieux, et des publications de jurisprudence où l'Etat est partie. Coopération internationale et rayonnement L'année 2024 a vu l'AJR renforcer son intégration dans les réseaux juridiques internationaux. Elle a représenté le Maroc à des colloques et conférences sur la lutte contre le blanchiment d'argent, la réforme du droit administratif et la gestion des arbitrages internationaux. Ces participations ont permis d'exporter certaines pratiques marocaines, notamment en matière de veille juridique intégrée et de pilotage numérique du contentieux. Perspectives 2025 Le rapport conclut sur des priorités claires pour 2025 : poursuivre la digitalisation des procédures, approfondir la prévention des contentieux liés aux marchés publics, renforcer la capacité d'analyse stratégique des risques juridiques, et améliorer encore la formation des cadres publics à la compréhension des enjeux juridiques. L'AJR envisage aussi d'étendre sa coopération technique avec des institutions étrangères, ainsi que de mener des études comparatives pour enrichir ses référentiels internes.