Après des années de promesses non tenues, le gouvernement relance les concertations sur un dossier très attendu. Mais entre l'impatience des syndicats, la prudence du patronat et les mises en garde répétées des institutions, le spectre de l'immobilisme demeure. Le gouvernement remet sur la table l'un des dossiers sociaux les plus sensibles et les plus retardés de la décennie : la réforme des retraites. En convoquant pour le 17 juillet les principales centrales syndicales à une nouvelle session de la Commission nationale dédiée à ce chantier, l'Exécutif cherche à montrer qu'il ne s'agit plus seulement d'une promesse inscrite dans les déclarations d'intention. Mais dans les faits, la relance du dialogue social sur ce sujet ne masque ni l'ampleur des retards accumulés, ni les tensions latentes entre les différents acteurs. Depuis plusieurs années, le système de retraite, fragmenté, inéquitable et fragilisé par un déséquilibre démographique croissant, fait l'objet de multiples alertes. Pourtant, malgré des diagnostics répétés et des recommandations émanant tant des syndicats que du Conseil économique, social et environnemental (CESE), aucune réforme structurelle n'a encore vu le jour. Le gouvernement Akhannouch promet désormais de sortir de l'impasse. Encore faudra-t-il convaincre des partenaires sociaux qui dénoncent une concertation souvent purement formelle. La réunion du 17 juillet s'inscrit dans la continuité des séances du dialogue social amorcées en 2024. Lors de son intervention à la Chambre des représentants, la ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui, a confirmé que les consultations se poursuivraient sur la base d'un « projet de réforme préparé avec l'appui d'un collège d'experts nationaux ». Mais si l'intention est réaffirmée avec solennité, la méthode et le calendrier restent évasifs. « Ce dossier, repoussé à plusieurs reprises, est désormais une priorité incontournable », a-t-elle concédé, sans toutefois s'engager sur des délais fermes. Du côté des syndicats, la lassitude est palpable. L'Union marocaine du travail (UMT), la Confédération démocratique du travail (CDT) ou encore l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) réclament depuis des mois une implication pleine et entière dans la conception de la réforme. « Nous attendons autre chose que des réunions symboliques. Ce que nous demandons, c'est une réforme juste, qui respecte les droits acquis et ne pénalise pas les futures générations de retraités », déclare un syndicaliste en marge du 1er mai passé. L'urgence de la réforme ne fait plus débat. Selon les dernières données, plusieurs régimes, notamment le régime civil géré par la CMR, affichent des déficits techniques croissants, mettant en péril la pérennité des pensions à moyen terme. Le CESE, dans son avis publié en 2022, avait d'ailleurs appelé à « l'élaboration en urgence d'un échéancier engageant » et à la « mise à jour des études actuarielles ». Il recommandait aussi la structuration du futur système autour de deux pôles – public (CMR, RCAR) et privé (CNSS, CMIR) – en assurant leur convergence progressive. Mais cette architecture consensuelle se heurte à l'inaction politique et à l'incapacité chronique à construire une coalition réformatrice solide. Car derrière les déclarations publiques, les divergences persistent. Les syndicats dénoncent les tentatives de réforme paramétrique, visant notamment à relever l'âge de départ ou à modifier les taux de cotisation, sans contreparties sociales réelles. Le patronat, lui, avance sur une ligne de crête. Une prudence patronale face à des marges de manœuvre réduites Hicham Zouanat, président de la commission sociale de la CGEM reconnaît les efforts de dialogue entrepris par l'Etat, notamment sur les salaires et la législation sur le droit de grève, il met en garde contre toute réforme précipitée ou déséquilibrée. « Le patronat ne peut supporter une pression contributive supplémentaire sans mettre en péril sa compétitivité », souligne-t-il. En filigrane, l'inquiétude est claire : les entreprises, déjà confrontées à des charges fiscales et sociales élevées, redoutent d'être les premières à payer le prix d'une réforme mal calibrée. Cette prudence reflète une réalité économique plus large. Dans un contexte de ralentissement mondial, de tensions géopolitiques et d'inflation persistante, le tissu productif marocain cherche à préserver ses équilibres. Toute réforme du système de retraite devra donc arbitrer entre soutenabilité financière, acceptabilité sociale et viabilité économique – un équilibre particulièrement instable à un an des prochaines échéances électorales. Les syndicats, eux, redoutent un énième simulacre de concertation. « Depuis 2013, le dossier est rouvert puis refermé sans qu'aucune réforme structurelle ne soit concrétisée. Les gouvernements se succèdent, les promesses aussi, mais les problèmes restent », s'agace un responsable de la CDT. L'ombre d'un autre 1er mai sans annonces substantielles hante encore les esprits syndicaux, d'autant plus que les revendications en matière de pouvoir d'achat et de conditions de travail restent largement insatisfaites. Le gouvernement Akhannouch, souvent accusé de privilégier les mesures sectorielles au détriment d'une réforme systémique de l'Etat social, joue désormais une partie délicate. Il lui faudra éviter deux écueils : céder à la tentation du replâtrage à court terme, ou s'enliser dans des concertations interminables sans débouchés concrets. La réforme des retraites, par nature technique et politiquement risquée, est aussi un test de gouvernance. Une réforme possible... à condition d'un courage politique clair Le CESE a été explicite : il ne suffit pas d'envisager une réforme, il faut l'inscrire dans une dynamique engageante, avec des délais, des textes de loi, une gestion transparente des fonds de réserve, et surtout une approche unifiée. À défaut, le statu quo ne fera que creuser davantage les déséquilibres et miner la confiance des citoyens envers les institutions. La réunion du 17 juillet ne sera qu'un point de passage. Mais elle pourra, si les conditions sont réunies, initier un vrai tournant. Encore faut-il que le gouvernement choisisse de rompre avec une décennie d'atermoiements. Car au fond, ce n'est pas le manque d'expertise qui freine la réforme, mais l'absence de volonté politique affirmée. Et si l'immobilisme persiste, ce sont les futurs retraités – et les équilibres sociaux du pays – qui en paieront le prix.