Le Maroc mise sur le sport pour renforcer son image internationale, avec plus de 150 milliards de dirhams investis dans les stades, les réseaux de transport et les infrastructures stratégiques. Mais derrière cette vitrine, des réalités sociales demeurent préoccupantes. Des dizaines de milliers de sinistrés du séisme attendent encore un logement digne, le système hospitalier souffre d'un déficit de 45 000 lits et les transports publics de proximité restent un fardeau quotidien pour une grande partie de la population. À l'heure où le Maroc prépare la Coupe d'Afrique des Nations 2025 et la Coupe du Monde 2030, le pays s'engage dans un chantier colossal de modernisation qui mobilise plus de 150 milliards de dirhams, selon le ministre délégué chargé du Budget, M. Fouzi Lekjaa, lors d'une conférence ministérielle portant sur le thème "Coupe du Monde 2030 : enjeux financiers, institutionnels et stratégiques", organisée à l'Ecole Nationale Supérieure de l'Administration (ENSA) en juillet 2025. Ces investissements concernent la construction et la rénovation de stades aux normes internationales, ainsi que le développement d'infrastructures de transport, notamment la LGV et le RER, financés grâce à un mécanisme de partenariat public-privé estimé à 1,6 milliard de dirhams par an jusqu'en 2030, selon M. Fouzi Lekjaa. À cela s'ajoute la création d'installations stratégiques, comme une station de traitement d'eau d'une capacité de 2 milliards de m3, destinée à soutenir l'essor industriel et domestique des régions hôtes. L'objectif affiché est de renforcer le statut du Royaume en tant que hub sportif et diplomatique, attirer davantage de flux touristiques et accroître sa visibilité internationale. Lire aussi : Recherche marocaine : L'équation complexe du doctorat à rallonge Les ambitions internationales semblent éclipser les priorités sociales des Marocains Cependant, face à ces ambitions mondiales, d'autres priorités nationales se heurtent à une réalité moins éclatante. Selon des rapports relayés par les médias, le séisme d'Al Haouz en septembre 2023 a causé la destruction de près de 50 000 logements, privant plus de 300 000 personnes d'un toit, et affectant entre 1 500 et 2 000 douars. Malgré 55 142 autorisations de reconstruction délivrées et l'ouverture effective de 49 632 chantiers, selon les chiffres communiqués lors de la 11ème réunion de la commission interministérielle chargée du programme de reconstruction et de réhabilitation générale des zones sinistrées par le séisme d'Al-Haouz, de nombreux sinistrés demeurent sans logement digne de ce nom. La lenteur du relogement durable met en péril la survie des habitants, particulièrement dans les zones montagneuses exposées à des hivers rigoureux. En parallèle, la situation du système de santé révèle une autre faille structurelle. En décembre 2024, lors du Forum national de la santé, les acteurs du secteur ont mis en lumière un déficit alarmant de 45.000 lits hospitaliers, ce qui équivaut à un ratio d'un lit pour 1 307 habitants, bien au-dessus des standards de l'OCDE qui se situent autour d'un lit pour 500 personnes. Actuellement, seuls 949 centres de santé de proximité sont opérationnels sur les 1 400 programmés, et la densité médicale publique plafonne à 1,89 médecin pour 10 000 habitants, alors que l'objectif fixé pour 2030 est de 45, selon le rapport « L'impact de la nouvelle réforme du système de santé sur le financement de l'hôpital public au Maroc : Quel rôle pour le contrôle interne » publié en mars 2024. Par ailleurs, les transports publics constituent une autre faiblesse. Si les grands projets ferroviaires permettent de connecter les grandes villes, les habitants des zones rurales et périurbaines continuent de souffrir du manque de moyens adaptés. Le manque de bus, l'absence de tramways hors des grandes métropoles et la saturation des réseaux existants forcent une grande partie de la population à dépendre de taxis collectifs informels ou de véhicules privés. Au-delà de ces urgences visibles, les problèmes se multiplient et les citoyens ne cessent de réclamer des solutions concrètes de la part du gouvernement. Les enjeux ne se limitent pas au système de santé ou à la réhabilitation des zones sinistrées, car, en allant au-delà des apparences, apparaissent des dossiers plus complexes et plus anciens qui demeurent sans réponse depuis des décennies. Face à cette accumulation, selon les experts, la réaction du gouvernement a souvent été jugée tardive ou incomplète, renforçant l'impression que les grandes ambitions internationales continuent de primer sur les priorités sociales et territoriales qui structurent la vie quotidienne des Marocains.