Par Hassan Alaoui Les images dramatiques ne s'estompent pas, même vieillies, flétries et usées par le temps. Comme celle notamment d'un mouton de l'Aïd à peine égorgé, suspendu dans la cour ou l'escalier et abandonné brusquement, dans l'espace et dans le temps. Celle ensuite de femmes, enveloppées hâtivement de haïk, sous la baïonnette d'une police digne du régime nazi, contraintes à la frontière de remettre bijoux, bagues et boucles d'oreille... Comme autrefois la sinistre étoile jaune discriminatoire infligée au peuple juif par le régime totalitaire nazi, les Marocains portaient ce jour de l'aïd de 1975 l'indigne blason d'Expulsé d'Algérie imposé par Boumediene et son pouvoir. Nous sommes en décembre 1975, et le monde arabo-musulman célèbre la fête sacrée de Aïd al-Adha. Le Royaume du Maroc, sorti depuis quatre semaines à peine de l'épreuve – glorieuse néanmoins – de la Marche verte, se prépare à cette cérémonie collective de partage et de convivialité. Il ne se doutait pas que le régime voyou de Boumediene allait commettre ce que l'on qualifie volontiers d'un crime d'humanité. L'expulsion brutale et manu militari vers le Maroc de plus de 350.000 familles marocaines vivant en Algérie, dont plus des deux tiers s'y étaient installées des décennies avant. Elles y avaient construit leur vie, fait des enfants, travaillé pour l'Algérie, participé au combat de libération anti-coloniale, pris part au développement du pays et s'y étaient tout simplement identifiées ! Les récits dramatiques qui avaient accompagné ce crime collectif du régime militaire d'Alger ne manquant pas et jusqu'à aujourd'hui, ils continuent de nous révolter : enfants baluchons sur le dos, femmes arrachées, dégagées par l'armée de leurs foyers, hommes de toutes conditions dépouillés de leurs commerces et jetés en pâture à la violence de la police et des services de sécurité, sous les ordres d'un certain Mohamed Ben Ahmed Abdelghani, ministre de l'Intérieur de son état et sbire affidé de Boumediene dont l'inassouvissable sévérité, malgré sa petite taille, n'avait d'égale que la haine que son président nourrissait à l'égard du Maroc et de la Monarchie, qu'il inculquait à son peuple. Lire aussi : L'Algérie contre l'ONU en attendant la guerre avec le Maroc Un épisode de folie, une séquence qui déshonore cette Algérie sortie des limbes mais plongée dans la paranoïa collective. A la frontière avec le Maroc, vers Jouj Bghal et Akkid Lotfi, les bijoux des femmes – or, chaines, bagues, ceintures de mariages et autres ornements précieux – leur était simplement arrachés avec une brutalité inouïe, rajoutant à leur détresse, nourrissant ce sentiment de vols et de viols que l'on ne voyait que dans les scènes de razzia, au Moyen Age. Car il fallait, en plus de la dépossession, infliger l'humiliation, celle-là même qu'un certain Jacques Berque décrivait dans son livre célèbre « Dépossession du monde »... On disait le chiffre effarant de plus de 350.000 citoyens innocents, blessés dans leur âme, fierté volée, leur identité violée et leur sécurité relative enterrée sous la menace qu'un régime militaire jeta sur eux avec opprobre et culpabilisation. Les observateurs et sans doute plus tard les historiens se demanderaient pourquoi cette exaction collective envers des citoyens qui avaient fait de l'Algérie, pour les uns leur pays d'accueil, une terre hôte et pour d'autres leur terre ni plus ni moins, là où ils mourraient. L'Histoire est pleine de ces campagnes de déportation massive...où un potentat, dénommé Mohammed Boukharrouba, alias Boumediene trônant sur son pouvoir confisqué, cigare cubain au bec, ordonnait à ses services de jeter dehors un peuple...Le pire est que beaucoup d'entre eux ne connaissaient même pas le Maroc ou n'y avaient jamais mis les pieds et, par conséquent, jetés hors d'Algérie, ils étaient confrontés à un défi existentiel... La scène qui aura duré quelques quarante-huit heures tout au plus mais qui s'est inscrite à jamais dans le désastreux mémorial de la dictature algérienne, nous avait donné, bien entendu, la mesure exacte d'une tragédie : celle d'un régime militaire, impulsif, battu en brèches par ses propres et profondes contradictions, miné par une soif de vengeance, acculé à une ridicule et indigne revanche, quelques semaines seulement après le succès spectaculaire de la Marche verte et de la récupération par le Maroc de son Sahara. Il convient de rappeler que, tout de suite après que le Roi Hassan II, relayant la décision le même jour de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, eut annoncé le soir du 15 octobre 1975 l'organisation et le lancement pour le 6 novembre de la Marche verte, Houari Boumediene, ravalant son orgueil, lança des troupes de l'ALN autour de Lâayoune avec le fol objectif d'attaquer le Maroc en cas d'affrontements entre les FAR et le Tierço espagnol... Il ne croyait pas si bien dire. Il se vengerait plutôt des Marocains installés en Algérie, maillon faible et désarmé. Ainsi lâchés dans le vide sidéral, leurs biens confisqués, volés, agressés dans leur chair, les 350.000 Marocains d'Algérie nous renvoient, a contrario, à une autre image paradoxale celle-là : les séquestrés des camps de Tindouf Lahmada que, toute honte bue, le gouvernement d'Alger s'acharne à qualifier et présenter comme des « réfugiés » alors qu'ils sont ni plus ni moins des séquestrés. Le traitement qui leur est infligé s'apparente à un calvaire, digne d'une Kolyma stalinienne. Ni la simple humanité, ni le sens de l'éthique n'étaient venus pour calmer ou tempérer la pernicieuse haine d'un Boumediene, escogriffe engoncé dans son orgueilleux mépris du Maroc et de son peuple. L'épisode de Aïd al-Adha de l'année 1975 ne sera jamais oublié, et moins encore effacé des esprits de celles et ceux qui l'avaient vécu en chair et en os ! Une pièce à conviction à la décharge d'un régime au bord du gouffre...estampillé de soutien actif au terrorisme régional, isolé et immoral.