De mémoire d'habitué des grand-messes culturelles, rarement événement aura attiré un nombre aussi impressionnant de visiteurs. Notre société a-t-elle subitement repris goût pour le livre ? Il y a des signes qui ne trompent pas. Tenez, un quidam se présente dans un stand. Il feuillette un bouquin, il le met à la poche sans passer à la caisse. La police accourt. Le pauvre hère se fait choper pour un bouquin volé. Le hasard a voulu que ce soit « Les Misérables » de Victor Hugo. Nous y voilà. Sauf que le misérable « Jean Valjean » de chez nous n'a pas volé de baguette de pain. Il a pris un livre qui ne lui appartient certes pas, mais un livre quand même. Cela nous fait un lecteur de plus dans ce pays où l'on a développé de fâcheuses habitudes de non-lecture. Ce lecteur vaut mille fois plus que d'autres qui ne trouvent dans le livre qu'un simple objet de décoration. On a déjà vu des milliers de bouquins à la reliure dorée ne servant qu'à meubler les étagères des bibliothèques familiales. Mais, passons. Le paradoxe veut chez nous que ceux qui savent lire ne lisent pas. Et ceux qui ne savent pas lire n'ont évidemment pas la possibilité de le faire. Le désert, quoi. De ce côté de la planète-livre, on préfère plutôt faire bouger le ventre que l'esprit. La star'académisation de la société avance à grands galops. Nos jeunes sont plus portés sur les fameux « 15 talons (bien talons) et une chaussure » que sur le livre. On se contente de gloires éphémères, et factices au demeurant, et on oublie l'essentiel. Le chemin du savoir est si difficile qu'il exige un formidable déni de soi, un travail patient sur sa personnalité et un souffle olympien. C'est à ce prix, et seulement à ce prix, que l'on sort de l'univers des ténèbres. Le reste n'est que mauvaise littérature.