Le 30 juillet n'est pas une date de plus dans le calendrier protocolaire. C'est un rendez-vous avec l'Histoire. Un moment de lucidité nationale et de vérité, un miroir tendu à notre conscience collective. La Fête du Trône, au Maroc, n'est ni folklore ni routine, c'est un acte politique, au sens le plus noble du terme. Celui qui oblige à regarder le pays en face, à saluer le chemin parcouru mais aussi à s'interroger sur les promesses suspendues, les ambitions freinées, les dynamiques inachevées. Rappelons que dans un monde arabe traversé par les secousses de l'Histoire, où les Etats vacillent entre autoritarismes éreintés et démocraties fragiles, le Maroc fait figure d'ancrage. Il tient. Il tient bon. Il tient debout. Il tient droit. Et il tient grâce à sa Monarchie. Depuis vingt-six ans, le Royaume est confronté aux crises régionales ( printemps arabes, conflits voisins, choc sanitaire ) sans vaciller. Car au cœur de cette stabilité rare, il y a une institution séculaire qui a su épouser les exigences de la modernité sans renier ses racines : la Monarchie marocaine. Une Monarchie réformatrice, stratège, structurante, proactive et capable d'anticiper les grands tournants. Elle n'est pas seulement une institution symbolique, elle est la colonne vertébrale de l'Etat, le garant de la continuité, de l'unité et de la stabilité. Force est de souligner que depuis son intronisation en 1999, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a inscrit son règne dans une logique de projection stratégique. Il ne gouverne pas au jour le jour, il pense le Maroc à l'échelle des générations. Il parle d'inclusion, de justice sociale, d'investissement productif, d'équité territoriale, de jeunesse, de souveraineté industrielle et alimentaire. Son action est structurée, mesurée, pensée. Son autorité est modernisatrice, son leadership visionnaire. Aussi les grandes transformations de ces vingt-six dernières années portent-elles une signature unique : celle de Sa Majesté le Roi. Tanger Med, Dakhla atlantique, le TGV, l'INDH, le Nouveau Modèle de Développement, la régionalisation avancée, l'offensive diplomatique sur le Sahara, la transition énergétique, l'industrialisation souveraine, l'intégration africaine, l'Etat social, le Code de la famille... Tous ces jalons, qui font du Maroc une exception dans un environnement instable, trouvent leur impulsion dans la Volonté Royale. Les projets d'envergure ont toujours été pensés, initiés et encadrés depuis le sommet de l'Etat. Le Roi engage, impulse, précise, insiste. Il définit des priorités, fixe des objectifs, appelle à des résultats. Le cap est là. La Vision est tracée. Le tempo est donné. La défaillance de l'exécution Mais entre cette ambition monarchique et la chaîne exécutive censée la mettre en œuvre, le gap est avéré. Gouvernements à la temporalité courte, ministres soumis aux logiques de coalition, partis sans colonne vertébrale idéologique… la machine politique peine à suivre le rythme. Sa Majesté le Roi parle transformation, l'administration répond gestion. Il trace des lignes claires, on les dilue. Il fixe des échéances, on les reporte. Il exige des résultats, on produit des rapports. À une Monarchie visionnaire, constante et ferme dans ses choix, répond une gouvernance politicienne, cyclique, souvent inefficace. Là où la Monarchie trace des lignes durables, les ministères tergiversent, se dispersent, ou reconfigurent sans fin les mêmes projets. Voilà le cœur du paradoxe marocain. Le Trône court un marathon stratégique, pendant que les responsables, à quelques exceptions, font du surplace. Et cela dure. Cela s'enlise. Cela s'aggrave. Dans ce sens, une question politique majeure s'impose : Pourquoi faut-il, chaque année, que le Souverain revienne à la charge pour rappeler ce qui a déjà été dit ? Pourquoi les grands chantiers doivent-ils systématiquement être relancés, réajustés, réactivés ? Pourquoi faut-il que le Palais joue à la fois le rôle du stratège... et du contremaître de l'action publique ? Logiquement, une telle continuité devrait irriguer toute l'action publique. Or c'est l'inverse qui se produit : chaque gouvernement, prisonnier d'un calendrier quinquennal (souvent écourté par les remaniements), repart presque de zéro. Projets gelés, stratégies rebattues, évaluations absentes… La chaîne de mise en œuvre craque au premier changement de majorité. Le long terme de la Monarchie se heurte au court terme électoral et aux priorités des responsables. LIRE AUSSI : Zuma à Rabat : Le Maroc fait sauter le verrou sud-africain ? Le fait est là. La Monarchie donne la Vision, les gouvernants, eux, travaillent à la petite semaine. Le Roi pense à 2060, les ministres à 2026. Le Roi voit large, les administrations regardent leur calendrier électoral. Le Roi parle réforme, ils entendent carrière. D'un côté, une Monarchie visionnaire, constante, cohérente. De l'autre, des gouvernements à la temporalité courte, désunis, hésitants, parfois dépassés par les enjeux. Pourtant, le Roi ne se contente pas de régner, il trace, il engage, il impulse, il construit, il exige. Et surtout, il précise, noir sur blanc, ce qu'il attend et ce qu'il veut pour ce pays. Chaque discours Royal est une feuille de route, pas une envolée lyrique. Mais voilà, ces feuilles de route restent parfois dans les tiroirs. Elles sont lues, applaudies, tweetées... puis remises à plus tard. Chaque fois que le Roi lance un grand chantier – développement humain, éducation, régionalisation, industrie, diplomatie économique -, il faut qu'Il revienne à la charge pour rappeler, recentrer, réveiller, parfois fermement lorsque l'exécution patine ou que l'élan s'essouffle. En conséquence, ce décalage alimente un scepticisme croissant. Il fait naître un sentiment de schizophrénie institutionnelle : une Monarchie claire dans ses choix, face à un appareil exécutif brouillon, souvent inefficace, parfois déconnecté. D'ailleurs, les stratégies sont trop souvent renvoyées à la case départ, à chaque remaniement, et surtout, la vision manque de continuité. Des programmes sont relancés, vidés de leur sens ou abandonnés, parfois même sans évaluation sérieuse. Le manque de continuité est criant. Le schéma de « mandat« , hérité de la logique partisane, limite profondément l'élan réformateur. Entre le temps long du Trône et le temps court de l'exécutif, la fracture est là. Elle est flagrante. La responsabilité est de mise Pourtant ce n'est pas une fatalité. C'est une responsabilité politique, morale, institutionnelle. Mais surtout une urgence nationale. Car le Maroc ne manque ni de vision, ni de moyens, ni de légitimité. Ce qui lui manque, c'est un alignement intégral entre l'impulsion stratégique du Trône... et la capacité opérationnelle de l'exécutif à suivre, à traduire, à livrer. Car si les responsables (heureusement qu'il y a ceux qui font la différence) – ministres, hauts fonctionnaires, élus, directeurs d'agences, walis, gouverneurs – faisaient simplement l'effort d'appliquer fidèlement les Instructions données dans les discours Royaux, et de respecter les calendriers annoncés, le Maroc serait aujourd'hui dans une tout autre dimension de développement. Il ne s'agit pas d'un souhait idéaliste. Il s'agit d'un constat pragmatique. Sauf que le drame est que trop souvent, plusieurs responsables préfèrent commenter les discours Royaux plutôt que les exécuter. Ils publient des communiqués, organisent des conférences, commandent des études, éditent des rapports… Mais sur le terrain, les délais ne sont pas respectés. Les orientations sont édulcorées, déformées, retardées. Les intérêts partisans, personnels ou corporatistes prennent le dessus. On se congratule sur les réseaux sociaux. Mais dans les faits ? Retards, inertie, duplications, lenteur abyssale. Pire, chaque remaniement devient un bouton « reset« . On efface, on recommence, on perd du temps, on perd de l'argent, on perd du sens. Et pendant ce temps, le Maroc avance… mais à deux vitesses. Ce déséquilibre structurel, entre la stabilité souveraine et la fragilité politique et gouvernementale, est aujourd'hui l'un des grands défis du Maroc contemporain. Il ne s'agit pas d'un simple problème de méthode ou de personnes, mais d'un écart systémique entre la Vision et la mise en œuvre, entre l'Etat stratège et l'appareil exécutif, entre la Parole Royale et la réalité du terrain. À mesure que l'on descend les étages de l'Etat, cette Vision se dilue. Elle se perd dans les lenteurs, les rivalités de compétences, les pesanteurs administratives, l'inefficacité budgétaire. Et quand les responsables ralentissent, c'est le citoyen qui paie. Dans l'école qui n'a pas vu les réformes promises. Dans l'hôpital qui attend encore la mise à niveau. Dans l'investissement bloqué par une autorisation administrative banale. Dans le jeune diplômé qui n'attend plus rien, sauf peut-être un visa. Somme toute, la Fête du Trône devrait être, chaque année, un électrochoc pour la classe politique et pour les consciences endormies. Une invitation à l'humilité, à la rigueur, à la fidélité aux engagements. Car le Roi montre la voie. Ce sont maintenant les responsables qui doivent être jugés à l'aune de leur fidélité à cette Vision, non dans les mots, mais dans les actes. Le Maroc n'a pas besoin d'une nouvelle vision. Il l'a déjà. Il n'a pas besoin d'une autre stratégie. Elle est là, claire, documentée, exprimée dans les discours Royaux. Ce qu'il lui faut, désormais, c'est une élite exécutive capable d'y être fidèle. Non par soumission, mais par exigence d'Etat. Soyons conscients d'une chose, dans une époque où les incertitudes nous pressent, le Maroc dispose d'un atout rare : une stabilité monarchique enviée, un leadership lucide, une trajectoire pensée. Mais cette stabilité n'a de valeur que si elle devient levier de transformation. Si elle irrigue toutes les strates de l'Etat. Si elle est servie par une gouvernance à sa mesure. La Monarchie, elle, donne les grands titres et trace les grandes lignes. C'est désormais à la classe politique et à l'exécutif d'élever leur rythme. Car l'Histoire ne retiendra pas les commentateurs du changement. Elle retiendra ceux qui l'auront incarné. Le moment est venu d'un sursaut de gouvernance. Ce 30 juillet, plus qu'une commémoration, doit être un signal d'alarme. Le Maroc ne peut plus se permettre ce décalage chronique entre la Monarchie qui projette, et une gouvernance qui tâtonne. La loyauté ne se mesure pas aux communiqués ou aux hashtags, mais à la capacité à transformer les discours en chantiers livrés, les feuilles de route en politiques publiques tangibles. Le Roi pense en bâtisseur. Aux concernés de bâtir avec rigueur. À l'administration de livrer avec efficacité. Aux responsables de gouverner avec conscience. À chacun de prendre la mesure de l'enjeu. Car le Maroc mérite mieux qu'un pays à deux vitesses. Il mérite un destin à la hauteur de son ambition Royale.