Au cours de l'entretien qui été diffusé en podcast sur la plateforme Atheer d'Al Jazeera, le ministre algérien des affaires étrangères Ahmed Attaf, commentant les dernières initiatives américaines au sujet du différend entre le Maroc et l'Algérie, a exprimé sa surprise devant la détermination des Etats-Unis, depuis septembre, à vouloir contribuer à trouver une solution. « Du jamais vu, a-t- il lancé, même lorsque les envoyés personnels étaient américains » ( !) Attaf fait allusion aux démarches de Joshua Harris, sous-secrétaire d'Etat adjoint. Le responsable américain s'est rendu au Maroc et en Algérie en septembre dernier puis de nouveau en décembre 2023. Dans l'entretien qu'il a accordé à un média algérien et que celui-ci a lamentablement falsifié, Harris a précisé l'objet de sa mission et les paramètres de celle-ci : « Les Etats-Unis souhaitent une solution politique durable et digne au Sahara occidental. « Nous envisageons sérieusement d'utiliser notre influence pour permettre le succès du processus politique de l'ONU. « Nous estimons qu'il est très urgent de permettre à l'Envoyé personnel De Mistura de progresser sans plus tarder. « La seule solution durable est un processus des Nations Unies qui permette aux personnes vivant au Sahara occidental de réfléchir à un apport significatif concernant leur avenir. « Le Conseil de sécurité de l'ONU est clair sur le fait que le processus doit refléter un esprit de réalisme et de compromis quant à la situation actuelle sur le terrain ». Harris n'a pas manqué de rappeler que « les Etats-Unis considèrent la proposition d'autonomie du Maroc comme sérieuse, crédible et réaliste». Au passage, on peut s'interroger sur le sens qu'il faut donner au mot « digne » en parlant de la solution politique. De même, l'évocation d'une « escalade sur le terrain » et « l'intensification du conflit militaire » est surprenante. Au Maroc, le passage de Harris s'est fait dans la discrétion la plus totale. Il n'y a eu ni déclaration ni communiqué, pas d'image ni de vidéo. Comme à Alger, le mutisme officiel a été de rigueur. En général, c'est bon signe. Entre le Maroc et les Etats-Unis, les relations sont multiformes et ne se limitent pas à la question du Sahara. Dans sa première annonce, le Département d'Etat a indiqué que Harris, en se rendant au Maroc, devait « examiner une série de priorités en matière de sécurité régionale, notamment les événements à Gaza et le processus des Nations Unies sur le Sahara occidental », mais aussi «mener des consultations sur le renforcement du partenariat entre les Etats-Unis et le Maroc ». A Alger, Harris a clairement donné à entendre que les Etats-Unis n'entendent pas lancer un autre processus de négociation. En effet, il a précisé : « La seule solution durable est un processus des Nations Unies qui permette aux personnes vivant au Sahara occidental de réfléchir à un apport significatif concernant leur avenir ». Précision qui a son importance : on parle des « personnes vivant au Sahara occidental ». Washington s'implique directement dans la querelle maroco-algérienne et y met les moyens. « Nous envisageons sérieusement d'utiliser notre influence pour permettre le succès du processus politique de l'ONU » a souligné Harris. La démarche américaine vient en appui à l'Envoyé personnel De Mistura, dont « il est très urgent de permettre » à sa mission de « progresser sans plus tarder ». Le responsable américain l'a martelé : « Il faut que l'envoyé personnel réussisse ». Staffan De Mistura est un simple facilitateur, comme tous les envoyés personnels avant lui. Il agit dans le cadre strict des directives du Conseil de sécurité, dont les membres permanents ont des vues parfois différentes sur la question. Joshua Harris, quant à lui, est le mandataire d'un seul gouvernement, celui des Etats-Unis. L'envoyé de Washington mène certes une mission de bons offices, mais c'est un Go-Between un peu particulier qui, contrairement à De Mistura, a les moyens de sa politique. Harris sait de quoi il en retourne et où se situe le blocage, ce qui l'a poussé à évoquer ce qu'il a appelé « les mesures pratiques à prendre pour un processus politique réussi à l'ONU ». Il a vraisemblablement fait des propositions concrètes aux Algériens sur ces mesures pratiques. Alger ne cédera que contraint et forcé, lorsqu'il n'aura plus le choix sous la pression internationale, américaine surtout. Washington saura être persuasif. Le régime militaire voudra essayer de faire de la résistance, mais les données ont changé. Désormais, c'est la première puissance mondiale qui se met en branle, mettant du même coup son prestige en jeu. Après l'Espagne, qui a pris une décision courageuse, c'est au tour des Etats-Unis d'agir en mettant tout leur poids dans la balance. On connait le point de vue américain sur la question : pas d'Etat entre le Maroc et la Mauritanie, un Etat sahraoui indépendant n'est pas une option réaliste pour résoudre le conflit, une véritable autonomie sous souveraineté marocaine est la seule solution possible. L'administration Biden conduira l'exercice à marche forcée en ayant présent à l'esprit un deadline, une échéance, à savoir la prochaine réunion du Conseil de sécurité, qui se tiendra à la fin d'octobre 2024, quelques jours avant les élections présidentielles américaines. A nouvelle situation, nouvelles méthodes. Harris a été clair : « Les efforts du même type qui ont conduit à l'échec des processus politiques au cours des années passées ne produiront probablement pas de résultats ». Il y aura donc un changement dans l'approche. C'est le sens du message que Harris a été chargé de convoyer au régime militaire algérien. Il l'a explicité en termes diplomatiques : « La voix de l'Algérie est tellement cruciale dans son soutien au processus de l'ONU, que j'attends avec impatience d'écouter nos amis algériens nous dire comment ils voient la situation et comment, ensemble, nous pouvons créer les conditions permettant au processus de l'ONU d'avancer ». La solution existe, et s'il nous était donné de faire une suggestion, elle tiendrait en peu de mots : Que l'Algérie jette le masque.