Les critiques envers la gestion des retards de la Comanav fusent, et la seule réaction de la part des responsables provient du PDG d'Euromer qui étale son mépris pour «une minorité» de sa clientèle. Une clientèle composée en grande partie de Marocains résidant à l'étranger, qui ne demandent que l'intervention des autorités marocaines sur le dossier large de la traversée de la Mer Méditerranée. Mais pour le moment, le silence règne. La gestion de crises et de retards est un défi pour toute compagnie de transports; le nuage de cendre qui a envahit le ciel européen ce printemps en a donné l'exemple parfait. La manière dont ce défi est tenu est aussi indicateur de la qualité des services d'une compagnie envers sa clientèle. Cette qualité des services semble faire terriblement défaut à la Comanav, la Compagnie marocaine de navigation. Cette ancienne compagnie étatique, privatisée en 2007 et passée sous la houlette de la Comarit en 2009, assure depuis 1975, la liaison entre Sète et Tanger, ligne dont elle détient le monopole. Une ligne qui en a fait voir de toutes les couleurs aux passagers ces derniers temps : deux retards de 12 heures à trois jours d'intervalle, le 25 et le 29 juillet, ont causé des manifestations qui ont fait leur entrée dans la presse régionale française (Midi Libre, nous avons également relaté les faits) mais aucun mot dans la presse marocaine. Des utilisateurs rapportent même d'autres incidents, notamment un retard de 8 heures le 26 mai 2010, et des annulations de voyages à Pâques de cette année. Vétusté des navires et prix sans aucune relation avec la qualité des services, voilà d'autres critiques faites à la compagnie maritime. Et revenant à la gestion de crise, les passagers se plaignent fortement du comportement du personnel de bord face aux retards accumulés, notamment lors des deux traversées de la semaine dernière. Le PDG d'Euromer répond Face à ce crescendo des critiques, l'on pouvait s'attendre à une réaction officielle de la part de l'entreprise en question. Et effectivement, Midi Libre annonçait samedi dernier que Philippe Sala, PDG d'Euromer (société qui commercialise les billets de la Comanav), allait s'exprimer dans les pages du quotidien français sur la traversée Sète-Tanger effectuée par le Bni Nsar le 25 juillet. C'est un PDG très confiant qui a répondu aux accusations des usagers. «Oui, il y a eu une panne de moteur, et non, il n'y a pas eu d'incendie, on effectuait des travaux de soudage. L'exercice de sauvetage était de routine, et le retard était surtout dû à une tempête qui a forcé le Bni Nsar à longer la côte espagnole». Informations claires, mais le PDG n'explique pas pourquoi les passagers n'étaient pas au courant de ces faits. Un manque de communication à bord? Sala ne se mouille pas, bien au contraire. Il ne trouve pas de difficultés à renvoyer la balle aux passagers. Une déformation à 100% du «client roi» Pour commencer, «beaucoup de problèmes à l'enregistrement à cause des fausses déclarations […], des tensions, des menaces [ce qui] occasionne régulièrement des retards». Concernant l'état du bateau, Sala réfute également. «Entièrement remis à neuf en avril» mais soumis a «beaucoup de dégradations.» C'est donc de là que proviendraient les déclarations selon lesquelles le Bni Nsar serait une «poubelle flottante» (commentaire d'une passagère sur Midi Libre). Autre question, le service à bord. Dans un élan de protection des employés, Sala explique que «les traversées sont de plus en plus difficiles pour le personnel navigant à cause d'une minorité» de passagers. Louable initiative, mais hors contexte. Dans les circonstances de la semaine dernière et dans un contexte où il y a à répétition des plaintes sur le comportement du personnel navigant et des services à bord, promettre une enquête interne et, le cas échéant, les conséquences nécessaires, auraient été plus adaptés. Mais le PDG persiste dans l'accusation des passagers, notamment quand il parle des repas à bord, également critiqués. La compagnie aurait pensé à les supprimer, mais abandonné l'idée car sinon «beaucoup feraient leur cuisine dans les cabines, avec des bouteilles de gaz et tous les risques que cela représente.» Une nouvelle fois, la balle est envoyée dans le camp des passagers. Sala n'évoque pas la possibilité d'améliorer la qualité des repas. «L'incontournable» PDG sur les tarifs appliqués Point culminant des critiques : les tarifs. Peu de confort, un risque de retards, un personnel peu abordable, tout cela pourrait (éventuellement) passer si les tarifs étaient conséquemment bas. Mais les passagers payent au prix fort leur traversée, surtout en période estivale, synonyme de tarifs haute saison. Encore une fois, M. Sala dénie. Il serait «faux» d'attribuer les tarifs à la situation de monopole. Un de ses arguments: «En hiver, on fait des tarifs promotionnels moins chers qu'entre Marseille et l'Algérie, par exemple.» Et il semble sérieux sur cette question... Si ce n'est du mépris, comment expliquer le ton de l'interview de M. Sala? Est-ce une réaction adéquate envers les clients, dont beaucoup de témoignages ressemblent au suivant? «Nous étions sur cette poubelle flottante sans aucun recours, mon mari, mes enfants de 9 et 5 ans. C'est désastreux, changer le nom d'un rafiot et dire que c'est un nouveau ! Tout ce que j'espérais c'est accoster et rentrer chez moi. Résultat : congé maladie à cause du froid à bord et des conditions hygiène déplorables ! Une année d'économie pour rentrer au pays, accueil déplorable, voyage misérable.». Mais le PDG, qui, alors qu'il se présentait en 2007, pour être député MoDem de l'Hérault, estimait qu'il était «incontournable» en matière de traversées maritimes en Europe, ne craint pas la concurrence sur cette ligne qui ne serait, selon lui, plus rentable si deux compagnies devaient s'en partager les passagers. Et même si sur d'autres lignes comme Algeciras-Tanger, plusieurs concurrents opèrent, la traversée du détroit est chère de partout. Sète n'est pas une exception. L'UE est plus active que le ministère des MRE En cet état des choses, les passagers, majoritairement des MRE, sont de plus en plus nombreux à chercher des alternatives. Et ce n'est pas du ministère délégué à la Communauté marocaine à l'étranger que l'on peut attendre une intervention effective sur le marché monopolistique des traversées du détroit. M. Ameur en avait pourtant fait la promesse lors d'un débat télévisé en début d'année. Mais pour l'instant, le ministère est resté muet face aux compagnies maritimes. L'Union Européenne a été plus active en imposant pour 2012 des normes unifiées dans le service client des transports maritimes. Mais cela ne répond pas encore aux soupçons d'entente sur les prix des traversées entre les compagnies maritimes notamment pour la traversée du détroit de Gibraltar. Par conséquent, de véritables alternatives, il n'y en a pour le moment que deux. Premièrement, les vols low-cost. Comme l'explique une internaute sur yabiladi: «quand j'ai calculé le prix de chez moi jusqu'au Maroc [par voie maritime], je me suis rendue compte, que je peux faire 6 aller/retour par avion et par an si je le souhaite !» L'autre alternative est d'éviter le Maroc. La Thaïlande, les Comores, le Sénégal sont quelques unes des destinations citées, si ce n'est l'Espagne. Il sera intéressant de voir combien optent pour ces alternatives, et les prix des bateaux ne sont naturellement pas les seuls aspects à considérer dans ce domaine. Mais la baisse de 10% des traversées du détroit en provenance d'Espagne cette année en dit déjà long. Peut-être qu'un jour, ce sera par la force des consommateurs que les compagnies maritimes changeront leur politique.