Les grandes messes diplomatiques aboutissent rarement à des résultats tangibles. Le XXIVème sommet de l'Otan, l'Organisation atlantique, les 19 et 20 novembre 2010 à Lisbonne, a échappé à cette fatalité. Les vingt huit chefs d'états et de gouvernements qui y ont participé ont réussi à faire entrer l'OTAN dans le XXIème siècle, c'est à dire à remplacer la stratégie élaborée en 1999 par la définition d'un nouveau concept stratégique pour les dix prochaines années. Une obligation quand les nouveaux défis à la sécurité - comme l'invasion du Koweit par l'Irak de Saddam Hussein ou la guerre dans l'ex-Yougoslavie - échappent au champ d'action traditionnel de l'Alliance. Aujourd'hui le plus grand danger émane d'acteurs non étatiques agissant comme de véritables ONG du crime: terrorisme, trafic d'armes et de drogue, criminalité transnationale, extrémisme religieux, attaques cybernétiques, groupes armés clandestins capables de détruire les institutions d'un pays…Ces nouveaux dangers, qui peuvent être aussi le fait de certains Etats, n'empêchent pas les menaces «traditionnelles» de perdurer qu'il s'agisse de la prolifération des armements nucléaires ou des missiles balistiques à longue portée. La tâche des participants du sommet de Lisbonne était donc était ardue puisque les nouvelles orientations de l'OTAN devaient tenir compte de ces nouvelles menaces sans abandonner le dispositif militaire «classique» même si la fin de la Guerre froide a rendu ce dernier en partie obsolète. Compromis entre Bonn et Paris Une autre difficulté résidait dans les différences d'approche entre alliés Européens, France et Allemagne principalement, sur le rôle du nucléaire et du bouclier anti-missile que les Américains veulent déployer pour protéger les Européens des frappes éventuelles d'Etats considérés hors la loi internationale, la Corée du Nord ou l'Iran par exemple…La volonté de Barack Obama d'œuvrer pour «un monde sans armes nucléaires» alors que l'Otan est à l'origine une alliance nucléaire n'a fait qu'accentuer ces divergences. Paris, qui considère l'arme nucléaire comme partie intégrante de son identité, refusait - contrairement à l'Allemagne - que le bouclier anti-missile devienne un substitut à la dissuasion nucléaire. Un compromis franco-allemand de dernière minute a cependant permis que Paris accepte le dispositif défensif anti-missile, obtenant en contre partie que le sommet de l'Otan fasse explicitement référence à l'importance de la dissuasion nucléaire. Nicolas Sarkozy lançait même comme pour justifier son ralliement au fameux bouclier : «La France appelle un chat un chat : la menace des missiles aujourd'hui, c'est l'Iran. Donc si un jour l'Iran tire un missile vers l'Europe, il est certainement souhaitable que l'on puisse l'intercepter». Autres complications : le conflit entre Chypre et la Turquie qui bloque toute coopération étroite entre l'Europe et l'Otan tandis que la relation entre Moscou et l'Otan achoppait sur le projet de bouclier anti-missile. Intérêts bien compris de la Russie En dépit de ces problèmes, la réunion de Lisbonne a permis à l'Otan de «compléter» le principe de la dissuasion nucléaire par la mise en place du fameux bouclier anti-missile; de préciser le calendrier du désengagement militaire de l'Alliance d'Afghanistan et d'apaiser les relations avec la Russie mises à mal par l'intervention russe en Géorgie à l'été 2008. C'est peut-être d'ailleurs sur ce dernier point que les progrès sont le plus notables. Certes des «différences» importantes persistent avec Moscou notamment sur la Géorgie où l'Otan appelle la Russie à «revenir» sur sa reconnaissance des indépendances de l'Abkhazie et de l'Ossétie du sud qui sont, insiste l'Alliance, des «régions de la Géorgie». Autres différends : le non respect par Moscou du traité sur les armes conventionnelles et sur le nombre d'armes nucléaires russes stationnées en Europe qui demeure plus important que celui des têtes nucléaires américaines. Malgré cela, les intérêts bien compris de la Russie ont permis un réel réchauffement. Le président Medvedev s'est ainsi déclaré prêt à discuter du bouclier anti-missile sans toutefois aller jusqu'à promettre une participation. Une chose est sûre : les Russes, en entrant dans un processus de discussion, entendent avoir leur mot à dire sur la nouvelle architecture de sécurité qui s'installe en Europe et particulièrement sur les limites géographiques du bouclier, le nombre et la portée de ses intercepteurs. Pari risqué en Afghanistan La Russie avait aussi intérêt à renforcer la coopération sur le dossier afghan : elle veut contenir les talibans pour les empêcher de déstabiliser ses voisins d'Asie Centrale. Moscou est donc prêt à fournir des hélicoptères à l'armée afghane et autorise l'Alliance à transporter le matériel militaire nécessaire à la coalition anti-talibans via son territoire et celui de ses anciens satellites d'Asie centrale. «Le rapprochement dépasse toutes les attentes», s'est du coup enthousiasmé le quotidien russe Kommersant en insistant sur le fait que le nouveau concept stratégique adopté par l'Otan mentionne que l'Alliance ne représente pas une menace pour la Russie. Mieux: Obama et Medvedev se sont entretenus de manière impromptue pendant une vingtaine de minutes. C'est en tout cas en partie grâce à transformation de la Russie en partenaire - et plus en en adversaire - que l'OTAN a pu adopter un calendrier de retrait par phases successives des troupes de combat internationales d'Afghanistan entre 2011 et fin 2014. Ce retrait, couplé avec un soutien à long terme du gouvernement de Kaboul, devrait avoir lieu à mesure que la responsabilité des combats sera transférée à l'armée afghane. Assumer collectivement la sécurité de la planète Débuter ce passage de relais au plus tard à l'été 2011 et faire exercer de plus en plus aux troupes internationales un rôle de soutien et d'instruction militaire de l'armée afghane constitue bien sûr un pari risqué. D'autant que les talibans ont une nouvelle fois promis «la défaite» des Occidentaux et que la Maison-Blanche admet que de «durs combats» attendent encore ces derniers. Cette décision de retrait n'en constitue pas moins un tournant, même si l'hostilité des opinions publiques occidentales à la présence en Afghanistan la rendait quasiment obligatoire. Ce n'est pas la seule nouveauté de ce XXIVème sommet de l'Otan. Avec l'aventure irakienne, les Etats-Unis ont découvert qu'ils ne pouvaient pas résoudre seuls tous les grands problèmes de sécurité et qu'ils devaient coopérer avec tous les pays décidés à oeuvrer pour régler les problèmes de sécurité globale. Le “nouveau concept stratégique” de l'Otan affirme donc que les “nouvelles menaces ne peuvent être combattues qu'en coopération non seulement avec les alliés occidentaux mais avec tous ceux qui partagent l'ambition de relations internationales pacifiques”. L'avenir dira si il s'agit de simples déclarations d'intention ou si l'apparition de ces nouvelles menaces peut contribuer à une action internationale plus concertée.