Primé dans de nombreux rendez-vous cinématographiques à l'étranger et montré dans le cadre du Festival international du film de Marrakech (FIFM 2025), «Les Fourmis» marque le grand retour de Yassine Fennane sur le devant de la scène. En effet, le réalisateur marocain s'est investi dans son troisième long-métrage depuis 2018. Cette année, il propose enfin un récit social, inspiré du vécu et tourné vers le multiculturalisme, au temps du racisme décomplexé. Pour son troisième long-métrage, le réalisateur Yassine Fennane a choisi de s'inspirer d'une arnaque vue dans la vie réelle. Autour de cette situation, il a construit un récit fictif rattrapé par la réalité, autour de trois personnages à Tanger. Au fil des événements, la jeune migrante Félicité, à la frontière de Melilla, décide de gagner sa vie dans la cité septentrionale, pour organiser des funérailles chrétiennes à son amie. Pour sa part, le recruteur Hamid exploite les migrants au travail. Dans la haute société, la jeune mère Kenza décide de recruter Félicité comme nourrice, à rebours de l'opposition de son mari. Tanger, l'ancienne ville-monde, incarne ici le visage des identités plurielles et de la cohabitation qui se vit au quotidien, dans un monde qui banalise le racisme. Montré au 22e Festival international du film de Marrakech (du 28 novembre au 6 décembre 2025), cet opus tient sa force dans le récit humaniste qui ne verse pas dans la condescendance. Il propose ainsi un narratif social qui dépeint des trajectoires fragmentées, questionnant la violence, la soif de liberté, l'émancipation comme moteur de vie et comme finalité. Y a-t-il a une part personnelle dans l'histoire que vous nous proposez dans ce nouveau film ? J'ai eu l'idée de ce film à partir d'une anecdote que j'ai vécue. J'ai été témoin d'une escroquerie dans une agence de nettoyage, qui met en lien les clients avec les femmes de ménage. Cela m'a inspiré directement la base de cette histoire, d'autant que j'aime m'inspirer de choses que je vois ou que je vis. Je trouve qu'il n'y a pas mieux que de raconter ses expériences personnelles pour être le plus authentique. Ce film a déjà connu un succès, puisqu'il a fait sensation dans d'autres festivals et il a été primé. Parlez-nous du début de vie de «Les fourmis» ? Le tournage s'est fait, il y a deux ans, à Tanger. C'est un film qui a été produit par le CCM, grâce au fond d'aide, ainsi que par Dune Films, qui participe à de nombreuses productions exécutives étrangères à grands budgets. La boîte a décidé de se lancer dans le cinéma marocain local, et c'est ainsi que nous avons travaillé ensemble. Comme au Festival international du film de Marrakech (FIFM 2025), ce long-métrage a eu la possibilité d'être sélectionné dans plusieurs festivals, à Durban (Afrique du Sud) et dans plusieurs autres rendez-vous cinématographiques en Afrique, à Soweto, à Kigali, au Rwanda, à Lagos, à Nairobi, mais aussi en France, à Londres… Nous sommes ravis de voir ce film voyager à travers les pays et les continents, dans lesquels il y a toujours un public pour le recevoir. Après ce tour à travers les festivals à l'étranger, je suis très content qu'il soit montré au FIFM et qu'il retrouve son public naturel, ici au Maroc et à Marrakech. Le film a été primé aussi à l'étranger, notamment à Bruxelles où la comédienne Nadia Kounda a reçu le prix de la meilleure actrice. Comment votre choix s'est porté sur le casting ? En effet, mon choix s'est porté sur Nadia Kounda, ainsi que sur Hicham Slaoui, qui a cartonné dans la série «Rhimou» il y a une vingtaine d'années. J'ai tenu à intégrer des comédiens tangérois, mais aussi des personnages comme la nounou camerounaise du film, Félicité, incarnée par Marème Ndiaye, que Nadia Kounda m'a elle-même proposé. Après avoir vu des films dans lesquels elle a joué, je me suis dit que c'était elle qu'il fallait pour ce rôle-là. J'ai voulu m'entourer de comédiens professionnels et non pas des amateur, et Marème a joué dans de grands films qui ont eu des prix. On la voit notamment dans «Le roi des ombres», «Amin», ou encore «A pleins temps» qui a raflé les Césars. Je trouve que c'est une superbe actrice et dans mon films, elle joue avec Majdouline Idrissi, Mansour Badri, et des acteurs avec qui j'ai beaucoup de plaisir à travailler. Tout en travaillant avec des professionnels, vous mêlez acteurs confirmés et stars montantes, jeunes et moins jeunes. Comment avez-vous travaillé la direction d'acteurs avec les uns et les autres ? Je trouve que la direction d'acteurs reste quelque chose de vague. On s'adapte à chaque personne et on n'oublie pas qu'un comédien, c'est un être humain qui a des émotions, un bagage de vie. Il faut ajuster la manière d'intervenir dans les rôles et auprès de chacun, en fonction de cela. Je trouve que c'est surtout un exercice d'empathie pour nous, réalisateurs. La direction d'acteur nous pousse à rentrer un peu dans la tête des comédiens, pour voir comment ils réagissent pour avoir les émotions qu'on veut à l'écran. C'est un processus très particulier. Vous avez réuni ici aussi des acteurs que vous connaissez depuis des projets artistiques antérieurs. Se retrouver autour d'un nouveau projet vous donne-t-il un sentiment de retrouvailles avec une forme de troupe de théâtre, plus qu'une équipe de tournage ? Oui, je connais beaucoup des acteurs avec lesquels j'ai travaillé depuis des projets sur lesquels nous avons collaboré avant, comme c'est le cas avec Majdouline Idrissi, ou avec Nadia Kounda, avec qui j'ai déjà fait une série. Je trouve énormément de plaisir à travailler avec des comédiens que j'ai déjà dirigés avant. Cela aide à savoir comment sortir des émotions des comédiens et réussir donc sa direction. Il faut éprouver du plaisir à le faire et appréhender le processus créatif comme un jeu. Je ne suis pas un réalisateur qui aime la toxicité dans le tournage, je trouve cela inefficace. Au-delà des comédiens qui me sont familiers, j'ai travaillé avec d'autres que j'ai appris à connaître dans «Les fourmis», comme Hicham Slaoui ou Marème Ndiaye, avec qui je n'ai pas collaboré avant. Dans ma position de réalisateur, cela me pousse aussi à travailler différemment, d'autant que ces deux derniers ont des techniques de travail artistique assez occidentales. Ils sont plutôt des comédiens qui apprennent leurs textes par cœur, se préparent à l'avance. D'autres sont plus instinctifs. Ils veulent donner tout ce qu'ils ont dans le cœur. On essaie donc de voir comment travailler avec chacun d'eux pour avoir le meilleur des uns et des autres. On vous connaît réalisateur depuis au moins 20 ans. Vous avez travaillé sur des séries et sur des téléfilms. Pourquoi faire un film cinématographique prend beaucoup plus de temps ? Le travail à la télévision et au cinéma sont deux choses différentes, en termes de préparation. Au cinéma, nous avons plus de possibilités pour prendre notre temps avec les comédiens. On est beaucoup plus précis, on a peut-être rêvé de certaines séquences des années plus tôt... À la télévision, le rythme exige une expression émotionnelle, un travail de cadence rapide, avec l'impératif de toucher le maximum de téléspectateurs. Ce sont des approches radicalement différentes. Mais aujourd'hui, avec l'avènement des plateformes de streaming, la frontière entre ces deux approches commence à s'effacer. Les approches de la séries et du cinéma s'entremêlent, parfois. Entre ces deux approches, ce que vous préférez le plus est de prendre votre temps dans chaque projet ? Oui, c'est ce que je préfère. Lorsqu'on prend son temps pour faire les choses, on donne plus, on recherche la perfection, on va dans le détail. J'apprécie cela, tout comme je suis fier d'être un enfant de la télé.