Avec un taux de variation des prix de détail de 0,9% à fin septembre, le Maroc s'installe dans un cycle de désinflation amorcée depuis 2023. Sur le papier, une inflation basse signifie un plus de pouvoir d'achat pour les ménages. Mais en réalité, l'impact est très variable selon la structure des dépenses dans le budget des ménages. Une inflation de 0,9% qui, rappelons-le, est un indicateur qui agrège des situations très disparates, peut être ressentie à 8 ou 10% pour certains ménages. C'est surtout le non-alimentaire, notamment l'inflation des actifs immobiliers et des loyers qui entretient cette perception de la vie chère. C'est ce qui compte pour le commun des mortels. Excepté la surchauffe de 2022 lorsque l'indice des prix à la consommation (IPC) s'était établi à 6,6%, le niveau d'inflation le plus élevé depuis 1992, l'inflation a connu une stabilité au point que cette modération soit prise pour un acquis. Mais pas pour Bank Al-Maghrib pour qui la surveillance de l'inflation reste la boussole de la politique monétaire. Le Maroc est d'ailleurs cité en exemple en matière de maîtrise de l'inflation par les institutions internationales. La deuxième moitié de la décennie 1990 a marqué le début de cette désinflation avec un indice des prix à la consommation moyen de 1,6% sur la période 1996-2005. La remontée observée entre 2006 et 2008, due à la flambée des cours des matières premières, n'aura été que passagère avant un retour à un taux moyen «normal» de 1,1% à partir de 2009. Selon les projections de Bank Al-Maghrib, l'inflation devrait ressortir à 1% cette année, avant de remonter à 1,9% en 2026. Sa composante sous-jacente passerait de 2,2% en 2024 à 1,1% en 2025 et s'accélérerait à 2% en 2026. Le ralentissement de la hausse des prix de détail résulte d'une détente plus rapide que prévu, de celle des prix de produits alimentaires à prix volatils ainsi que la basse des prix de carburants et lubrifiants profitant des cours de pétrole plutôt bas. Résultat, par rapport à ses principaux partenaires commerciaux, le différentiel d'inflation est favorable au Maroc, ce qui pousse le dirham à la hausse. L'indice des prix à la consommation (IPC) n'est pas un indice du coût de la vie, tempèrent les économistes du Haut-commissariat au Plan (HCP.) Une inflation basse ne signifie pas forcément que les ménages ont gagné en pouvoir d'achat, car les deux baromètres ne renseignent pas sur la même chose. «L'IPC mesure les effets des variations sur le prix d'achat des produits consommés par les ménages tandis que l'indice du coût de la vie mesure les variations des coûts d'achat pour maintenir le niveau de vie des ménages à un niveau spécifié», expliquent-ils. Théoriquement, le ralentissement de l'inflation devrait se traduire par un chouia en plus sur le pouvoir d'achat des ménages même si le ressenti dépend de la structure du budget. Un ménage qui consacre 40% de son revenu à l'alimentaire, par exemple, n'aura pas le même ressenti de l'inflation que celui qui n'y consacre que moins de 10%. La pression des charges fixes étrangle les bas revenus L'inflation, telle que mesurée par le Haut-Commissariat au Plan, agglomère des situations totalement différentes. Ce qui compte pour un ménage Lambda, c'est moins l'indicateur statistique que l'érosion de son pouvoir d'achat constatée au quotidien. Car, malgré le recul de l'inflation, la pression des charges fixes reste élevée. Ces dépenses, dites «contraintes», comprennent, entre autres, le logement, l'eau et l'électricité, le téléphone, la connexion internet, l'aide familiale, les remboursements d'emprunts, et pour une partie des classes moyennes, les frais de scolarité (au sens large) des enfants. D'une manière globale, l'inflation perçue par les consommateurs, mesurée à travers des enquêtes auprès des ménages, est en général supérieure au niveau calculé sur la base de l'indice des prix à la consommation (IPC), concède Bank Al-Maghrib. Plusieurs facteurs sont à l'origine de la différence entre l'évolution ressentie du coût de la vie et l'inflation : la structure de consommation qui varie significativement d'un ménage à l'autre et peut s'éloigner de la structure moyenne sur laquelle est calculé l'IPC. Elle dépend du niveau de revenu et du patrimoine. En effet, les ménages à revenu modeste concentrent leur consommation sur les biens et services primaires (essentiellement logement, alimentaire, santé, transport). Pour les plus aisés, la consommation intègre des biens et services plus diversifiés et secondaires tels que les loisirs, la restauration, l'habillement. Deuxième facteur, la fréquence de consommation des biens et services : l'inflation perçue est influencée dans une large mesure par les prix des biens et services consommés régulièrement (carburants, produits alimentaires de base, etc). Une hausse plus rapide des prix de ces produits conduirait à une surestimation du taux d'inflation effectif. À l'inverse, les variations des prix des biens et services les moins consommés (comme les voitures et les meubles) impacteraient moins la perception du taux d'inflation. Selon l'enquête du HCP (publiée en 2025) sur la consommation et les dépenses de ménages, la part des dépenses alimentaires a augmenté de 37% en 2014 à 38,2% ; les dépenses d'habitation et d'énergie sont passées de 23% à 25,4% ; les dépenses d'hygiène de 2,7% à 3,9% et les dépenses de communication de 2,2% à 2,6%. En revanche, les dépenses de soins de santé ont diminué de 6,1% à 5,9% ; celles de transport ont baissé de 7,1% à 5,8% tandis que les dépenses d'équipements ménagers sont passées de 3,2% à 2,3% et les dépenses de loisirs et culture de 1,9% à 0,5%. Dans la formation de leur perception, les ménages déroulent une approche dite de «bon sens». Ils surpondèrent les prix en hausse par rapport à ceux qui restent stables ou diminuent, dans la mesure où ce sont les premiers qui peuvent constituer une menace pour l'équilibre de leurs budgets. Le taux d'inflation ne reflète que très peu le ressenti des ménages. Les bas revenus (plus de 60% des salariés qui émargent à un peu plus de 3.300 dirhams par mois, selon la CNSS), sont frappés de plein fouet par la hausse du non-alimentaire, notamment les actifs immobiliers et le loyer. Ne pas confondre l'IPC et l'indice du coût de la vie ! L'indice des prix à la consommation n'est pas un indice du coût de la vie, insistent les économistes du HCP. Il mesure les effets des variations sur le prix d'achat des produits consommés par les ménages alors que l'indice du coût de la vie mesure les variations des coûts d'achat pour maintenir le niveau de vie des ménages à un niveau spécifié. En partant d'une enquête permanente sur les prix à la consommation, le HCP publie chaque mois un indice des prix à la consommation (IPC). Cet indice est calculé sur la base d'un panier de produits de biens et services composé de 546 articles et 1.391 variétés censé représenter la consommation de la population cible. Le panier de référence actuel de l'indice des prix à la consommation est élaboré sur la base de l'Enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages réalisée entre juillet 2013 et juin 2014 auprès d'un échantillon de 16.000 ménages. Il est calculé comme la moyenne des structures de la consommation des ménages au niveau de 18 villes couvrant les 12 régions. Or, les habitudes de consommation ne sont pas identiques selon la catégorie sociale ou selon que l'on réside en ville ou en milieu rural. Ainsi, par exemple, la part de l'alimentaire, qui se situe à 37% au niveau national, varie de 33,3% en milieu urbain à 47,3% pour les ménages ruraux. Elle passe également de 29,1% pour les 20% des ménages les plus aisés à 49,6% pour les 20% les plus défavorisés. Abashi Shamamba / Les Inspirations ECO