Construire une liberté d'expression rigoureuse et responsable suppose aussi de traiter les hommes des médias en partenaires et non en adversaires dont il faut se méfier et bons à être boycottés. Les jalons de la mise à niveau du champ médiatique national sont posés. Le chemin est désormais balisé pour doter ces secteurs -nécessaires à la démocratie- des attributs de la rigueur et du professionnalisme. Le ministre de la Communication, Nabil Benabdallah, est un homme chanceux. C'est lui qui cueille le fruit du travail de ses prédécesseurs notamment MM. Messari et Achaâri qui ont mis un certain nombre de projets de réformes dans le pipe. Les choses sont arrivées aujourd'hui à maturation. Les deux chaînes publiques ont maintenant chacune un cahier de charges qui précise leurs obligations dans le cadre de la libéralisation des ondes pour en faire des espaces d'information du grand public et des outils de promotion du débat, de la démocratie et de la culture marocaine. Mais sans une politique sérieuse des ressources humaines avec tout ce que cela suppose comme gratification et sanction, exigence et persévérance, tout projet, aussi ambitieux soit-il, est voué à l'échec. Avec une telle refonte, les vieux réflexes, qui ont le don de tuer les idées les plus belles, doivent laisser la place à une autre culture nourrie de désir de performance. Seul grief, deux télévisions d'État. Cela fait beaucoup pour un pays comme le Maroc. Ne manque en fait au paysage qu'une télévision privée dont le besoin commence à se faire sentir de plus en plus. 2M aurait pu être cette télévision qui reflète autrement ce Maroc qui bouge, change… Et puis, il est difficile de voir émerger, du moins dans les années à venir, un grand pôle télévisuel privé puisqu'il sera tout de suite en butte à l'étroitesse du marché publicitaire audiovisuel déjà contrôlé par les deux chaînes. Autre média public important, l'agence Maghreb Arabe Presse (MAP) a besoin d'un nouveau statut moins contraignant qui réorganise sa mission et motive ses journalistes. Avec la mise en œuvre de cette réforme toujours en souffrance, la boucle sera bouclée. La presse écrite n'a pas été en reste. Contrat-programme, convention collective, subvention étatique, ces initiatives majeures, destinées à accompagner et à consolider les espaces de liberté acquis de haute lutte, sont de nature à inscrire le secteur dans une dynamique nouvelle en termes de professionnalisation, de responsabilité et d'amélioration de la situation du journaliste. Il est vrai que les titres de presse n'ont pas les mêmes problèmes ni les mêmes contraintes selon que l'on travaille dans une publication partisane ou un journal privé. Mais le défi majeur de tous les instants doit être la rencontre, selon les normes universelles du métier, des vraies attentes du lecteur loin des dérives constatées ci et là avec cette propension presque maladive au nihilisme et à l'irrévérence. Certes, il y a un code déontologique que tout journaliste est censé respecter. Mais l'auto-régulation de la profession serait difficile en dehors de l'action décisive de la justice dont le rôle est de sanctionner les délits de presse dans le cadre de l'État de droit. Construire une liberté d'expression rigoureuse et responsable suppose aussi de traiter les hommes des médias en partenaires et non en adversaires dont il faut se méfier et bons à être boycottés.