La multiplication des représentations consulaires algériennes en France n'obéirait pas seulement à une logique administrative ou démographique. C'est du moins l'argument développé par plusieurs sources sécuritaires, selon lesquelles ces structures diplomatiques serviraient, de manière officieuse, de relais pour les services de renseignement d'Alger, en particulier dans la surveillance de la diaspora et la répression des voix dissidentes. La prolifération des consulats algériens sur le territoire français ne relèverait pas uniquement de la diplomatie consulaire classique. D'après plusieurs sources sécuritaires, ces représentations serviraient également de relais à des opérations de surveillance politique et de renseignement ciblant la diaspora algérienne, en particulier les figures critiques du régime, rapporte L'Express dans sa double édition à travers un dossier très fouillé. Des consulats à la fonction ambiguë Officiellement, Alger justifie l'implantation de ses consulats par la nécessité d'assurer le suivi administratif de sa nombreuse communauté en France. En pratique, selon plusieurs observateurs, ces structures joueraient un rôle bien plus étendu. «Les services de renseignement algériens ont toujours été très actifs sur le territoire national depuis la lutte pour l'indépendance. On peut dire qu'il y a plusieurs centaines d'agents dans l'Hexagone. Il y en a dans les consulats», déclare Jérôme Poirot, ancien coordinateur adjoint au renseignement à l'Elysée. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) française aurait, de longue date, identifié ces antennes comme des relais de l'influence algérienne. À Lyon, à Marseille, à Melun ou à Rouen, ces établissements auraient parfois recruté d'anciens policiers français ou officiers des renseignements généraux, devenus « agents de liaison.» Leur mission : repérer les éléments subversifs au sein de la diaspora, infiltrer les réseaux associatifs et surveiller les militants kabyles ou les personnalités perçues comme hostiles au régime. Une surveillance accrue depuis le Hirak Depuis le soulèvement populaire du Hirak, en 2019, qui a précipité la chute du président Bouteflika, le pouvoir algérien s'emploierait à resserrer le contrôle de sa diaspora. L'affaire du dessinateur Ghilas Aïnouche, réfugié en France depuis 2020, est emblématique de cette stratégie. Il affirme avoir été approché à trois reprises par des hommes liés au consulat d'Algérie. «Ils m'ont dit : "Tu arrêtes de faire des dessins contre le régime, puis on sait où tu habites", avant de m'assurer qu'il ne s'agissait pas de menaces», rapporte-t-il. Selon lui, les émissaires cherchaient à le convaincre de produire des œuvres moins critiques : «L'un m'a dit qu'il voulait me parler de mes dessins. Chaque fois, ils m'ont demandé d'être plus conciliant avec le régime.» À défaut de résultats, les pressions se seraient transformées en intimidations à peine voilées. «Je ne pouvais rien dire. On me demandait de collaborer avec les services algériens.» L'ombre de Xavier Driencourt, devenu bête noire du régime algérien Ancien ambassadeur de France à Alger (2008–2012, puis 2017–2020), Xavier Driencourt cristallise les tensions. D'abord salué par ses hôtes comme un interlocuteur ouvert, il est aujourd'hui perçu par les autorités algériennes comme un adversaire. En janvier 2023, le président Abdelmadjid Tebboune l'a publiquement désigné comme un «ennemi public.» L'intéressé, désormais retraité mais toujours actif, multiplie les interventions critiques. «Ma capacité à influencer mes collègues européens ou l'Elysée les a vraiment énervés. Je les fais trembler parce que je les connais», confie-t-il. Dans un ouvrage publié en mars 2022 (L'Enigme algérienne), il relate ses échanges avec des officiers, journalistes, ou magistrats algériens. «Je les connais mieux qu'eux-mêmes», avance-t-il. Cette proximité avec les cercles informels du pouvoir, en dehors des canaux diplomatiques, inquiète Alger, qui l'accuse de maintenir des réseaux parallèles. Guerre d'influence feutrée et non-dite Depuis Paris, M. Driencourt n'a pas cessé ses activités : il assiste à des réunions avec des diplomates européens, échange régulièrement avec des opposants exilés et multiplie les interventions médiatiques. Les autorités algériennes lui reprochent notamment ses liens supposés avec des figures critiques comme Boualem Sansal ou des membres du Hirak. Lors d'un match à Blida en octobre 2022, la police algérienne lui aurait refusé l'accès au stade en présence de Riyad Mahrez. «Un jour, il avait eu des critiques contre lui auprès de l'Elysée, des officiels algériens s'inquiètent de ses "sources"», confie un diplomate. L'ambassadeur aurait proposé à Alger, dès juillet 2020, une renégociation du traité migratoire de 1968. Il n'obtint jamais de réponse. «Pour eux, il leur a déclaré la guerre», estime l'historien Benjamin Stora. Une géopolitique du soupçon Le réseau consulaire algérien, qu'il s'agisse de ses implantations ou de ses agents informels, constitue aujourd'hui, aux yeux de plusieurs analystes, «un outil déterminant pour capter et surveiller les événements dans l'Hexagone». En toile de fond, c'est la volonté d'Alger de maintenir une emprise idéologique sur sa diaspora qui transparaît. Et de dissuader toute contestation hors sol. «Ils me demandent où j'habite, ils me disent que ce ne sont pas des menaces, mais c'en sont. Leur but est clair : me faire taire», conclut Ghilas Aïnouche, sans céder à la pression.