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Les budgets locaux décentralisés dopent la richesse régionale au Maroc, dévoile une étude économétrique parue dans la Revue française d'économie et de gestion
Une étude parue dans la Revue française d'économie et de gestion établit que l'augmentation des recettes propres des collectivités territoriales marocaines se traduit par une hausse significative de la richesse produite à l'échelle régionale alors que les dépenses locales n'exercent aucun effet statistiquement démontré sur la croissance. Au Maroc, les régions qui disposent de recettes fiscales plus élevées affichent une croissance économique supérieure tandis que les dépenses publiques locales ne semblent pas peser sur la production. C'est le constat d'une étude parue dans la Revue française d'économie et de gestion, qui s'est penchée sur six années de données régionales. Menée par Waïae Amrani, Mohamed Reda Ararsa et Saâd Elouardirhi, tous affiliés à l'université Mohammed V de Rabat, cette recherche affirme que «chaque hausse de 1 % des recettes fiscales locales s'accompagne d'une progression de 1,163 % du produit intérieur brut régional». En revanche, les dépenses engagées par les collectivités territoriales n'ont pas d'effet mesurable sur la croissance, ce qui, selon les auteurs, pourrait trahir «une allocation inefficace ou un ciblage limité à des secteurs peu productifs». Recettes en hausse, dépenses stables Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont exploité les statistiques officielles couvrant les douze régions marocaines entre 2017 et 2022. L'évolution des recettes locales s'est révélée un indicateur fiable de la vitalité économique, confirmant l'importance d'une autonomie budgétaire. Les dépenses, elles, ont progressé sans que l'on observe d'effet tangible sur l'activité, suggérant que l'argent public ne se traduit pas automatiquement par une production accrue. Les auteurs rappellent que ce phénomène n'est pas propre au Maroc : dans plusieurs pays africains, les recettes locales soutiennent la croissance, alors que les dépenses, souvent dispersées ou mal planifiées, peinent à produire un effet comparable. Dans les pays développés, ce décalage est également relevé par de nombreuses études. Un développement toujours inégal L'étude met également en lumière la concentration persistante de l'activité économique dans un nombre restreint de régions. Casablanca-Settat représente 32 % du PIB national en 2017 comme en 2022, Rabat-Salé-Kénitra atteint 16 % en 2022, tandis que des régions périphériques telles que Drâa-Tafilalet ou Dakhla-Oued ed Dahab demeurent sous la barre des 3 %. «Cette configuration traduit un déséquilibre structurel, où les régions économiquement avancées captent l'essentiel des ressources et des investissements», observe le rapport. Des réformes jugées nécessaires Pour les chercheurs, le renforcement de la capacité fiscale des régions doit aller de pair avec une refonte des pratiques de gestion. Ils préconisent de rendre publiques des informations détaillées sur l'utilisation des recettes, de mettre en place des mécanismes de contrôle indépendants et de limiter les situations où les collectivités dépensent sans craindre un déficit, certaines comptant sur l'appui financier de l'Etat central. «La décentralisation fiscale peut devenir un moteur de développement, à condition de mieux orienter les ressources et d'assurer une discipline budgétaire stricte», note l'étude, qui s'appuie sur les cadres conceptuels de Tiebout (1956), Oates (1972) et Musgrave (1959), lesquels définissent la répartition optimale des compétences entre échelons de gouvernement. Le modèle de Tiebout, qui suppose une mobilité parfaite des citoyens et une information complète, est jugé «souvent éloigné des réalités des pays en développement». Le théorème de la décentralisation d'Oates précise que certaines fonctions, telles que la redistribution des revenus ou la stabilisation macroéconomique, doivent rester du ressort de l'Etat central. Musgrave distingue pour sa part la fonction d'allocation — pouvant être décentralisée — de celles de redistribution et de stabilisation, requérant une coordination nationale. La revue de littérature recense des conclusions divergentes selon les contextes. En Afrique, Sima et al. (2023) observent un «effet positif significatif de la décentralisation des recettes et des dépenses sur le PIB par habitant». Dans les pays de l'OCDE, Baskaran et Feld (2013) notent que «l'autonomie fiscale, mesurée par les recettes locales, stimule significativement la croissance», mais que les dépenses ne présentent pas de corrélation probante. Au Maroc, Idalfahim et al. (2025) constatent déjà «l'absence de significativité des dépenses publiques locales sur le PIB régional». Les résultats dévoilés montrent un coefficient RCT de 1,163, significatif au seuil conventionnel, ce qui confirme que «la mobilisation de ressources propres renforce l'autonomie financière et permet de financer des investissements ciblés en infrastructures et services». En revanche, le coefficient DCT (0,236) est assorti d'une p-valeur de 0,517, excluant toute conclusion de causalité robuste. Les auteurs évoquent «des inefficacités d'allocation ou une concentration des dépenses sur des secteurs à faible rendement économique». L'étude met également en lumière la concentration persistante de l'activité économique dans un nombre restreint de régions. Casablanca-Settat représente 32 % du PIB national en 2017 comme en 2022, Rabat-Salé-Kénitra atteint 16 % en 2022, tandis que des régions périphériques telles que Drâa-Tafilalet ou Dakhla-Oued ed Dahab demeurent sous la barre des 3 %. «Cette configuration traduit un déséquilibre structurel, où les régions économiquement avancées captent l'essentiel des ressources et des investissements», observe le rapport. Implications politiques et réformes suggérées Pour les auteurs, deux conclusions majeures s'imposent. D'une part, «l'autonomie fiscale est un levier de développement territorial» : la capacité d'une région à générer ses propres recettes se traduit par un financement plus direct et plus adapté de projets structurants. D'autre part, «l'inefficacité des dépenses locales appelle une révision des pratiques de gestion et une meilleure orientation des fonds publics». Parmi les recommandations figurent l'accroissement de la mobilisation des ressources fiscales locales, l'instauration de mécanismes de contrôle indépendants, la publication de rapports réguliers et détaillés sur l'usage des recettes, et l'amélioration de la transparence budgétaire. Les auteurs mettent en garde contre «la contrainte budgétaire molle», où les collectivités anticipent une intervention financière de l'Etat central, quelles que soient leurs performances. En conclusion, cette analyse souligne que la décentralisation fiscale au Maroc demeure un chantier inachevé, dont l'efficacité dépendra non seulement de la capacité des régions à collecter des ressources, mais aussi de leur aptitude à en faire un usage productif et équilibré sur l'ensemble du territoire.