Dans «Le Festival de Cannes» et «La Mauvaise Vie», Frédéric Mitterand raconte son histoire forte avec le cinéma et le monde arabe. Une vie ponctuée d'œuvres et de rencontres avec les étoiles du septième art. Eclairage. Q uand on n'a pas grand-chose à y faire, le Festival de Cannes est une drogue dure de la jeunesse, elle donne l'illusion que l'on s'amuse au cœur du monde. C'est difficile de décrocher, ça prend du temps et ça demande des efforts mais je m'étais juré il y a quelques années que je n'y retournerai pas tant que je n'aurai pas un film à présenter ou un projet précis à défendre (…)». En ce temps de frénésie cinématographique qui va agiter la ville ocre huit jours durant, l'envie m'est venue d'évoquer le goût du cinéma de Frédéric Mitterand, notamment à travers le roman qu'il signe en 2007, au sujet du festival qui souffle à l'aube de chaque printemps sur La Croisette, «Le Festival de Cannes». Au-delà du glamour et des paillettes, c'est la sensibilité de ce rare critique du septième art, l'un des derniers de l'Hexagone sur le cinéma de la région du Maghreb, le seul à s'exprimer sur feu Youssef Chahine et feu Ahmed Attia, qui touche en plein cœur. On retrouve sa sensibilité exacerbée, son acuité, qui savent s'attarder sur certains destins, souvent dans l'ombre, afin de dire les espoirs et les rêves évanouis, comme le ton juste, singulier, de certains passages de «La Mauvaise Vie», roman d'inspiration autobiographique. Publié deux ans plus tôt, ce livre, véritable baume, se déroule en séquences de film, l'un de ceux que pourraient signer Sam Mendes, («American Beauty», «Noces Rebelles»), tant l'extrait sur l'enfant, ce petit Tunisien qu'il a adopté plusieurs années auparavant, ou encore l'histoire de l'amant espagnol, l'amour de toute une vie, troublent l'âme. La voix nette de l'auteur poursuivant au fil des pages du «Festival de Cannes» : «(…) Après une longue abstinence que je n'ai pas mise à profit pour devenir le nouveau Spielberg, j'adopte le profil discret du cinéphile de base qui me permettra peut-être de surmonter la nostalgie des ambitions perdues et de faire la paix avec les regrets et les souvenirs (…)». Souvenons-nous de la passion de Frédéric Mitterand pour le cinéma, qui l'incite à créer, en 1971, une chaîne de cinémas d'art et essai (salle Olympic et Entrepôt), et des émissions de télévision qu'il produit et anime : «Etoiles étoiles», «Du côté de chez Fred», «Les amants du siècle». Souvenons-nous de ce moment de direct, où l'actrice Gina Lollobrigida, monument du cinéma italien des années 60, craque au beau milieu de l'interview, en proie à la solitude, les yeux embués de larmes et les sanglots dans la voix. L'homme face à elle est plus qu'un intervieweur, il a la délicatesse et la générosité de lui dire qu'elle a des amis et qu'il est son ami… Et n'oublions pas qu'il est l'ami de notre région : il a adopté la nationalité tunisienne et, quelques années plus tôt, deux frères tunisiens. Pris par la fascination arabe, il découvre, encore enfant, le Maroc aux côtés de son beau-père, et les Arabes, dans une France où l'on trouve «qu'ils ont tout de même une sale gueule» (extrait de «La Mauvaise Vie»). Pour l'enfant, ils n'ont pas une sale gueule et «la sensualité diffuse de la rue arabe, les terrasses de cafés où il n'y a que des hommes, les gosses qui jouent au foot sur des terrains vagues poussiéreux, les cireurs de chaussures et les petits métiers qui s'agrippent aux étrangers, la musique même qui appelle à la radio, tout m'attire immanquablement».