Sorti sur les écrans marocains depuis hier, La Source des femmes ne cesse d'alimenter les colonnes de la presse, élogieuse et dithyrambique. Tragi-comique, musique, tradition érotique arabe traversent cette quête d'universalité où les femmes mènent la danse et la tentation de la grève de l'amour. Radu Mihaileanu, solaire, débordant d'humanité, se délie sans détour. Que vous a inspiré l'avant-première de La Source des femmes qui s'est tenue le 3 novembre à Casablanca ? J'ai été marqué par l'accueil très chaleureux : je rêvais de vivre cette avant-première, ayant réalisé le film au Maroc. Nous avions déjà présenté La Source des femmes, en avant-première marocaine et arabe lors du 5e Festival du film de femmes de Salé, à la profession et à la critique. Cette avant-première casablancaise s'est déroulée, face à un vrai public. Je souhaitais savoir comment le film y serait perçu, car étaient notamment présents l'équipe de tournage, les comédiens, les productions marocaine et française, nombre de journalistes et de femmes directrices d'associations, de coopératives, se battant depuis longtemps en faveur de leurs droits. J'avais à la fois hâte et peur de vivre cette présentation. Je craignais qu'on puisse ne pas aimer le film, mais les réactions ont été très positives. On s'interroge toujours sur le propos, et les raisons qui nous poussent à traiter un sujet ; on ne veut pas trahir le public. Et une part de réponses à ces questionnements s'est fait sentir. J'en retiens une rare chaleur, et une émotion largement partagée. Vos personnages féminins ont de fortes personnalités. Comment s'est dessinée leur composition riche et quasi théâtrale ? Nous avons écrit, Alain-Michel Blanc, mon coscénariste et moi-même, en lisant d'abord des livres de théologie, de sociologues, des ouvrages sur l'Islam. Puis nous sommes allés sur le terrain, afin d'être au contact de nombreux villages, et de la vie des coopératives. Nous avons observé, écouté, noté la vie de ces villages : c'est à ce moment que se sont révélés certains personnages, qui nous ont raconté leurs histoires. Des figures se sont ainsi enrichies, comme celle de Leïla, incarnant le courage, l'étrangère, car elle est originaire du Sud. Elle m'a été inspirée par la femme du guide d'un village, qui avait épousé par amour une fille, issue de Zagora. C'était un acte révolutionnaire, il s'était marié contre les siens, comme le personnage de Sami, instituteur et mari de Leïla, surnommée dans le village, lberania [l'étrangère]. Les cultures de la montagne et du désert sont différentes. Leïla s'est affranchie de certains codes. Elle a vécu l'exil ; elle est, donc, plus libre et déterminée à mener la grève de l'amour. Des lieux d'intimité, comme le hammam, nous ont aussi été inspirés par des femmes rencontrées notamment en Tunisie, en Iran. Biyouna campe également un personnage extraordinaire, « Vieux fusil », alliant sagesse populaire et féminine usant du langage imagé, lme'na qui rappelle nos grand-mères, nos grand-tantes… Je l'ai surnommée « Vieux fusil », car ses paroles sont comme des balles, son flow est pareil à celui du rap, et au service du bien. Elle inspire une autorité naturelle, en étant pétrie d'humour. Elle porte en elle l'histoire des générations, c'est une femme rencontrée dans la montagne et qui m'a raconté sa vie. C'est elle qui règle les problèmes du village à travers le chant. Elle parvient à bout de situations délicates par cette voie, et l'ensemble du village comprend le problème, qui est finalement résolu. Des lieux d'intimité, comme le hammam, nous ont aussi été inspirés par ces femmes et celles rencontrées en Tunisie, en Iran, à la manière d'un conte oriental, nourri par des histoires similaires. Vous avez vécu et créé sous la dictature de Ceaucescu en tant que metteur en scène. Le théâtre vous manque-t-il ? J'aimerais évidemment, revenir au théâtre, que j'aime toujours autant. Ce sont mes premières amours, des amours qui vous marquent à vie. Je ne sais pas si ce que j'y explorerai y apportera un réel intérêt. Le théâtre a énormément évolué depuis que je l'ai quitté. Le Théâtre du Châtelet souhaiterait que j'écrive une pièce musicale. Cela implique de trouver un sujet que je maîtrise, afin de répondre à la mesure de cette ambition. J'ai encore le souvenir de l'esprit de troupe, d'artistes enfermés dans un lieu clos, et qui échangent avec le public, ce que j'adore