La 15e édition du festival de Marrakech est entrée dans sa vitesse de croisière. La compétition officielle commence à décliner ses grandes tendances et ses premiers titres phares. L'ambiance générale du festival quant à elle, prend du tonus avec des moments haut en couleurs telles les masterclasses qui continuent à drainer un public assoiffé d'apprendre et de faire connaissance avec les maîtres invités...mais aussi les soirées d'hommages où se mêlent des sentiments de reconnaissance et des instants d'émotion. La séquence dédiée à Kamal Derkaoui a été dans ce sens, d'une grande richesse en symboles et en témoignages à l'égard de ceux qui ont permis à ce brillant directeur de prise de vues de mener une carrière désormais d'envergure internationale. Kamal Derkaoui a prononcé à cette occasion un discours d'une grande teneur intellectuelle non sans une certaine poésie dans l'expression de ses sentiments. Durant tout cet instant de bonheur, une ombre tutélaire planait sur ce sublime décor de la grande scène du palais des congrès, celle de Mostafa Derkaoui, père de Kamal et son initiateur au cinéma. Cet hommage est en fait un prolongement de l'hommage qui lui a été rendu par le festival en 2007. Le Maroc a marqué la même soirée par la projection dans le cadre de la section coup de cœur du nouveau film d'Ahmed Boulane, La Isla. Le quatrième long métrage de cet ancien technicien des plateaux de tournage internationaux s'inscrit explicitement dans le registre de la comédie populaire. Choix affiché d'emblée avec l'attribution du rôle principal à Abdellah Ferkous, une figure emblématique de la nouvelle tendance du comique de situation. Le pari devient intéressant quand on sait que le récit traite d'événements on ne peut plus sérieux qui engagent les relations stratégiques entre deux pays voisins, le Maroc et l'Espagne. C'est une fiction qui s'inspire donc d'un fait réel (les événements en eu lieu en 2002). Le film s'ouvre par une séquence d'exposition où nous découvrons le protagoniste principal, Ibrahim, élément des forces auxiliaires marocaines relevant pratiquement d'une police municipale, vivant dans un milieu très modeste avec sa femme et ses enfants. Très vite, ses rapports avec son environnement installent un registre d'une comédie légère. Ibrahim reçoit la mission de s'installer pour quelques semaines sur le rocher afin de surveiller de près les divers trafics qui marquent le détroit. Arrivé sur l'île, il mène une vie à la Robinson Crusoé. L'allusion est renforcée par la présence de la chèvre et par la rencontre d'un immigré clandestin subsaharien avec qui Ibrahim mène un processus d'altérité à l'instar de rapport entre Robinson et Vendredi. Mais très vite les choses vont prendre des allures graves, les Espagnols prenant la présence du drapeau marocain sur l'île comme une invasion, branle-bas de combat et mobilisation des états-majors. L'une des réussites du film est d'avoir restitué cet épisode sur le plan technique (grâce à une logistique du côté espagnol non négligeable) tout en mettant en avant le ridicule et l'absurdité d'un tel bruit...pour rien. Le soldat Ibrahim n'étant ni une tête pont avancée ni un membre des forces spéciales. Le film ne s'attarde pas trop sur la dimension politique de la fausse alerte et se concentre sur les multiples facettes humaines de la vraie tragédie qui se déroule loin du tapage des politiciens. La rencontre inédite entre Boulane et Ferkous passe déjà pour un ticket gagnant, le film qu'ils ont donné n'ayant pas des ambitions autres que de nous amuser, montrant aussi que l'on peut rire de choses graves. Beaucoup de philosophes y voient un formidable antidote. Pendant ce temps là, la compétition officielle continue de nous faire voyager à travers la planète cinéma. Une comédie libanaise (Co-financée par le désormais incontournable fonds qatari Doha Institute) de Mir-Jean Bouchaaya. Une véritable parabole de tous les drames libanais. Le récit s'ouvre sur un crime. Qui est le meurtrier ? C'est la question qui ne cesse de traverser l'imaginaire libanais. La fratrie impliquée va entamer tout un processus de combines pour s'en sortir, y compris en convoquant un film dans le film pour montrer que le cinéma n'échappe pas aux entreprises de manipulation. Le film est léger, amusant... Toll Bar nous vient du Kazakhstan avec un récit où il est question de la figure du père qui pèse sur le devenir d'un jeune étudiant qui rêve de se construire une carrière loin du cliché du fils de riche. Sauf que de la théorie à la pratique (thème de ses études universitaires), il y a la rencontre avec un drame qui marquera sa vie et remettra davantage en question son rapport conflictuel avec son père. Pour emprunter une formule usitée chez les sportifs, c'est le Brésil qui frappe fort dans cette première partie de la compétition officielle avec Neon Bull de Gabriel Mascaro. Le récit se déroule dans la région mythique du Nordeste qui a donné au Brésil les thèmes du cinéma novo et a inspiré son fondateur Glauber Rocha, théoricien de «l'esthétique de la faim». L'univers de Neon Bull y fait référence en installant sa caméra au sein d'une modeste communauté de vachers qui vivent autour du spectacle populaire de la vaquerada. Des paysages sublimes alternent avec la description de la vie quotidienne de gens humbles qui rêvent de grands projets, s'intéressent aux parfums et vivent l'amour avec grâce (l'image de la femme enceinte faisant l'amour avec son amant est l'un des premiers moments intenses et de grande beauté de cette édition).