Les promoteurs immobiliers entrevoient enfin les prémisses d'une reprise du marché. Analyse. Unanimité est faite sur les prémisses d'une reprise du secteur immobilier. Pour les promoteurs interrogés par le Temps, la crise est bien derrière, même si ses séquelles sont toujours présentes. En effet, l'année 2009 a été dure pour tout le monde, et pour le secteur immobilier tout particulièrement. «Le syndrome LCI», comme l'appellent certains promoteurs ayant pignon sur rue, a eu un effet d'entraînement inattendu. Dès l'éclatement de la bulle spéculative aux Etats-Unis, et le déferlement de ses conséquences financières en Europe, les ménages marocains y ont vu matière à faire preuve de réserve. Les épargnants ont préféré garder leurs économies plutôt que d'investir dans le béton, un secteur qui était sous tension. Cette ambiance n'a pas fait les affaires des promoteurs immobiliers qui ont vu leurs prévisions de vente fondre comme neige au soleil. Le paroxysme du syndrome LCI s'est fait sentir en 2009 , année qui a connu des baisses assez spectaculaires en termes de ventes et de prix d'échanges des biens immobiliers. Le marché a en effet enregistré une régression de 15,3 % des ventes des biens immobiliers immatriculés en 2009. Ce chiffre est on ne peut plus officiel. Il émane du rapport sur l'indice des prix immobiliers produit par Bank Al Maghrib en partenariat avec l'Agence Nationale de la Conservation foncière et du Cadastre. Ce recul a concerné l'ensemble des catégories de logements. Ainsi, par catégorie de biens immobiliers, les prix des appartements se sont inscrits en baisse pour la deuxième année consécutive, soit -1,4 % en 2009 après -0,7 % en 2008. Les prix des maisons ont diminué de 2,5 % en 2009 après une augmentation de 4,3 % en 2008, alors que ceux des villas se sont stabilisés après la hausse de 5 %. Les appartements, qui représentent 90 % des transactions, ont connu une baisse d'environ 13,5 % en 2009 après un accroissement de 50 % et de 3 % respectivement en 2007 et 2008. De même, les ventes de maisons et celles des villas ont baissé respectivement de 38,4 % et de 3,7% en 2009, particulièrement dans les grandes villes des régions de Souss-Massa-Draa et Gharb-Chrarda-Beni Hssen. C'est dire que l'impact psychologique de la crise a marqué le marché marocain. Mais ce nuage semble prendre le large, loin des côtes ensoleillées du royaume. En effet, selon le même indice de Bank Al Maghrib, l'évolution du secteur immobilier au 4e trimestre 2009, a enregistré un redressement progressif des prix immobiliers au cours des deux derniers trimestres 2009, après le retournement observé à partir du 1er trimestre 2008, une atténuation de la baisse du rythme d'augmentation des prix en glissement annuel au 4e trimestre 2009. Donc, déjà, la reprise se profilait dès la fin de l'année dernière. Il est vrai que la tendance à la baisse des transactions réalisées se maintient, mais elle évolue dans un rythme moins soutenu. Dans la dernière livraison de Bank Al Maghrib datant du 14 mai, on peut lire «Selon les données arrêtées 35 jours après le premier trimestre, les ventes des biens immobiliers résidentiels immatriculés au niveau de l'ANCFCC ont connu au cours du 1er trimestre 2010, une baisse de 1,4% sur un an, pour s'établir à près de 15 520 transactions. Ce repli des ventes a concerné les trois catégories de logements, toutefois, à des degrés divers. Au niveau régional, les ventes ont reculé dans les régions de Marrakech-Tensift-Al Haouz, l'Oriental, Rabat-Salé-Zemmour-Zaërs, Tadla-Azilal, Tanger-Tétouan, et Fès-Boulemane, les autres régions ayant connu des augmentations des ventes». Il en ressort que les ventes se redressent dans bien des endroits. Ces données qui attestent d'une reprise, légère certes mais bien réelle, sont corroborées par les affirmations de grands promoteurs de la place. Ainsi, pour Karim Belamaachi, directeur général, d'Alliance Développement, «une légère reprise se confirme sur le marché avec des disparités par ville». Le même sentiment est partagé par le groupe Chaâbi qui estime «perceptible une reprise depuis début 2010». Prendre le train en marche Si reprise il y a, les promoteurs doivent en tirer le maximum. En effet, le dynamisme du marché se mesure par l'ampleur de la demande et celle de l'offre. Les estimations du ministère de l'Habitat résonnent encore dans les oreilles des acteurs du marché : «la croissance constante de la demande prévoyait en 2007 un déficit de 1.700.000 logements». Ce diagnostic émane du ministère de l'Habitat et justifie en grande partie la politique d'encouragement du secteur. En effet, à partir des années 2000, une politique claire de soutien à l'investissement dans le secteur immobilier a été mise en place. C'est le fameux article 19 de la Loi de finances 2000. Ce dernier accordait des avantages fiscaux aux promoteurs qui s'engageaient, par convention avec l'Etat, à produire 5.000 logements dont la valeur unitaire ne dépasse pas 200.000 DH. Cette politique a boosté le secteur et de grands promoteurs ont connu un essor considérable, à l'instar du groupe Douja Promotion Groupe Addoha. Les fruits de la politique étatique ne se sont pas fait attendre. La production de logements en milieu urbain a connu, depuis 2003, un accroissement important. La production de logements sociaux qui oscillait depuis plusieurs années entre 80.000 et 90.000 logements par an, à l'exception de l'année 1996 avec le lancement du programme 200.000 logements, a dépassé les 115.000 logements en 2006,121.000 logements en 2007 et 129.000 en 2008. Mais un jour, l'euphorie a été stoppée net. La carotte fiscale a disparu et le logement social s'est effondré. Pas pour tous. Auprès d' Addoha, on se veut explicite. Selon des sources au sein du groupe, l'arrêt de la production du logement à 200.000 dirhams et la disparition des conventions avec l'Etat pour deux années consécutives ne concernent pas le groupe. «Nous avons signé plusieurs conventions en 2007 avec une mobilisation renforcée du foncier. Cela nous a permis de garder un stock de projets assez importants et qui bénéficient des avantages accordés dans le cadre de l'article 19, même après sa disparition». Autrement, le groupe a continué sur son trend et continuera sur son stock de projets jusqu'en 2013. Preuve en sont les chiffres annoncés lors de la présentation des résultats du groupe : Addoha a vendu 22.000 logements économiques et sociaux en 2009, l'année même de la crise immobilière mondiale. Et l'avenir s'annonce radieux pour tous. En effet, le coup de théâtre de l'année 2009 fut justement l'adoption par le Parlement d'un nouveau dispositif encourageant le logement social. Ce dispositif, publié dans la Loi de finances 2010, donne des avantages aux promoteurs immobiliers qui s'engagent à réaliser des projets sociaux de 500 logements et plus d'une valeur unitaire de 250.000 DH. Et la cerise sur le gâteau : la mobilisation de 3 850 hectares du foncier public destiné au logement social. Le projet est faramineux et les promoteurs y voient l'occasion de reprendre du poil de la bête, commercialement parlant. L'offre de l'Etat a eu l'effet d'une bombe et alors que nous mettions sous presse, nos sources au ministère de l'Habitat nous soufflent sur le ton de la confidence que depuis l'annonce de ce package fiscal début janvier 2010, 40 conventions portant sur la réalisation de projets sociaux ont été signées par des promoteurs immobiliers. Les grands, bien entendu, voient grands. Addoha s'est engagée sur 120.000 logements sur cinq ans, Alliance Développement 80.000 sur 10 ans et la Compagnie Générale Immobilière construira 100.000 logements sur 10 ans aussi. D'autres, comme le groupe Chaâbi, estimant disposer d'un stock de projets assez importants, n'ont pas mis la main dans la mêlée. Equilibrer le haut et l'entrée de gamme Si le logement social laisse entrevoir des perspectives alléchantes en termes de chiffre d'affaires, le haut standing ne manque pas aussi d'attrait. Un segment où les marges sont importantes et la demande, malgré l'effet de la crise, reste intéressante, tant au Maroc qu'au niveau international. Globalement, sur le haut de la gamme, les grandeurs du marché ne sont pas aussi attractifs qu'on l'on croit. La production du haut standing ne représente que 600 unités par an. Le segment de luxe a de belles perspectives en vue. Et les promoteurs le savent en agissant sur l'offre. Ainsi, le cas d'Alliance Développement est édifiant à ce sujet. La société immobilière qui reste, dans une proportion de son chiffre d'affaires, positionnée sur le haut de la gamme, a procédé à une adaptation de son offre en fonction de la clientèle ciblée. «Dès la récupération de la station balnéaire de Lixus, nous avons d'abord adapté nos produits aux tendances du marché», explique Karim Belmaachi. Selon lui, le projet initial était positionné sur une clientèle étrangère avec une demande bien spécifique en termes de gestion de l'espace. Le groupe a repris les rênes de cette station qui s'étale sur 460 hectares alors que la crise internationale pointait à l'horizon. Le management de la société en a profité pour réorienter l'offre vers le marché local. Du coût, il fallait coller au goût du client marocain sur le haut standing. L'effort de réadaptation touche à sa fin et l'opération de commercialisation (annoncée en primeur) débutera en juin. Entre temps, Alliance s'en sort plutôt bien sur le projet Al Maaden à Marrakech mais peine un peu sur Tanger. Addoha a une autre approche. Prestigia, son pôle de développement de l'habitat de prestige, a défini son offre en période de crise. «Nous avons eu le temps d'adapter nos prix et nos produits à une demande impactée, psychologiquement par la crise», indique une source autorisée au sein de Prestigia. Autrement, l'offre de Adohha se positionne sur des prix assez compétitifs avec des villas à partir de 3,8 millions de DH (jusqu'à 12 millions de dirhams) et des appartements à partir de 1,5 MDH, voire même 990.000 DH, comme c'est le cas de Ryad Al Andalouss à Fès. De même, pour illustrer la force de vente de la filiale du groupe Douja Promotion, notre source reprend un chiffre significatif : de février 2009 à février 2010, Prestigia a vendu 3700 logements haut standing, contre un chiffre d'affaires de 8 milliards de dirhams. Quant à l'avenir, la filiale de Anas Sefrioui ambitionne de passer à la vitesse supérieure. La société s'engage dans une logique de production de masse du produit haut standing avec l'objectif d'atteindre 30.000 unités sur 10 ans. La machine Sefrioui est donc en marche avec un mix marketing innovant. «Le marché connaîtra bientôt de nouvelles surprises en termes de positionnement et en termes de projets», conclut notre source qui s'interdit d'en dire d'avantage. Yassir Cherkaoui