Il plaît à certains de l'appeler le « père des arts », d'autres le sacrent comme « Première forme de l'expression humaine » devant même le dessin (rupestre), voire devant le langage... Après tout, quand on s'adresse à son semblable de l'espèce humaine, n'invitons-nous pas à notre secours la parole, le geste, la mimique, la capacité de la réplique et de l'élocution, l'occupation de l'espace et moult techniques et postures de l'art de la rhétorique pour convaincre, acquiescer ou refuser, communier ou se révolter, donner à voir, dénoncer, aimer, haïr, etc. Le théâtre fait de même, n'est-ce pas? Il use du même attirail que nous permet notre corps, ses membres et ses sens, en plus du rire, des pleurs et même l'absurde et le mystère ou le magique... C'est pour « éclairer l'humanité sur elle-même » que tous les pays du monde, représentés aux Nations Unies (193 États membres à ce jour), consacrent, depuis plus d'un demi-siècle, une journée mondiale à cet art pour le glorifier solennellement et pour célébrer ses hommes et ses femmes. C'est ainsi que le 27 mars de chaque année, scènes et media, à travers la planète, relayent le message écrit, à l'occasion, sur demande de l'Unesco, par une grande figure de ce noble art. C'est le 27 mars 1962 que le poète, peintre, cinéaste et dramaturge français, Jean Cocteau, livra le 1er message de glorification mondiale de cet art de scène par excellence. Une tradition annuelle décidée un an auparavant, à Vienne, par l'Institut International du Théâtre (IIT) créé par l'Unesco dès 1948, année de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, soit trois ans après la naissance de cette agence onusienne en charge de développer et de promouvoir l'éducation, la science et la culture pour tous les peuples de la terre et entre eux dans le but ultime de la paix... Car si « les guerres prennent naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix » (Préambule de l'Acte constitutif de l'organisation adopté à Londres le 16 novembre 1945, au sortir de l'horrible 2ème guerre mondiale). Depuis sa création, en 1945, l'Organisation des Nations Unies a établi des journées, des semaines et des années pour des déclarations et appels stratégiques mondiaux afin d' « attirer l'attention sur différents enjeux internationaux de première importance » pour l'humanité : la femme (8 mars), les Droits de l'Homme (10 décembre), la jeunesse (12 août), l'enfance (20 novembre), la tolérance (16 novembre), les personnes handicapées (3 décembre), les migrants (18 décembre), l'abolition de l'esclavage (2 décembre), la santé (7 avril), le Sida (1er décembre), l'environnement (5 juin), les réfugiés (20 juin), la liberté de la presse (3 mai), la diversité culturelle (21 mai)...Seul le théâtre, parmi les arts connus et reconnus à ce jour, a accédé à cette longue liste (27 mars) si, toutefois, on fait exception pour la télévision (21 novembre) qui n'est pas encore reconnue unanimement par les humains de l'ONU (!) comme un art. C'est dire si le théâtre est exceptionnellement un « art-enjeu » pour l'humanité toute entière ! Un art forgeur d'humanité, depuis la nuit des temps, au point que le standard d'excellence extrême convenu internationalement, c'est-à-dire le « Prix Nobel », s'y est vite intéressé pour l'intégrer (Prix de la littérature) pour en ennoblir des auteurs exceptionnels de différentes cultures : depuis l'Irlandais Samuel Beckett (Prix Nobel 1969) jusqu'au Péruvien Mario Vargas Llosa (2010), en passant par l'Italien Dario Fo (1997), l'Autrichienne Elfriede Jelinek (2004) ou l'Anglais (d'origine russe) Harold Pinter (Prix Nobel 2005). Que survive notre humanité ici et ailleurs ! Chez nous, au Maroc, on peut dire, somme toute, que la date du 27 mars est juste évoquée par certains médias et dans quelques regroupements, rarement érigée ou exploitée comme une journée exceptionnellement « théâtrale », exceptionnellement foisonnante de programmations de spectacles de théâtre, de portes ouvertes aux publics, de débats, de scènes ouvertes aux jeunes, aux enfants, aux concours de mime, d'improvisation...Pourtant, on doit tellement au théâtre, au moins pour les trois ou quatre générations depuis un demi siècle, depuis l'indépendance de ce pays ! Concomitamment à l'instauration de la « journée mondiale du théâtre », en 1961/62 donc, fleurirent chez nous des dizaines de scènes professionnelles, semi-professionnelles et surtout troupes d'amateurs, ce théâtre amateur des années 60/70 qui osa s'attaquer à l'absurde (Samuel Beckett, Eugene Ionesco), au tragique universel de l'homme (Shakespeare), à l'existentialisme (J.P Sartre), comme aux répertoires classiques de la comédie (Molière surtout)...Un théâtre-amateur - qui donna une réplique jeune et engagée politiquement, à un théâtre professionnel qui, en parallèle, reconfigurait les contours (scénographies) et les corpus (textes) du répertoire universel, par l'adaptation (troupe de la radio nationale, troupe de Maâmora)...Et ce théâtre professionnel (en fait, semi-professionnel, eu égard à ses modestes moyens et au volontariat bénévole qui en soutenait le souffle) s'est même, et surtout, aventuré, avec brio et fort spécifique créativité théâtrale bien marocaine, dans de vastes et oubliées terres de la mémoire littéraire, poétique et orale, de notre patrimoine (immatériel) marocain et même du patrimoine arabe et arabo-amazigh (apport unique et salutaire à notre culture par la compagnie de Tayeb Seddiki et ses différents « Jils » de poulains, ghiwane, jilala...). Avec une coexistence, apparemment d'antagonismes, mais en vérité bien complémentaire, au service d'une « marocanisation » de cet art universel, on a assisté, depuis lors, à l'identification d'écoles, de genres, de vedettes, de décors, de comédiens, de costumes, d'icônes qui ont donné corps à un « théâtre marocain », reconnaissable en Europe comme en Orient...Et ce, dès les débuts de l'affranchissement des Marocains comme peuple indépendant penché, souverainement, sur sa réalité et les arts qui ambitionnent de questionner celle-ci (comme le réussissent nos arts plastiques), qui veulent enrichir cette réalité, la critiquer, la dénoncer ou la chanter. La preuve, tout ce qu'hommes et femmes de ce théâtre (chichement récompensés, dans un environnement inouï d'ingratitude) ont pu offrir comme plateforme incubatrice de textes – originaux ou d'adaptations – de talents d'auteurs, de metteurs en scène, de comédiens, de costumiers, de scénographes, de décorateurs, à notre télévision, dès sa naissance (en noir et blanc) en 1961/62 justement, moment de la glorification de cette expression artistique par le système onusien ! Notre théâtre (filmé ou adapté à la télévision, en plus de notre historique et diversifié répertoire radiophonique) a pu sauver la mise, souvent, à notre télévision, à notre cinéma, à notre chanson, à nos différents arts de scène ou types de festivals...Bref, à notre culture contemporaine, malgré ses innombrables faiblesses, insuffisances et réalités de désolation et de déshérence qui assaillaient et assaillent encore ses hommes et ses femmes, ses jeunes et ses vieux, ses troupes et compagnies, ses salles ou supposées comme telles ! Cette aventure théâtrale nationale (tragique, serait excessif de le dire ?) s'est déroulée cependant dans un monde assez paisible, assez rassurant pour le « vivre ensemble » de l'humanité...Or, de nos jours, maintenant que le Maroc est « Maroc dans le Monde », la donne pour notre scène a changé...Hommes et femmes autour de nous (les proches comme les lointains géographiquement) sont de plus en plus et quasi-massivement tirés vers les abysses de la guerre, vers le déni de l'humanité chez l'humain...Un véritable « fossé humanitaire » où disparait l'humanité de notre espèce, sève et éternel répertoire de tous les théâtres du monde. S'il vous plait, ici et ailleurs, donnez-nous plus de théâtre pour que survive notre humanité !