Entre flambée des prix et structuration incomplète du secteur, la filière café au Maroc traverse une zone de turbulences. Les professionnels s'alarment, les consommateurs trinquent. Le café n'échappe pas à l'inflation ambiante. Depuis plus d'un an, les hausses s'accumulent sur le marché marocain et le consommateur final en ressent progressivement les effets. Selon les distributeurs, certains types de café ont vu leurs prix grimper de 20 à 30%, atteignant parfois 130 dirhams le kilo. Une tendance observée dès le début de l'année 2024, qui n'a par ailleurs pas manqué de s'accentuer au fil des mois. Pour les établissements de restauration, la répercussion sur les cartes et les prix finaux reste délicate, au risque de perdre une clientèle déjà fragilisée. Ils sont cependant de plus en plus nombreux à franchir le pas... À l'origine de cette envolée : un effet domino combinant hausse des cours internationaux, renchérissement du fret, et tension sur les stocks. La facture à l'import a explosé, sans que les volumes importés suivent la même courbe. Résultat : cafés et torréfacteurs encaissent tant bien que mal, dans un contexte déjà marqué par une forte concurrence et une consommation intérieure peu dynamique. Modestes moyennes Pour comprendre le phénomène, il convient d'abord d'analyser les modes de consommation et d'approvisionnement en café au niveau national. «D'une manière générale, l'approvisionnement du marché en cette denrée est assuré, d'une part, par les industriels spécialisés dans la torréfaction des grains de café «vert» importés par ces unités de transformation et d'autre part, par les divers importateurs de café «torréfié» consommable en l'état importé de plusieurs pays étrangers», nous explique l'Association Marocaine des Industriels du Thé et du Café (AMITC). Ainsi, en 2024, le Maroc a importé 54.508 tonnes de café vert destinées à l'industrie, contre 3.426 tonnes de café déjà torréfié. Ces chiffres n'incluent pas les formats solubles, ni les dosettes ou capsules, en progression dans les grandes villes. L'AMITC estime par ailleurs que «la demande nationale serait d'environ 38.102 tonnes, pouvant atteindre jusqu'à 40.000 tonnes sur une année glissante». Un chiffre qui reste modeste au regard des moyennes régionales. Fragilité de l'export À cette fragmentation s'ajoute une certaine «fragilité» de la dynamique d'exportation du café (transformé au niveau local) qui reste marginale, malgré les capacités de transformation développées par plusieurs unités locales. «Les statistiques de l'Office des Changes laissent apparaître des volumes très timides pour ne pas dire insignifiants sur les cinq dernières années», constate l'AMITC. Une situation que la profession espère voir évoluer. «C'est peut-être au niveau de ce créneau que l'Association Marocaine des Industriels du Thé et du Café sollicite l'accompagnement des ministères concernés pour trouver des débouchés, notamment sur le marché africain», poursuit la même source. Le continent est perçu comme un débouché naturel, mais reste à conquérir. Pour y parvenir, les opérateurs devront bénéficier d'un cadre incitatif clair, d'un appui en matière logistique et de garanties d'accès aux marchés. À défaut, le secteur risque de rester concentré sur un marché intérieur à la croissance incertaine.
Geste fiscal ? Dans l'immédiat, l'AMITC appelle à un geste fiscal pour alléger la pression sur les importateurs. Elle rappelle que «les pouvoirs publics dans de pareilles situations pour d'autres produits alimentaires de première nécessité, tels que le blé et les légumineuses, ont décidé de suspendre provisoirement à l'importation les droits de douane et autres taxes pour une durée déterminée». Et d'ajouter : «Cette approche semble bien convenir au café en attendant une accalmie sur le marché international». Les professionnels rappellent par ailleurs que «la dynamisation du secteur de la torréfaction industrielle dans notre pays s'inscrit parfaitement dans les Orientations Royales du Nouveau Modèle de Développement». Pour sortir durablement de sa vulnérabilité, la filière devra donc s'inscrire dans une stratégie industrielle cohérente, fondée sur l'intégration locale et la montée en gamme. En attendant, la fluctuation des prix du café continuera à faire boire la tasse aux acteurs du secteur et aux consommateurs.
3 questions à M. Mohamed Astaib, président de l'AMITC : « La mesure fiscale de la Loi des Finances a permis d'amortir l'impact du renchérissement de cette denrée sur le marché national » * La volatilité des prix du café est souvent attribuée à des facteurs globaux comme le climat ou le transport. Pourriez-vous nous expliquer comment ces éléments influencent concrètement les prix payés par les consommateurs marocains ? -Après la sortie de la pandémie du Covid-19, l'économie mondiale a connu une reprise et une évolution progressive des échanges mondiaux malgré la perturbation des marchés d'approvisionnement aussi bien en denrées alimentaires, matières premières et divers intrants des secteurs industriels de transformation qu'en biens d'équipement. En effet, la demande avait largement dépassé l'offre potentielle en raison, d'une part, des difficultés observées au démarrage des entreprises industrielles de production et, d'autre part, de l'enchérissement du fret et de l'indisponibilité du volume adéquat des conteneurs destinées à assurer l'acheminement des diverses marchandises vers les différents pays de consommation. Le café est l'un des produits agricoles qui est acheté et vendu en bourse. La rareté du produit sur le marché international ou son abondance détermine les niveaux de prix dans ces transactions commerciales.
* La baisse des droits de douane sur le café vert a été saluée par les industriels. Quel a été l'impact réel de cette mesure sur les prix et l'emploi dans le secteur de la torréfaction au Maroc ? -La mesure fiscale de la Loi des Finances n° 50-22 pour l'année budgétaire 2023 ayant ramené le droit d'importation applicable au café vert non torréfié de 10% à 2,5% a été salutaire pour le consommateur et également pour le tissu industriel national, du fait du renforcement des investissements dans plusieurs entreprises industrielles de torréfaction et de conditionnement générant, par là même, des milliers d'emplois supplémentaires. Cette mesure a permis d'amortir, dans une grande mesure, l'impact du renchérissement de cette denrée sur le marché national.
* La consommation de café au Maroc reste faible, surtout en dehors des villes. Peut-on espérer une croissance dans les années à venir, ou cette boisson restera-t-elle réservée à une clientèle urbaine ? - La cadence de l'évolution de la consommation du café au Maroc n'est pas, dans l'état actuel des choses, susceptible de connaitre un trend haussier au regard de la consommation annuelle par habitant qui oscille entre 800 et 900 grammes, niveau jugé relativement modeste. Le marché marocain est surtout connu pour son engouement séculaire pour la consommation du Thé vert, notamment dans les zones rurales, et n'a pas une grande tradition dans le domaine du café qui demeure une boisson «citadine». Tendances : Un marché concurrentiel en dépit de sa faible structuration Contrairement aux idées reçues, le café vert ne désigne pas une variété spécifique ou écologique, mais l'état brut du café tel qu'il est exporté par les pays producteurs. Il s'agit de grains encore non torréfiés, c'est-à-dire non chauffés, et donc impropres à la consommation directe. C'est cette matière première que les industriels marocains importent avant de la transformer localement. En 2024, le Maroc a ainsi importé 54.508 tonnes de café vert, destinées à la torréfaction, et 3.426 tonnes de café déjà torréfié, prêt à la consommation. En tenant compte de la perte de poids causée par la torréfaction (environ 20%), la consommation nationale est estimée entre 38.000 et 40.000 tonnes de café prêt à consommer. Cela représente à peine 800 à 900 grammes par habitant, un niveau faible comparé aux 1,5 kg en Tunisie. Le marché marocain reste cependant très concurrentiel même s'il demeure encore peu structuré. Il repose sur une dizaine d'unités industrielles modernes et une multitude de torréfacteurs artisanaux aux équipements rudimentaires.
International : Quand la mondialisation effrénée relève l'amertume du café Le café n'échappe pas à la logique impitoyable des marchés mondiaux. Comme le blé ou le sucre, il est coté en bourse : l'Arabica à New York, le Robusta à Londres. Ses prix varient selon la loi de l'offre et de la demande, mais aussi selon le rythme des événements climatiques et géopolitiques. Le Brésil, premier producteur mondial, fournit près d'un tiers du café consommé sur la planète. Une sécheresse prolongée, des inondations ou une année agricole moyenne suffisent à faire bondir les prix. La production mondiale est aussi tributaire de la stabilité dans d'autres pays comme le Vietnam ou la Colombie. À ces aléas structurels se sont ajoutées, ces dernières années, les conséquences durables de la crise sanitaire. À la sortie de la pandémie de Covid-19, la reprise économique mondiale s'est accompagnée d'une forte tension sur les chaînes d'approvisionnement. La demande a brusquement dépassé l'offre, à un moment où les capacités logistiques peinaient à redémarrer. Le coût du fret s'est envolé, les conteneurs sont devenus rares, les délais d'acheminement se sont allongés. Sous nos cieux, le café n'a pas pu échapper à ces turbulences. C'est l'ensemble de la chaîne qui a été affecté, du prix payé à l'achat jusqu'au détail dans les commerces. Cette instabilité persistante, où un cyclone à São Paulo ou une grève portuaire au Vietnam peuvent suffire à déséquilibrer les marchés, rend le pilotage du secteur national d'autant plus délicat. Le Maroc subit, en bout de chaîne, les effets d'un produit devenu emblématique de la mondialisation... et de ses fragilités. Cap sur l'Ouganda En mars 2025, le Royaume du Maroc est devenu le 13ème importateur mondial de café ougandais avec 7.760 sacs de 60 kg, soit 1,21% des importations du mois. Sur douze mois, il a importé 7.094 sacs de Robusta et 666 d'Arabica. Selon l'Autorité ougandaise de développement du secteur du café, le Royaume est désormais perçu comme un marché en expansion pour les cafés certifiés bio et l'Arabica lavé. L'Ouganda y voit un débouché stratégique dans un contexte de recul des ventes vers l'Asie et l'Amérique du Sud.
Café du Salvador Le Salvador a expédié en avril 2025 sa première cargaison de café vers le Maroc, soit plus de 1.000 quintaux d'un café gourmet cultivé à plus de 1.200 m d'altitude. La transaction, estimée à près de 500.000 dollars, marque l'entrée du pays d'Amérique centrale sur le marché nord-africain. A noter que le Conseil salvadorien du café a confirmé publiquement que d'autres commandes sont en préparation pour la campagne 2025-2026, à destination de torréfacteurs marocains.