L'intelligence artificielle ne redéfinit pas uniquement les contours du secteur assurantiel dans les pays industrialisés. En Afrique, et plus particulièrement au Maroc, elle amorce une mutation profonde des modèles économiques, redessinant les rapports entre assureurs, clients et données. Loin d'un simple effet de mode, cette dynamique répond à des enjeux structurels et offre des résultats tangibles, à la croisée de l'innovation technologique et de l'inclusion financière. Malgré un contexte mondial marqué par l'accélération de la transition numérique, les assureurs qui investissent massivement dans l'intelligence artificielle enregistrent des performances nettement supérieures à leurs concurrents. D'après les données de McKinsey, les leaders technologiques du secteur génèrent un rendement total pour les actionnaires (TSR) 6,1 fois plus élevé que celui des acteurs les moins avancés. L'impact de ces outils se mesure également par une hausse de 10 à 15 % des primes souscrites, une amélioration de 10 à 20 % du taux de conversion des agents commerciaux et une baisse de 20 à 40 % des coûts liés à l'acquisition de nouveaux clients. Ces performances, observées en priorité sur les marchés développés, trouvent aujourd'hui des échos croissants en Afrique, où le secteur des assurances reste encore sous-exploité. Dans les économies africaines, l'IA devient autant une nécessité qu'un levier stratégique. Sur un continent où moins de 10 % de la population bénéficie d'une couverture assurantielle, l'intelligence artificielle constitue une réponse pertinente aux déficits d'accessibilité, de fiabilité et de capillarité du secteur. Grâce à des technologies comme l'optical character recognition, le traitement automatique du langage naturel et les algorithmes de scoring en temps réel, il devient possible d'automatiser la souscription, d'évaluer les sinistres à distance ou de proposer des services via mobile en langues locales. Des insurtechs kényanes comme Turaco ou Lami Insurance exploitent déjà ce potentiel pour offrir des produits accessibles dès un dollar par mois, tandis que des groupes sud-africains comme Discovery Health optimisent la gestion des dossiers en combinant IA générative et analyse prédictive. Lire aussi : Le Maroc parmi les acteurs influents de la dynamique internationale en matière de gouvernance de l'IA Le Maroc, pour sa part, s'inscrit résolument dans cette trajectoire. Fort d'un tissu assurantiel structuré et d'une stratégie nationale pour l'intelligence artificielle (IA Maroc 2030), le Royaume se positionne comme un pôle régional de référence. En 2023, selon l'Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale (ACAPS), le chiffre d'affaires du secteur s'est établi à 57,4 milliards de dirhams, en progression de 6,8 %. Dans ce paysage, plusieurs compagnies marocaines initient des projets intégrant l'intelligence artificielle, non comme un gadget, mais comme un levier de transformation des processus métiers. Saham Assurance expérimente des systèmes d'IA dédiés à la détection automatisée de la fraude, à partir d'images et de données historiques. Wafa Assurance explore la tarification dynamique basée sur les comportements des assurés et les données climatiques, tandis que la MAMDA-MCMA déploie des assistants intelligents dans ses produits à destination du monde rural. Ces innovations ne se limitent pas à des démonstrations techniques : elles se traduisent par une réduction significative des délais de traitement, une amélioration de la satisfaction client et une baisse mesurable des coûts opérationnels. L'impact est d'autant plus tangible que les cas d'usage se multiplient dans l'espace francophone. Au Royaume-Uni, Aviva a ainsi économisé plus de 760 millions de dirhams en 2024 grâce à la mise en œuvre de 80 modèles d'IA dans la gestion des sinistres, réduisant de 23 jours le délai d'indemnisation des dossiers complexes. De tels résultats sont progressivement répliqués au Maroc, notamment dans l'assurance automobile et santé, où les outils d'IA permettent déjà un préremplissage automatique des formulaires, une classification des risques, ou encore une priorisation intelligente des dossiers. Ces transformations ne sont toutefois pas exemptes de défis. Si l'adoption de l'IA permet d'élargir l'accès à l'assurance, elle soulève également des enjeux liés à la souveraineté technologique, à la protection des données personnelles et à la gestion du changement en entreprise. Le Royaume devra ainsi relever un double défi. D'une part, renforcer ses infrastructures technologiques, alors que seules trois compagnies disposent aujourd'hui d'un cloud sécurisé et souverain. D'autre part, former une nouvelle génération de talents capables de maîtriser les enjeux de modélisation, d'éthique algorithmique et de gouvernance des systèmes intelligents. L'initiative IA Maroc 2030 prévoit la formation de 20 000 profils spécialisés d'ici la fin de la décennie, une ambition cruciale pour accompagner les transformations sectorielles, y compris dans l'assurance. Par ailleurs, les assureurs devront surmonter l'inertie organisationnelle et les résistances internes. La moitié des efforts nécessaires pour réussir une transformation IA, selon McKinsey, relève de la conduite du changement et de l'appropriation humaine des outils, bien plus que de leur développement technique. Au final, le Maroc dispose de solides atouts pour figurer parmi les pionniers africains de l'assurance augmentée par l'intelligence artificielle. À condition de structurer cette mutation autour d'une vision stratégique, d'investissements soutenus et d'une gouvernance robuste, les opérateurs marocains pourront faire de l'IA non seulement un facteur de performance économique, mais aussi un levier d'inclusion sociale et de résilience systémique.