Confrontée à des besoins financiers croissants, la commune de Casablanca revoit en profondeur les redevances liées à l'occupation de son domaine public. La métropole entend sécuriser ses ressources propres tout en redéfinissant le partage de la charge entre acteurs économiques. À Casablanca, la question budgétaire ne se limite plus aux arbitrages comptables. Elle s'invite désormais sur les trottoirs, dans les artères commerciales et sur les réseaux urbains. La révision des redevances d'occupation du domaine public, examinée par la Commission du budget du Conseil de la ville, marque une étape importante dans la stratégie financière de la métropole. Loin d'une simple mise à jour tarifaire, le document traduit une volonté claire de renforcer la capacité de financement communal en s'appuyant sur la valeur du foncier public. Dans une ville aux besoins structurels élevés, entre infrastructures, services urbains et pression démographique, le domaine public apparaît de plus en plus comme un actif à mobiliser. Casablanca face à l'équation budgétaire La démarche engagée par la commune s'inscrit dans un contexte bien précis. Casablanca concentre une part importante de l'activité économique nationale, mais aussi des charges lourdes liées à son statut de capitale économique. L'entretien de la voirie, la gestion des espaces publics, la modernisation des réseaux et l'amélioration du cadre urbain pèsent durablement sur les finances locales. Le document soumis à la Commission du budget part d'un constat simple. Les redevances appliquées jusqu'ici ne reflètent plus la réalité économique de la ville ni la valeur différenciée de ses espaces. Certaines grilles tarifaires sont anciennes, parfois uniformes, et insuffisamment adaptées à l'hétérogénéité du territoire casablancais. La réforme repose sur un principe central : la différenciation territoriale. Casablanca est découpée selon le niveau d'équipement et de services des zones urbaines. Les secteurs les plus structurés, dotés d'infrastructures complètes et d'une forte attractivité commerciale, sont appelés à supporter des redevances plus élevées. À l'inverse, les zones moins équipées bénéficieront de tarifs plus modérés. Cette approche rompt avec une logique uniforme longtemps appliquée dans la gestion du domaine public. Elle vise à aligner la contribution financière sur la valeur réelle de l'espace occupé, en tenant compte de son environnement urbain et de son potentiel économique. Le domaine public au cœur de l'économie urbaine À travers les tableaux tarifaires détaillés, une orientation se dégage nettement. L'occupation du domaine public à Casablanca n'est plus considérée comme un simple usage toléré, mais comme une exploitation économique encadrée. Trottoirs, voiries, espaces attenants et emprises visibles deviennent des supports de création de valeur pour les acteurs privés, et donc des sources potentielles de revenus pour la commune. Les activités commerciales installées sur le domaine public figurent parmi les premières concernées. La distinction entre occupation temporaire et permanente, la localisation et la nature de l'activité influencent désormais directement le niveau de redevance. Autre volet structurant du dispositif, les redevances appliquées aux réseaux urbains. Eau, électricité, télécommunications et autres infrastructures techniques utilisent massivement le domaine public communal. Le document acte une volonté de mieux encadrer cette occupation et d'en tirer un rendement plus cohérent avec l'importance stratégique de ces réseaux. Pour la commune, l'enjeu est double. Il s'agit à la fois de sécuriser juridiquement l'utilisation du domaine public et de capter une part plus juste de la valeur générée par des opérateurs disposant d'une capacité contributive significative. Qui va payer la nouvelle valorisation ? Derrière la logique financière, la question de la répartition de l'effort se pose avec acuité. Les grands opérateurs et les activités économiques structurées disposent de marges leur permettant d'absorber des redevances plus élevées. La situation est plus délicate pour les petits commerçants et les activités à faible rentabilité, qui se concentrent principalement dans les quartiers centraux à forte densité urbaine. Le risque d'un report des coûts sur les prix pratiqués aux consommateurs n'est pas écarté. À Casablanca, où le pouvoir d'achat reste un sujet sensible, l'équilibre entre rendement budgétaire et acceptabilité économique sera déterminant. La réforme s'appuie sur des outils techniques avancés, notamment la cartographie et les systèmes d'information géographique. Ces instruments doivent permettre une classification précise des zones et une application cohérente des tarifs. Toutefois, leur mise en œuvre repose largement sur les choix opérés par les instances communales. Le classement des zones, la délimitation des périmètres et l'ajustement des redevances constituent autant de décisions potentiellement sensibles sur le plan politique. À Casablanca, chaque arbitrage budgétaire est scruté par les acteurs économiques et les élus d'arrondissement, conscients des impacts locaux. Une stratégie financière assumée Au-delà des tableaux et des grilles tarifaires, le document révèle une orientation stratégique claire. Casablanca cherche à renforcer ses ressources propres en valorisant mieux son patrimoine public, plutôt qu'en multipliant les prélèvements indirects ou en dépendant davantage des transferts. Cette approche traduit une montée en maturité de la gestion financière locale. Elle pose néanmoins une condition essentielle pour sa réussite. Les recettes supplémentaires attendues devront se traduire par une amélioration tangible des services urbains et de la qualité de l'espace public, au risque de voir la réforme perçue comme une simple pression fiscale supplémentaire. Ce qui va faire débat à Casablanca La nouvelle tarification du domaine public risque de cristalliser plusieurs lignes de fracture. La hausse ciblée des redevances dans les zones les mieux équipées pourrait être perçue comme une pression supplémentaire sur les petits commerçants installés dans les quartiers centraux, déjà confrontés à des charges élevées. La question du report des coûts sur les prix pratiqués auprès des consommateurs se pose avec acuité, dans un contexte de pouvoir d'achat sous tension. Le zonage du territoire, pierre angulaire du dispositif, pourrait également susciter des contestations. Le classement de certains secteurs en zones fortement équipées repose sur des critères techniques qui devront être clairement expliqués pour éviter les accusations d'arbitraire. Enfin, la capacité de la commune à transformer les recettes supplémentaires en améliorations visibles du cadre urbain sera scrutée de près. Sans retombées concrètes, la réforme pourrait être perçue moins comme un outil de modernisation que comme une nouvelle source de pression fiscale locale. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO