La première peinture marocaine réalisée par Winston Churchill, intitulée Marrakech, sera mise en vente le 19 novembre par la maison canadienne Heffel, dans le cadre d'une vente intitulée « Un héritage par l'art : la collection de la Compagnie de la Baie d'Hudson ». Estimée entre 400.000 et 600.000 dollars canadiens, cette œuvre rare témoigne de la fascination du célèbre homme d'Etat britannique pour la lumière et la beauté du Maroc. C'est une page méconnue de l'histoire artistique du XXe siècle qui refait surface à Toronto. La maison de vente Heffel s'apprête à proposer aux enchères Marrakech, une huile sur toile peinte vers 1935 par Winston Churchill. Connue comme la première œuvre marocaine du Premier ministre britannique, cette toile est à la fois un témoignage esthétique et une trace intime de la relation entre Churchill et la ville ocre.
Offerte initialement à son épouse, Lady Clementine Churchill, l'œuvre fut ultérieurement donnée par l'artiste à la Compagnie de la Baie d'Hudson en 1956. Ce geste, exceptionnel de la part de Churchill — réputé pour sa réticence à se séparer de ses peintures — traduisait la considération qu'il portait à cette institution canadienne, qui l'avait honoré deux ans plus tôt du titre de Grand Seigneur des Aventuriers d'Angleterre. Aujourd'hui, cette toile rare est estimée entre 400.000 et 600.000 dollars canadiens, soit jusqu'à près de 4 millions de dirhams marocains.
Datée de 1935, Marrakech correspond à la première rencontre de Churchill avec le Maroc. Ce voyage, entrepris hors de ses fonctions politiques, le mena du Caire à Tunis, puis à Casablanca et Marrakech. L'homme d'Etat, alors en retrait de la vie publique, se consacrait à la peinture comme exutoire et refuge intellectuel.
Inspiré par son ami peintre Sir John Lavery, qui lui vantait la lumière du Maghreb, Churchill fut immédiatement conquis. Dans ses carnets, il écrivait : « Ici, dans ces vastes palmeraies surgissant du désert, le voyageur peut être assuré qu'il ne trouvera jamais le monde ennuyeux. »
Cette fascination se cristallisa sur la toile : Marrakech capture la clarté dorée, la chaleur des architectures et la quiétude méditative d'une ville qui incarne pour Churchill un espace de renouveau. Pour le futur chef de guerre, ce tableau fut autant une quête picturale qu'un instant de paix intérieure.
Si Churchill est mondialement connu pour son éloquence et son rôle dans la Seconde Guerre mondiale, il fut également un peintre prolifique, auteur de plus de 500 toiles. Marrakech marque un tournant dans son évolution artistique : la technique s'affermit, la touche gagne en confiance, et la lumière devient sujet central.
La maison Heffel souligne que cette œuvre « révèle une maturité picturale nouvelle, alliant rigueur du regard et liberté du geste ». Loin des compositions européennes aux tons sourds, Churchill adopte ici une palette chaude et saturée : ocres rosés, verts palmiers, bleus limpides. La toile dégage une intensité solaire rare, à la croisée de l'émotion et du souvenir.
Cette transformation visuelle traduit un changement intérieur : l'homme d'Etat, souvent accablé par la gravité des affaires publiques, trouve dans la lumière de Marrakech un espace d'équilibre. Pour lui, peindre relevait moins de la performance que de la guérison. Entre ombre et éclat, la poésie d'un regard
La composition de Marrakech s'organise autour d'un jeu subtil de verticales et d'horizontales : les palmiers dressés rythment l'horizon, tandis que les murs ocres se dissolvent dans une lumière dorée. Trois petites figures humaines apparaissent au premier plan, introduisant une échelle discrète et une sérénité narrative. Les observateurs notent le traitement singulier de la lumière — « particulièrement saisissant », selon le catalogue de la vente — qui enveloppe la scène d'une chaleur dorée, presque méditative. Churchill parvient à restituer non seulement la beauté du lieu, mais aussi le sentiment d'apaisement qui l'habitait à Marrakech.
La toile, par son harmonie chromatique, évoque la filiation esthétique avec Henri Matisse, autre grand admirateur du Maroc. Si Churchill demeure attaché au réalisme figuratif, la proximité de leurs sensibilités s'exprime dans la recherche commune d'une lumière libératrice et d'une émotion universelle.
Longtemps éclipsée par sa carrière politique, l'œuvre picturale de Churchill suscite depuis quelques années un regain d'intérêt. En 2021, La Tour de la Koutoubia, autre toile marocaine peinte en 1943 et offerte à Franklin D. Roosevelt, s'était adjugée à plus de 11 millions de dollars chez Christie's, établissant un record.
Marrakech, plus intime et plus ancienne, s'inscrit dans la même veine de contemplation et de gratitude envers un pays dont la lumière a profondément influencé la sensibilité du peintre.
Pour les spécialistes, cette toile ne représente pas seulement une ville : elle condense un moment de renaissance personnelle et artistique. À travers Marrakech, Churchill ne peint pas un décor, mais un état d'âme — celui d'un homme en quête d'harmonie entre la couleur et la conscience.