Une promesse minière au goût de scandale politique ? C'est la question qui agite discrètement les travées du Parlement depuis la fin du mois d'avril, lorsqu'une annonce passée inaperçue du grand public a commencé à remonter jusqu'au sommet de l'Etat. À l'origine : une déclaration de la société canadienne Catalyst Mines Inc. sur des résultats « exceptionnels » dans la région montagneuse de Siroua, nichée entre Ouarzazate et Taliouine, à la lisière du Haut Atlas. L'entreprise affirme y avoir mis au jour des gisements majeurs de chrome, de nickel et de cobalt, trois métaux stratégiques pour la transition énergétique mondiale. La valeur potentielle évoquée ? 60 milliards de dollars. Depuis, les spéculations enflent, les élus locaux s'agitent, et les habitants s'interrogent. Sur le terrain, l'information s'est répandue comme une traînée de poudre, alimentée par les réseaux sociaux et par des médias spécialisés qui évoquent une « découverte minière de portée continentale ». En face, le gouvernement, lui, observe un silence de plomb. Un silence que le député Addi Chagri, du Parti du progrès et du socialisme (PPS), a décidé de briser. L'élu a déposé une question écrite au Parlement, exigeant des « éclaircissements urgents » de la part de la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali. Dans sa lettre, Chagri évoque « des informations persistantes relayées par des médias et par la population locale » concernant cette supposée découverte géologique. Il demande si le gouvernement confirme l'existence de ces gisements et s'interroge sur la stratégie envisagée par l'exécutif pour en tirer parti, tant pour la souveraineté minière nationale que pour le développement socio-économique d'une région longtemps marginalisée. « Nous ne pouvons pas laisser une telle annonce se transformer en mirage ou, pire, en spéculation au profit d'intérêts privés. Le gouvernement doit informer les Marocains de la réalité des faits et garantir la transparence sur ce dossier stratégique », a déclaré Chagri à la presse parlementaire. Lire aussi : L'Anti-Atlas révèle de nouvelles ressources minières en Cuivre et en Or Le 25 avril dernier, Catalyst Mines Inc., une entreprise canadienne encore peu connue du grand public marocain, annonçait depuis Toronto avoir identifié « des concentrations remarquables de chrome » sur son permis minier d'Amasine, à Siroua. Plus inquiétant pour les autorités marocaines, la société évoquait également « des indices significatifs de cobalt et de nickel », deux métaux aujourd'hui indispensables à l'industrie des batteries, des véhicules électriques et des énergies renouvelables. Dans un communiqué relayé par plusieurs médias canadiens, la direction de Catalyst Mines s'est même félicitée de « l'énorme potentiel » du site, affirmant que cette combinaison de métaux pourrait positionner le Maroc parmi les futurs géants africains des matières premières stratégiques, aux côtés de la RDC pour le cobalt ou de l'Afrique du Sud pour le chrome. Le gouvernement joue la montre Jusqu'ici, aucune confirmation officielle n'a été émise par les autorités marocaines. Contacté par nos soins, le ministère de la Transition énergétique s'est contenté d'affirmer qu'il suit « avec intérêt l'évolution des permis miniers dans cette région » et qu'une évaluation « scientifique et réglementaire » est en cours. Un flou que dénoncent certains observateurs. « Le gouvernement a tout intérêt à lever rapidement le voile sur cette affaire. Car une découverte d'une telle ampleur ne peut rester longtemps sans cadrage politique et économique clair », analyse un spécialiste du secteur minier marocain, sous couvert d'anonymat. Il rappelle que l'exploitation minière est régie par un cadre juridique strict au Maroc, et que toute entreprise étrangère doit se conformer aux exigences de l'Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) et aux autorités locales. Située dans une zone aride et peu développée, la région de Siroua peine depuis des décennies à sortir de son isolement. Connue pour sa culture du safran et son artisanat berbère, elle reste l'un des bastions les plus défavorisés du sud-est marocain. Les infrastructures y sont limitées, les débouchés économiques rares, et la jeunesse locale souvent contrainte à l'exode vers les grandes villes ou l'étranger. Pour les élus de la région, une exploitation minière responsable pourrait constituer une opportunité historique de relance. Mais les promesses passées laissent place à une certaine prudence. « Nous avons connu beaucoup d'annonces sans lendemain. Cette fois-ci, les autorités doivent impliquer les habitants, garantir une retombée économique locale et éviter que les ressources ne partent sans contrepartie pour la population », prévient un élu local de la province de Ouarzazate. Une manne stratégique pour le Maroc ? Au-delà de l'enjeu régional, cette découverte, si elle venait à être confirmée, pourrait renforcer la stratégie minière du Maroc, déjà bien implanté sur la scène mondiale grâce à ses réserves de phosphates. Le royaume, qui cherche à diversifier ses ressources stratégiques, notamment dans les métaux critiques pour les industries du futur, verrait dans Siroua un levier supplémentaire de souveraineté industrielle. Dans une note interne consultée par nos soins, un conseiller ministériel souligne que « le chrome, le cobalt et le nickel sont les piliers de la chaîne de valeur des batteries électriques, un secteur que le Maroc entend développer pour devenir un hub industriel africain et euro-méditerranéen ». Reste la question sensible de l'impact social et environnemental d'un tel projet. Les ONG locales et les associations de protection de l'environnement s'inquiètent déjà des risques d'exploitation incontrôlée, à l'image des polémiques qui ont secoué d'autres sites miniers au Maroc ces dernières années. Pollution des nappes phréatiques, destruction des paysages, absence de retombées pour les communautés locales : les critiques sont déjà prêtes. Face à ces enjeux, la ministre Leila Benali, déjà sous le feu des critiques sur la gestion du gazoduc Nigéria-Maroc et la stratégie énergétique du Royaume, voit un nouveau dossier sensible s'ajouter à son agenda. Le député Chagri n'a pas exclu de demander une audition parlementaire si les réponses du ministère tardent à venir. Au Parlement, certains y voient une épreuve de transparence pour l'exécutif, dans un contexte où la société civile et les élus régionaux réclament plus de participation et d'équité dans la gestion des ressources naturelles.