Fouad Filali, un homme, un destin LA SAGA D'UNE FAMILLE Fouad Filali, l'ex-président de l'ONA, n'est ni une équation sociale à plusieurs inconnues, ni un électron libre de la galaxie financière marocaine dont la première caractéristique est l'opacité et l'absence de vision. Il a rendu dans la dignité son tablier de patron du premier groupe privé marocain, le 20 avril 1999. Ce fait, malgré des attentes souvent pernicieuses et parfois de mauvaise foi, s'est déroulé dans un climat de sérénité qui en dit long sur la capacité de Fouad Filali à faire face à l'adversité sous toutes ses formes. Notre homme, un manager compétent de 44 ans, à l'allure sportive et au profil athénien, n'est pas né de la dernière pluie. Il sait qui il est. Ce qu'il doit à son père et à son pays. Il saisit aussi les limites de ses rêves et de ses ambitions. Il connaît, surtout, intimement les bonnes fées qui se sont très tôt penchées sur son berceau pour faire de lui ce qu'il est devenu. Un homme à l'ascendance, à la loyauté indiscutable, honoré par la monarchie marocaine et à la descendance illustre. Ce qui ajoute du sens à tout cela, Fouad Filali sait relativiser les évènements et les choses. On peut avoir tous les destins du monde réunis en une vie, il n'en demeure pas moins, au-delà de toutes les chances qui ont tapissé sa vie, qu'il reste un homme avec un destin d'homme fait de grandeur, de joie, de tristesse, de faiblesse et d'épreuves. Il ne plaide jamais l'infaillibilité ou la perfection même si on exige de lui souvent, à son corps défendant, par une sorte de projection sublimée, une attitude parfaite et idéale. Destin Dans un pays où la culture dominante est historiquement celle des gens de bien, la rancur calculée sur la courbe des évènements, la haine étalonnée sur les aléas de la vie, la médisance flamboyante renforcée par l'anonymat, ne représentent pas des valeurs à l'aune desquelles on peut juger Fouad Filali. Il n'a pas choisi d'être fils d'ambassadeur et de passer, notamment, une adolescence chinoise riche en expériences et en sensations fortes d'étrangeté. Il n'a pas choisi d'être fils d'un ministre respectable et respecté au parcours patriotique irréprochable. Il n'a pas choisi une vie conjugale qui a fait de lui le père des petits-fils de SM Le Roi Hassan II. Lui, dont les aïeux ont toujours été des sujets très proches des souverains marocains. Fouad Filali a vécu et vit toujours ce destin comme une somme d'honneurs et de distinctions dont il tire une fierté légitime. Malgré cela, comme si c'était une fixation psychologique, il continue à vouloir vêtir sa personne d'une humanité simple, de tous les jours, faite de matins calmes et de soirées familiales douces. Il s'entête, parfois avec maladresse et souvent avec succès, à vouloir introduire dans sa vie une pratique citoyenne de la responsabilité au risque de créer un décalage entre ce qu'il est profondément et la manière avec laquelle il est perçu. Un effet non recherché qui explique probablement le voile à peine perceptible qui couvre parfois son regard et le ton à la fois affectueux et distant qui marque sa voix. Emotions L'homme qui ce jour-là explique calmement son départ de l'ONA n'est pas convaincant. Mais le souhaite-t-il vraiment ? Les yeux humides, les traits reposés mais certainement de fatigue et d'anxiété, il n'arrive pas ou ne veut pas aborder les vraies raisons de son départ de ce groupe prestigieux. Il sait que, par cette attitude, il attise le front des rumeurs malveillantes et qu'il renforce les spéculations nuisibles de tous ceux qui ont monté depuis plusieurs semaines une cabale haineuse contre lui. Ils ont réduit son recul privé pour mieux détruire son image professionnelle. Un procédé, mille fois déplorable, dont seuls les milieux sournois du pouvoir financier ont la maîtrise fine. Mais rien de tout cela n'affleure dans les propos du jeune président partant. Mais il assène quand même ses vérités à sa manière policée, technocratique et ferme. Quand l'actionnaire de référence l'a mis à la tête de ce groupe, il lui a donné comme mandat de mettre l'ONA au service du développement économique et social du Maroc. Le pays ayant besoin d'un groupe privé comme locomotive, l'ONA devait créer de la valeur dans l'intérêt de son environnement et de ses actionnaires. De 1986 à 1999, Fouad Filali a tenu cette ligne de conduite tout en faisant en sorte que l'ONA devienne un groupe doté d'une vision stratégique, structuré, transparent et productif. À l'époque, le capitalisme financier n'existait pas sous sa forme actuelle, la bourse de Casablanca était virtuelle et la mise à niveau, et son corollaire qu'est la globalisation, n'était qu'une frontière lointaine dans un marché protégé. Le développement du marché financier et la course effrénée pour le contrôle de pans entiers du tissu financier marocain, sans loi anti-trust, sans filets anti-accaparement, sans loi sur la concurrence vont conduire dans ce secteur à des situations de violence et de " sauvagerie " qui font passer le libéralisme américain pour une douce prairie. Le plus normalement du monde, un actionnaire principal nouveau s'est imposé au cur de l'ONA par le biais de prise de participations diverses. Il est en mesure désormais de dicter légitimement et légalement sa loi même s'il apparaîtra plus tard que ce même actionnaire, par le même système, et si ses projets se concrétisent, sera amené à contrôler 70% des principales capitalisations boursières du pays. Un chiffre faramineux : 101 milliards de dirhams sur 142 milliards. Contours Dans ce contexte, le loup étant déjà dans la bergerie, l'ONA n'était plus l'ONA. Et le mandat de Fouad Filali était devenu caduc, car il n'avait pas au départ pour objectif de gérer un groupe financier. Mais bel et bien un groupe qui crée de la vraie valeur. Sous le coup de boutoir de transactions boursières massives et efficaces, ceux qui menaient la vie dure à l'ONA de l'extérieur pesaient en même temps de tout leur poids de l'intérieur pour bousculer les choses. Le ver était dans le fruit. Fouad Filali devait donc se tourner vers l'actionnariat de référence afin que les leçons de cette situation nouvelle soient tirées. Une nouvelle ONA devait naître. Le mandat initial de Fouad Filali s'est achevé. Normalement dans une économie nationale tâtonnante et expérimentale, dans une bulle financière sulfureuse et initiée et dans un libéralisme marocain grotesque et ridicule. Les jeux de rôles supplantant l'efficience économique véritable créatrice d'emplois et de vraies richesses. Fouad Filali n'a rien dit de tout cela. Bien évidemment. Il n'en avait pas besoin. Il était déjà ailleurs. Il demeure fier de son groupe. De 2M et de la belle aventure intellectuelle et politique qu'elle a représentée. De sa croissance minière. De ses développements dans le domaine du tourisme, de la distribution et de la pêche. De ses vrais métiers où des ouvriers urbains et ruraux agissent pour leur bien, le bien-être de leur famille et celui de leur communauté. Il n'oublie rien de tout cela Fouad Filali. Quand ce jour-là, la voix n'est pas étreinte par l'émotion et quand le regard n'est pas éteint par un regret indicible, il arrive à exprimer, au-delà de l'ONA, le destin de sa famille. Une histoire particulière dont les contours se confondent avec l'évolution d'un pays. Le hasard a voulu que ce jeune homme blessé quitte une responsabilité pour laquelle il se sentait prédestiné le jour où SM Le Roi a rendu un hommage émouvant, inédit et rare à l'adresse d'un ministre partant, Abdellatif Filali l'ex-ministre d'Etat chargé des Affaires étrangères et de la Coopération. Eternité "Une réception a été organisée en ton honneur, et Nous tenons aujourd'hui à organiser cette cérémonie en reconnaissance aux services rendus par l'homme, le citoyen, l'homme d'Etat, le ministre et le compagnon que tu es. Nous n'oublions pas que notre auguste père, que Dieu ait son âme, nous disait toujours que notre grand-père, Moulay Youssef, que Dieu l'ait en Sa Sainte Miséricorde, et ton père entretenaient des relations très solides. Ces relations se sont poursuivies avec notre père, que Dieu ait son âme. Suivant l'exemple de ton père, tu as uvré aux côtés de notre regretté père et à Notre côté personnellement. Je ne pourrais dire qu'une chose : J'ai toujours trouvé en toi le citoyen mobilisé, disposé et prêt à assumer toute mission et toute responsabilité. En notre nom personnel, et au nom du peuple marocain que tu as servi avec abnégation et fidélité, nous voudrions te témoigner notre reconnaissance en t'accordant ce Wissam afin que tous les Marocains sachent ta place parmi eux et dans notre cur. Puisse Dieu t'accorder longue vie". Ainsi, le rideau est tombé la même semaine sur une famille qui quitte ainsi la scène politique, économique et financière du pays sans qu'elle n'ait jamais démérité et sans jamais se départir de son sens du devoir. Une saga familiale semble se terminer. Mais se termine-t-elle vraiment quand les bonnes graines sont semées pour l'éternité dans une terre féconde et généreuse?