C'est dans une ambiance sérieuse, parfois tendue, que la Chambre des représentants a approuvé, ce mardi 22 juillet, le projet de loi n° 26.25 portant réorganisation du Conseil national de la presse (CNP). Attendu de longue date, ce texte vient redéfinir en profondeur les contours de l'institution chargée d'encadrer la profession journalistique au Maroc. Une réforme que ses promoteurs qualifient de salutaire, mais qui continue de diviser, tant sur le fond que sur la méthode. Voté à la majorité par 87 députés, contre 25 opposants et aucune abstention, le projet de loi reflète un clivage net entre une majorité déterminée à moderniser les instruments de régulation et une opposition inquiète d'un affaiblissement des garde-fous démocratiques. Le débat, plus politique que strictement technique, a mis en lumière la profondeur des désaccords quant à l'avenir du journalisme dans le pays. Une réforme ambitieuse, aux contours redessinés Le texte adopté apporte plusieurs transformations majeures. D'abord, il revoit la composition même du Conseil, en particulier en modifiant le mode de désignation des représentants des éditeurs, désormais choisis par consensus entre organisations professionnelles plutôt que par élection. Une évolution présentée comme pragmatique, visant à éviter les blocages, mais que certains parlementaires ont dénoncée comme une régression démocratique. Autre volet important : la clarification des procédures disciplinaires et de médiation. Désormais, les processus d'arbitrage seront encadrés dans un délai maximum de trois mois. Cette mesure vise à fluidifier la résolution des conflits entre organes de presse et journalistes, et à restaurer la confiance dans l'efficacité du Conseil. LIRE AUSSI : Mehdi Bensaid annonce l'élaboration d'un nouveau texte de loi relatif au CNP Enfin, l'un des articles les plus controversés du texte initial, qui permettait de suspendre un journal jusqu'à trente jours sans décision judiciaire, a été supprimé. Une victoire pour les défenseurs des libertés, arrachée au prix de longues négociations parlementaires et d'un effort d'écoute du gouvernement. Un travail de fond porté par Mohamed Mehdi Bensaïd Au cœur de cette réforme une figure politique de plus en plus incontournable : Mohamed Mehdi Bensaïd, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication. Dès le départ, le ministre a pris la mesure des fragilités du cadre existant. Créé en 2018, le Conseil national de la presse s'était révélé incapable de surmonter ses propres impasses : blocages internes, absence de renouvellement, textes ambigus, conflits de légitimité. Plutôt que de tenter un simple ajustement, Bensaïd a opté pour une refonte plus profonde. Sa stratégie s'est construite en trois temps : moderniser les institutions, renforcer l'éthique professionnelle et sécuriser juridiquement le fonctionnement du Conseil. Mais au-delà du plan législatif, c'est la méthode du ministre qui a surpris. Loin d'un passage en force, il a multiplié les discussions, accepté plusieurs amendements, retiré des articles problématiques, et intégré de nombreuses remarques, y compris issues de l'opposition. Certains observateurs parlent d'un équilibre rare entre autorité réformatrice et écoute politique. Dans ses prises de parole, Bensaïd n'a cessé de rappeler sa conviction qu'un Conseil fort et indépendant constitue un pilier fondamental pour une presse libre et crédible. « Il n'y a pas de démocratie sans journalistes protégés, mais il n'y a pas de journalisme sans responsabilité », a-t-il déclaré devant les députés. Des réactions contrastées Si la majorité a salué une avancée institutionnelle décisive, les réactions du côté des professionnels de la presse restent partagées. Le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) a exprimé une satisfaction modérée, reconnaissant des améliorations, tout en pointant le manque de concertation initial. D'autres acteurs, notamment des journalistes indépendants ou des observateurs internationaux, redoutent une réorganisation à visée plus politique que professionnelle. Certains vont jusqu'à craindre que cette réforme, en consolidant les leviers institutionnels du Conseil, ne rende ce dernier plus perméable à des pressions extérieures. Pour d'autres, au contraire, le nouveau dispositif est précisément ce qu'il fallait pour redonner à la régulation de la presse une efficacité et une légitimité qui lui faisaient défaut. Et maintenant ? Le texte est désormais entre les mains de la Chambre des conseillers, qui doit l'examiner à la rentrée parlementaire de septembre. S'il est adopté en seconde lecture, le nouveau Conseil pourra être mis en place avant la fin de l'année 2025. Un calendrier ambitieux, mais politiquement tenable, selon les proches du dossier. La suite dépendra autant de la volonté politique que de l'adhésion réelle des journalistes eux-mêmes. Car plus que des lois, ce sont les usages et les pratiques qui feront ou non du futur Conseil un acteur respecté et efficace dans l'écosystème médiatique marocain. Cette réforme, à la croisée des chemins entre régulation, indépendance et responsabilité, pourrait bien inaugurer une nouvelle ère pour la presse marocaine. À condition que les principes qui l'animent ne soient pas dévoyés, et que le dialogue entre l'Etat et les médias reste ouvert, critique et exigeant.